Bio toute, cette fois: le SwissFEL permet de visualiser des structures de protéines

Expérience pilote réussie sur des biomolécules à la nouvelle grande installation de recherche du PSI

La connaissance précise des processus biologiques qui se jouent dans le corps humain est une condition indispensable pour le développement de nouveaux principes actifs médicamenteux. A l’Institut Paul Scherrer PSI, le laser à rayons X à électrons libres SwissFEL a braqué pour la première fois sa puissante lumière sur des cristaux de protéines et permis ainsi de visualiser leur structure. Les propriétés spéciales du laser à rayons X rendent possible la conduite d’expériences complètement novatrices, au cours desquelles il est possible de visualiser des protéines en train de bouger et de changer de forme. En Suisse, cette nouvelle méthode n’est disponible qu’au PSI. A l’avenir, elle contribuera à la découverte de nouveaux médicaments.

Michael Hennig (à gauche) et Karol Nass à la station d’expérimentation au SwissFEL où leur expérience pilote a été menée. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)

Des chercheurs du PSI et de l’entreprise suisse leadXpro ont mené à terme leur première expérience sur des molécules biologiques au laser à rayons X à électrons libres SwissFEL, moins de deux ans après sa mise en service. Ils ont ainsi franchi avec succès une nouvelle étape importante avant 2019, date à laquelle la nouvelle grande installation de recherche du PSI sera ouverte à tous les utilisateurs des hautes écoles et de l’industrie pour qu’ils y mènent leurs expériences. Le SwissFEL est l’une des cinq installations au monde qui offre aux scientifiques la possibilité d’étudier des processus biologiques à l’intérieur de protéines ou de complexes de protéines au moyen de lasers à rayons X de haute énergie.

Les impulsions de rayons X extrêmement courtes du SwissFEL nous permettront à l’avenir non seulement d’étudier ici, au PSI, la structure de molécules, mais aussi de détecter leurs mouvements, se réjouit Karol Nass, physicien au PSI, qui a dirigé cette expérience. Nous serons ainsi en mesure d’observer et de comprendre de nombreux processus biologiques d’un tout autre point de vue.

Cela ouvre de nouvelles possibilités, notamment pour la recherche pharmaceutique. Michael Hennig, CEO de l’entreprise de biotechnologie leadXpro, en est convaincu. Sa société a son siège au Park innovaare au PSI. Elle étudie la structure de protéines qui assurent certaines fonctions importantes dans la membrane cellulaire et représentent ainsi des cibles adéquates pour des médicaments. C’est pourquoi, pour cette première expérience biologique au SwissFEL, le choix de Michael Hennig s’est porté sur une protéine membranaire qui joue un rôle important dans certaines maladies cancéreuses.

Faire la lumière sur l’inconnu

Les protéines membranaires sont impliquées dans de nombreux processus biologiques qui se jouent dans l’organisme et, à ce titre, elles représentent une clé pour de nouvelles options thérapeutiques; leur étude a d’ailleurs déjà été récompensée par plusieurs prix Nobel. Ces molécules de protéines solidement intégrées dans la membrane cellulaire sont responsables de la communication entre la cellule et son environnement. Quand un principe actif médicamenteux s’y arrime, elles changent de forme, par exemple, et acheminent ainsi un signal à l’intérieur de la cellule. Cela influence le métabolisme de la cellule et d’autres fonctions cellulaires. De nombreux médicaments aujourd’hui disponibles agissent déjà par l’intermédiaire de protéines membranaires. Cependant, dans la plupart des cas, on ne connaît pas encore le détail des modifications que les principes actifs déclenchent à ce niveau. On connaît le principe actif qui se lie et l’effet qu’il déclenche, précise Michael Hennig. En revanche, nous ne pouvons que spéculer sur la nature précise des modifications structurales de la protéine par le biais desquelles les signaux sont transmis. Notre objectif, au SwissFEL, est à présent de mieux comprendre cette dynamique ultrarapide avec laquelle les médicaments se couplent aux protéines membranaires et les mécanisme afférents. L’espoir des chercheurs est que les connaissances qui en résulteront permettront de développer de nouveaux principes actifs ciblés contre certaines maladies et de réduire les effets indésirables.

