16 nanomètres en 3D

Record du monde de la résolution dans le domaine de la tomographie aux rayons X durs

La tomographie permet d’obtenir une image de l’intérieur des objets les plus divers : des structures cellulaires aux appareils techniques. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) ont à présent développé un procédé qui permet à l’imagerie tomographique d’accéder à de nouveaux ordres de grandeur. Il sera ainsi possible à l’avenir de générer par exemple des images plus détaillées de tissu biologique. Jusqu’ici, seuls certains procédés nécessitant des échantillons très minces permettaient de visualiser des détails pertinents de l’ordre de quelques nanomètres. À l’aide d’un dispositif de mesure spécialement conçu à cet effet et installé à la Source de Lumière Suisse (SLS), les chercheurs de l’Institut Paul Scherrer ont maintenant obtenu une résolution de 16 nanomètres avec un échantillon plus épais, et ont réalisé un record du monde par la même occasion. Il sera désormais possible d’étudier de petits détails dans le contexte de leur environnement, ou encore d’analyser des échantillons aux volumes plus importants, et d’obtenir des informations moins influencées par certaines variations locales. Cette résolution de 16 nm a été obtenue avec un prototype de l’appareil OMNY, actuellement en construction. Celui-ci permettra par ailleurs de refroidir l’échantillon pendant l’expérience, pour réduire les dégâts infligés par les rayons X.

Mirko Holler fixe un échantillon à la station de mesure dédiée à la tomographie ptychographique à la SLS.
Coupe dans le tomogramme de l’échantillon de verre étudié. Le verre est poreux, et l’intérieur de ces pores est revêtu d’oxyde de tantale (Ta2O5). Sur l’image, le verre est gris, l’air est noir et l’oxyde de tantale est blanc.
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Au quotidien, nous connaissons surtout la tomographie sous forme de procédé médical non invasif permettant d’inspecter l’intérieur du corps humain. Mais aujourd’hui, différentes méthodes tomographiques entrent en jeu dans les domaines de recherche les plus divers. Elles permettent notamment de générer des images en 3D d’objets les plus variés – du tissu biologique aux objets d’art antiques, en passant par des fossiles et des matériaux de pointe comme les catalyseurs. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer ont à présent développé une installation qui permet d’obtenir une résolution inégalée à ce jour par recours à la tomographie aux rayons X. Les chercheurs s’intéressent aux structures fines de composants cellulaires, ou à la structure fine de catalyseurs et d’accumulateurs modernes, et à certains de leurs détails de l’ordre de quelques nanomètres. Jusqu’ici, la microscopie électronique permettait de visualiser des détails d’une telle finesse, mais pas de fournir des images de l’intérieur des échantillons étudiés, et il fallait que ceux-ci soient extrêmement minces. Pour y arriver, il fallait effectuer une préparation complexe des échantillons, voire les couper fines lamelles – un procédé susceptible d’endommager les structures. Par ailleurs, il est difficile de produire des images de structures en y incluant leur environnement. Contrairement à la microscopie électronique, les rayons X durs permettent d’inspecter des échantillons plus épais, mais jusqu’ici, la résolution obtenue ne dépassait pas quelque 150 nanomètres.

Depuis de nombreuses années, on utilise la tomographie aux rayons X à différentes sources de lumière synchrotron, comme la Source de Lumière Suisse (SLS) au PSI. Lors de ces analyses tomographiques, l’objet est exposé aux rayons X venant de plusieurs directions différentes. Une radiographie est ainsi générée chaque fois, comme lors d’une radiographie médicale. A l’aide d’un logiciel informatique spécialement conçu à cet effet, les chercheurs réunissent ces images en une seule image 3D, qui donne à voir la répartition du matériau dans l’espace.

