Une source térahertz, développée à l’Institut Paul Scherrer, permet de contrôler de manière ciblée la magnétisation d’un matériau en un laps de temps de l’ordre de la picoseconde (0,000 000 000 001 seconde). Dans le cadre de leur expérience, les chercheurs ont soumis à des impulsions lumineuses ultracourtes d’un laser un matériau magnétisé – tous les moments magnétiques (« aimants élémentaires ») y étaient donc alignés parallèlement. Le champ magnétique de l’impulsion lumineuse a pu écarter les moments magnétiques de leur position de repos, ces derniers ont suivi, avec un décalage infime, le tracé exact du champ magnétique du laser. Le laser térahertz utilisé dans cette expérience est l’un des plus puissants au monde. L’une de ses particularités est d’être stabilisé en phase. Cela signifie qu’il est possible de définir pour chaque impulsion, la forme temporelle exacte du champ électromagnétique de manière fiable et reproductible. Comme aujourd’hui, la plupart des données sont sauvegardées sur des supports magnétiques, la possibilité de modifier très vite la magnétisation d’un matériau est essentielle pour l’avènement de nouveaux systèmes rapides de stockage. Les chercheurs présentent leurs résultats dans la dernière édition de la revue spécialisée Nature Photonics.
Aujourd’hui, la majeure partie des données sont stockées sur des supports magnétiques, comme par exemple les disques durs. Le principe consiste à stocker un bit (la plus petite quantité d’information) dans la direction de magnétisation d’un petit domaine du média de stockage. Un matériau magnétique de ce genre recèle quantité de minuscules aimants : les moments magnétiques. Si l’on veut modifier l’information, il faut inverser l’alignement de ces moments. Et si l’on veut stocker rapidement de plus grandes quantités de données, on a besoin de procédés, qui permettent de modifier très vite les directions de magnétisation dans un matériau.
Magnétisation au rythme du laser térahertz
Les chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) et de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en collaboration avec leurs collègues français de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, ont étudié une nouvelle approche, qui permet de contrôler de manière ciblée la magnétisation d’un matériau dans un laps de temps de l’ordre de la picoseconde (0,000 000 000 001 seconde). A cet effet, ils ont utilisé un laser nouvellement développé, qui génère des impulsions lumineuses ultracourtes dans la bande spectrale des térahertz. Comme tout rayonnement électromagnétique, la lumière est composée d’un champ électrique et d’un champ magnétique, qui tous les deux, varient très vite, et s’orientent tantôt dans une direction, tantôt dans l’autre, en alternance. Dans la lumière d’un laser térahertz, ce changement de direction se produit environ 1’000 000 000 000 fois par seconde. Si l’on irradie avec cette lumière un matériau magnétisé, le champ magnétique variable de la lumière du laser peut modifier la direction de magnétisation dans le matériau – de la même manière qu’un aimant modifie la direction de l’aiguille d’une boussole, en fonction de l’endroit où on le place. Sauf qu’ici, la réorientation se fait en un laps de temps très court : moins d’une picoseconde.
Dans leur expérience, les chercheurs ont utilisé des « flashs » extrêmement courts de lumière térahertz. En termes techniques on parle d'impulsion laser. Contrairement à la lumière des lasers conventionnels, la lumière térahertz ne chauffe pas l’échantillon magnétique, ce qui permet une manipulation exacte de la magnétisation. Les flashs térahertz utilisés étaient si courts, que le champ magnétique avait tout juste le temps d’adopter tantôt telle direction, tantôt telle autre. Dans le matériau soumis à cette lumière, les moments magnétiques ont ainsi été déviés, d’abord dans une direction, puis dans l’autre. Ils ont suivi exactement le tracé du champ magnétique du flash lumineux avec un décalage infime.