Flashs stroboscopiques de tous les superlatifs

Jusqu’ici, lorsqu’ils voulaient visualiser la structure de molécules complexes, les chercheurs utilisaient une méthode qui leur permettait d’observer des protéines à l’aide d’une installation de lumière synchrotron, au PSI également. Cette méthode consiste à préparer les protéines pour les rendre disponibles sous forme cristalline, autrement dit sous forme de structure périodique régulière. Lorsque la lumière de type rayons X d’un synchrotron percute cette grille cristalline, cette dernière la diffracte. La lumière est alors captée par un détecteur qui transmet les données à un ordinateur pour que ce dernier génère une image en 3D de la structure de la protéine. Ce principe de base est également appliqué au SwissFEL. Mais à la différence du synchrotron, le SwissFEL émet des flashs de rayons X plusieurs milliards de fois plus intenses, à intervalles très rapprochés (jusqu’à plusieurs centaines de flashs par seconde). Or chacun de ces flash détruit les cristaux. Il faut donc exposer aux rayons X jusqu’à plusieurs centaines de milliers de cristaux de la même protéine, les uns derrière les autres. Chaque flash qui percute un cristal de protéine génère là aussi un diagramme de diffraction au niveau du détecteur juste avant la destruction. Un logiciel complexe analyse alors ce diagramme avec des ordinateurs très puissants pour ensuite calculer une structure. Comme les flashs sont incroyablement courts, ils permettent aussi de visualiser des mouvements moléculaires très rapides, comme lors d’un ralenti.

Résolution maximale grâce à un détecteur du PSI

Le détecteur Jungfrau 16M au SwissFEL est le détecteur le plus récent et le plus volumineux du monde pour l’étude de biomolécules au moyen d’un laser à rayons X. 16M signifie 16 mégapixels. Les chercheurs ont développé pendant plus de cinq ans le détecteur 16M spécialement pour cette application. Sa construction s’est achevée en juin. Deux mois plus tard seulement, il faisait avec succès la démonstration de sa puissance, lors de cette première expérience au SwissFEL impliquant une biomolécule. Ce détecteur est quelque chose de très spécial, souligne Karol Nass. Il est vraiment peu bruyant avec une plage dynamique très importante, ce qui lui permet d’enregistrer une gamme d’intensités beaucoup plus large. Ce détecteur est comme une caméra, capable de traiter des contrastes très importants entre le clair et l’obscur. En raison de son intensité lumineuse extrêmement forte, cette propriété est particulièrement importante pour des mesures au SwissFEL.

Outre ce détecteur ultrasensible, les chercheurs apprécient au SwissFEL la possibilité d’analyser des cristaux beaucoup plus petits qu’à un synchrotron. D’un point de vue économique également, cet aspect est intéressant, estime Michael Hennig, car suivant la protéine, trouver une méthode qui permette de cultiver des cristaux peut s’avérer extrêmement complexe. Pour certaines protéines, on n’arrive actuellement qu’à fabriquer des cristaux très petits, explique-t-il. Au SwissFEL, nous avons maintenant la possibilité de les étudier. Cela nous permet de gagner énormément de temps, que nous devrions sinon consacrer à optimiser les cristaux. Nous obtenons ainsi plus vite des résultats.

Pour leadXpro, la collaboration avec le PSI, y compris l’accès à la grande installation SwissFEL, est une situation gagnant-gagnant, où les expertises des deux parties se complètent parfaitement. Dans le cadre de cette expérience pilote, un chercheur de leadXpro a cristallisé la protéine et l’a préparée pour l’analyse, avant de l’étudier avec des scientifiques du PSI au SwissFEL. Avec notre expérience, nous montrons que le SwissFEL permet de mener à la fois de la recherche fondamentale d’excellent niveau et de la recherche biopharmaceutique appliquée dont les patients bénéficieront, analyse Michael Hennig. Cela devrait permettre un jour de découvrir des principes actifs qui déboucheront sur d’importantes améliorations dans le traitement de certaines maladies – tout simplement en influençant des mouvements minuscules à l’intérieur des protéines.

Texte: Sabine Goldhahn


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 390 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l’Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).

(Mise à jour: mai 2018)

Informations supplémentaires
https://www.psi.ch/media/swissfel - Le SwissFEL au PSI
Contact
Dr Karol Nass
Laboratoire de macromolécules et bio-imagerie
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 39 78
E-mail: karol.nass@psi.ch [anglais]


Prof. Michael Hennig
CEO leadXpro AG
PARK INNOVAARE
5234 Villigen, Suisse
Téléphone: +41 79 770 97 24
E-mail: michael.hennig@leadXpro.com [allemand, anglais]