Haute résolution grâce à une méthode tomographique alternative

Des chercheurs au PSI ont à présent choisi une voie alternative afin d’obtenir une résolution nettement plus élevée des images tomographiques, car la simple production d’une radiographie limite la résolution réalisable. Pour cette raison, un phénomène a été exploité dans le procédé décrit ici, appelé tomographie ptychographique (présentée pour la première fois en 2010 au PSI) : le fait que les rayons X sont non seulement affaiblis ou détournés lorsqu’ils traversent l’échantillon étudié, mais aussi partiellement diffractés. Or en mesurant précisément dans quelles directions les rayons X ont subi une importante diffraction, et dans quelles directions cela n’a pas été le cas, il est possible de tirer des conclusions sur les structures. Pour réaliser les mesures d’un seul diagramme de diffraction, les chercheurs n’exposent à présent qu’une petite portion de l’échantillon, et répètent la mesure en différents emplacements de l’échantillon, jusqu’à ce que l’ensemble de l’échantillon ait été balayé. Le procédé ptychographique permet au final de reconstruire une seule projection en haute résolution, et donc une seule image radioscopique, à partir de centaines de diagrammes de diffraction. Comme pour tous les procédés tomographiques, on fait, ici aussi, pivoter petit à petit l’échantillon, et on l’étudie depuis plusieurs perspectives. La totalité des projections ainsi générées permet, là aussi, d’obtenir une image en 3D.

Positionnement au nanomètre près

Les chercheurs ont commencé par tester leur instrument avec un échantillon artificiel : un petit morceau de verre, de 6 micromètres de diamètre, doté de pores, eux-mêmes revêtus d’une mince couche de métal. Lorsqu’ils ont effectué leurs mesures, ils ont obtenu une résolution spatiale de 16 nanomètres, et réalisé un record du monde par la même occasion. On se trouve ici dans un domaine de l’imagerie qui représente un pont entre la tomographie conventionnelle aux rayons X et la tomographie à faisceau d’électrons, souligne Mirko Holler, responsable du projet. La résolution est très haute, mais en même temps, l’épaisseur de l’échantillon est relativement importante, et par conséquent les volumes étudiés le sont aussi. Lors de la mise en place de l’appareil, un défi se posait tout particulièrement : il fallait que l’échantillon soit positionné de manière très précise, et cette précision du positionnement devait être encore plus importante que la résolution obtenue. Il fallait donc connaître la position de l’échantillon durant toute la mesure, au nanomètre près, ce qui, dans un système tomographique, entraîne encore de nouvelles difficultés. La haute précision requise, en termes de position et de mesure de la position, a nécessité des dispositifs d’expérimentation d’un genre nouveau, comme ceux qui ont été développés au PSI. Dans le même temps, ces dispositifs sont utilisés à de nombreuses lignes de lumière synchrotron dans le monde.

Juste un prototype

Ce record du monde a été réalisé à une installation qui est juste un prototype. Le système définitif, qui profitera des expériences faites avec ce dernier, est actuellement en construction. L’une des particularités importantes de cette installation, baptisée OMNY (tOMography Nano crYo), sera la possibilité de refroidir l’échantillon tout en procédant aux mesures. Les rayons X endommagent les échantillons pendant la réalisation des mesures, entraînant une lente modification des échantillons, voire leur déformation, explique Mirko Holler. Résultat : la résolution de la mesure en souffre, notamment dans le cas d’objets sensibles comme les matériaux biologiques. Le refroidissement permet de réduire considérablement cet effet. Dès lors, nous pouvons aussi exploiter les avantages de la méthode pour effectuer des mesures sur des matériaux très sensibles aux radiations.

D’ici à ce que le nouveau microscope soit achevé, le prototype continuera d’être exploité dans le cadre d’analyses scientifiques, menées conjointement avec les utilisateurs de la SLS. Jusqu’ici, des matériaux comme la craie, le ciment, des cellules solaires et des fossiles ont été analysés en coopération avec d’autres institutions de recherche.

Texte : Paul Piwnicki


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l’institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l’énergie et l’environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d’environ CHF 350 millions.

Contact
Dr. Mirko Holler, Responsable de projet OMNY, Source de Lumière Suisse (SLS), Paul Scherrer Institut
Téléphone : +41 56 310 36 13, courriel : mirko.holler@psi.ch

Dr. Andreas Menzel, Responsable de beamline cSAXS, Source de Lumière Suisse (SLS), Paul Scherrer Institut
Téléphone : +41 56 310 37 11, courriel : andreas.menzel@psi.ch
Publication originale
X-ray ptychographic computed tomography at 16 nm isotropic 3D resolution
M. Holler, A. Diaz, M. Guizar-Sicairos, P. Karvinen, Elina Färm, Emma Härkönen, Mikko Ritala, A. Menzel, J. Raabe & O. Bunk
Scientific Reports 4, Article number: 3857,
DOI: 10.1038/srep03857