Impulsions identiques
Le laser térahertz a été développé dans le groupe de recherche de Christoph Hauri, à l’Institut Paul Scherrer. Il y a quelques années encore, il n’existait pour ainsi dire pas de laser térahertz puissant : on parlait même de « fossé » technologique térahertz. Celui du groupe de recherche emmené par Christoph Hauri est l’un des plus puissants au monde. « Pour notre laser, nous utilisons des cristaux organiques spéciaux, qui réduisent la fréquence de la lumière du laser, explique Christoph Hauri. Si nous l’irradions avec un puissant laser à haute fréquence, le cristal émet un rayonnement à des fréquences de quelques térahertz. ». Ce développement a été rendu possible grâce à une fructueuse collaboration avec Rainbow Photonics, partenaire industriel suisse. Une autre propriété du laser est importante pour les expériences : sa stabilisation en phase. Cela signifie qu’il est possible de contrôler avec exactitude la forme temporelle du champ magnétique pour chaque impulsionet ce de manière prédictible et reproductible.
Le flash laser dans l’expérience présentée n’est pas encore assez intense pour pouvoir renverser complètement la magnétisation ; il a été seulement possible d’observer la dynamique, c’est-à-dire le mouvement de la magnétisation. Toutefois, l’expérience représente un objectif intermédiaire extrêmement important pour démontrer le concept de la manipulation ultrarapide et exacte du magnétisme au moyen d’un laser. Christoph Hauri se dit confiant quant à la réalisation prochaine d’un renversement complet de magnétisation. « Il existe des astuces pour renforcer les champs d’un laser peu puissant, détaille-t-il. De telle sorte qu’ils puissent commuter la magnétisation », explique-t-il. Par ailleurs, précise le chercheur, il faut aussi choisir une forme particulière d’impulsion, et produire une impulsion lors de laquelle le champ magnétique s’oriente d’abord faiblement dans une direction, puis fortement dans l’autre, pour finalement indiquer de nouveau faiblement la première. Si seule la partie d’intensité modérée de l’impulsion devait s’avérer assez puissante pour renverser la magnétisation, il serait possible d’utiliser ce genre d’impulsions pour démagnétiser et remagnétiser des matériaux. Or, des impulsions définies avec autant d’exactitude sont à présent disponibles au PSI.
Partie intégrante du Projet SwissFEL
A l’Institut Paul Scherrer, le développement du laser térahertz fait partie du Projet SwissFEL. Ce dernier est le futur laser à électrons libres Suisse, grand instrument en cours de construction au PSI. Il produira des impulsions de rayon X ayant les propriétés du laser, et rendra visibles de nombreux processus inaccessibles avec les méthodes d’analyse actuelles. C’est dans ce contexte que les lasers térahertz seront mis à profit. D’un côté, ils contribueront aux mesures des propriétés du rayon X pendant le fonctionnement. De l’autre, ils donneront, pour ainsi dire, le coup d’envoi de la réaction dans le cadre d’expériences, où il s’agira par exemple d’observer le déroulement de certaines réactions chimiques, dont l’état intermédiaire sera ensuite déterminé au moyen du laser à rayon X.
À propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer développe, construit et exploite de grandes installations de recherche complexes et les met à disposition de la communauté nationale et internationale. Les principales recherches de l'Institut sont centrées dans le domaine matière et matériaux, energie et environnement, santé. Avec 1500 collaborateurs et un budget annuel d'environ 300 millions CHF, le PSI est le plus grand centre de recherche de Suisse.
Contact
Prof. Dr. Christoph Hauri, Laser-Gruppe, Projet SwissFEL, Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI et Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne EPFL, SuisseTél: +41 (0)56 310 4197, Courriel: christoph.hauri@psi.ch; christoph.hauri@epfl.ch
Dr. Peter Derlet; Condensed Matter Theory Group, Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Tél: +41 (0)56 310 3164, Courriel: peter.derlet@psi.ch
Prof. Dr. Jan Luning, Université Pierre et Marie Curie, 75005 Paris, France
Courriel: jan.luning@upmc.fr;
Publication originale
Offresonant magnetization dynamics phase-locked to an intense phase-stable THz transientC. Vicario, C. Ruchert, F. Ardana-Lamas, P.M. Derlet, B. Tudu, J. Luning and C.P. Hauri
Nature Photonics, Advance Online publication, 11 August 2013
DOI: 10.1038/nphoton.2013.209