Une équipe internationale, à laquelle participe l’Institut Paul Scherrer PSI, montre comment la lumière peut modifier fondamentalement les propriétés des solides et comment ces effets pourraient être utilisés pour de futures applications. Les chercheurs synthétisent les progrès accomplis dans ce domaine – qui reposent notamment sur des expériences pouvant également être réalisées au laser à rayons X à électrons libres SwissFEL – dans la revue spécialisée Reviews of Modern Physics.
Dans leur article publié dans la revue Reviews of Modern Physics, les chercheurs, dont Simon Gerber du groupe Technologies quantiques à l’Institut Paul Scherrer PSI, décrivent comment la lumière peut modifier fondamentalement les propriétés des solides et comment ces effets pourraient être utilisés pour de futures applications. La synthèse de l’équipe décrit les derniers développements en science des matériaux ultrarapides. Elle se veut à la fois un guide à l’attention des étudiants qui démarrent dans ce domaine et une référence standard pour les spécialistes. Ont participé à sa rédaction, outre Simon Berger, chercheur au PSI: Michael Sentef et James McIver de l’Institut Max-Planck de structure et dynamique de la matière à Hambourg (Allemagne), Dante Kennes de l’Université d’Aix-la-Chapelle (RTWH, Allemagne), Alberto de la Torre (Brown University, Etats-Unis) et Martin Claassen (Université de Pennsylvanie, Etats-Unis). L’équipe discute d’expériences et de considérations théoriques sur la question de la réaction des solides à l’excitation par de courtes impulsions laser ou de celle du couplage lumière-matière lors de l’irradiation par la lumière.
En règle générale, un matériau est en équilibre thermique et est soumis aux lois de la thermodynamique, où les conditions extérieures (comme la température, la pression) déterminent complètement son comportement. Cependant, nombre d’applications pratiques nécessitent non seulement que l’on connaisse l’état d’équilibre d’un matériau donné, mais aussi ses excitations. «Si nous pouvions concevoir des états excités à volonté, cela permettrait l’avènement de nouvelles applications, explique Simon Gerber. Par exemple dans les domaines du traitement et du stockage ultrarapides de l’information, de la transmission d’énergie sans perte et de la technologie quantique.»
Comme un seconde par rapport à l’âge de l’univers
Au cours des dernières années, d’énormes progrès ont été accomplis dans le domaine des expériences pompe-sonde. Dans ces expériences, qui peuvent être réalisées au laser à rayons X à électrons libres SwissFEL, une impulsion laser «pompe» courte excite un matériau. On utilise ensuite des mesures stroboscopiques «sonde» pour créer des films au ralenti extrême de la dynamique qui en découle. «Grâce au progrès de la technologie, les scientifiques peuvent désormais contrôler les électrons, leurs degrés de liberté de spin et d’orbitale ainsi que le réseau cristallin des ions, relève Michael Sentef. Et surtout, nous sommes en mesure de suivre ces états contrôlés de la matière avec une résolution temporelle de l’ordre de la femtoseconde.» Une femtoseconde représente par rapport à une seconde ce qu’une seconde représente par rapport à l’âge de l’univers. Il s’agit donc d’un laps de temps incroyablement court.
Pour étudier ce domaine de recherche actif, les scientifiques ont formé une équipe qui regroupe aussi bien des expérimentateurs (Alberto de la Torre, James McIver et Simon Gerber) que des théoriciens (Martin Claassen, Dante Kennes et Michael Sentef). «Nous estimons qu’il est extrêmement important d’identifier des concepts généraux sur la façon dont nous pouvons contrôler les matériaux avec la lumière pour faire progresser des applications», explique Dante Kennes.
Combiner différentes techniques de sonde
Simon Gerber insiste sur l’idée encore nouvelle selon laquelle il est possible de combiner différentes techniques de sonde pour étudier simultanément différentes parties d’un système dynamique. «Lorsqu’on bombarde un matériau avec un laser, les électrons sont excités et les ions qui forment le réseau cristallin se mettent en mouvement en même temps, explique-t-il. Contrairement à l’équilibre thermique, où il y a toujours un équilibre entre les différents composants d’un système, le laser peut perturber cet équilibre, conduisant à des états de non-équilibre où l’énergie circule au sein du matériau de manière parfois inattendue. Il est très précieux de comprendre comment les différentes parties réagissent à l’excitation externe, mais aussi les unes aux autres. Cela nous a, par exemple, permis d’apprendre quelque chose sur les forces mutuelles entre les électrons et les ions en observant simultanément leur dynamique.» Michael Sentef ajoute que ces nouvelles perspectives ouvrent la voie à de futurs travaux: «Les connaissance ainsi acquises nous permettent, par exemple, de mieux comprendre quelles sont les forces qui poussent les électrons à former des supraconducteurs, autrement dit des matériaux qui conduisent le courant sans perte thermique et sont de fantastiques aimants.»
L’inspiration vient en alliant théorie et pratique
«Les nouvelles possibilités expérimentales stimulent aussi les idées théoriques qui, à leur tour, incitent les expérimentateurs à chercher des moyens pour réaliser ces idées, note Martin Claassen. Il y a une dizaine d’années, des théoriciens ont proposé, par exemple, d’utiliser de fortes sources de lumière pour modifier la topologie d’un matériau. La topologie est une propriété de mécanique quantique qui peut déboucher sur un transport de courant sans perte le long des surfaces, alors qu’aucun courant ne circule à l’intérieur. C’est ce qu’on appelle l’ingénierie de Floquet, du nom du mathématicien français qui a inventé un formalisme pour décrire des systèmes dynamiques mus par des forces périodiques dans le temps.»
Les états topologiques de Floquet qui en résultent ont été mesurés seulement récemment dans le cadre d’une expérience placée sous la houlette de James McIver. «Pour ce faire, nous avons dû inventer et construire une expérience complètement nouvelle, raconte celui-ci. Dans notre article de synthèse, nous soulignons les synergies qui émergent lorsque théorie et expérience vont de pair. Nous pensons que ce champ est mûr à présent pour passer de la découverte de nouveaux effets dans les matériaux commandés par laser à l’exploitation de ces effets pour des technologies potentielles.»
La clé pour y parvenir réside dans la collaboration scientifique, renchérit Alberto de la Torre: «L’utilisation des techniques de croissance des matériaux nous permet par exemple de développer des échantillons avec les états d’équilibre et d’excitation souhaités, qui peuvent ensuite être contrôlés par de courtes impulsions laser. Il s’agit clairement d’un travail d’équipe qui avance aussi bien grâce aux progrès de l’expérimentation qu’aux connaissances théoriques. Nous espérons que notre article de synthèse contribuera à renforcer encore la communauté et, surtout, qu’il convaincra des jeunes chercheurs de se lancer dans ce voyage scientifique.»
Texte basé sur un communiqué de presse de l’Institut Max-Planck de structure et dynamique de la matière
À propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: mai 2020)
Contact
Dr Simon Gerber
Responsable du groupe de recherche Technologies quantiques
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 39 65, e-mail: simon.gerber@psi.ch [allemand, anglais]
Dr Michael Sentef
Visitor du Pauli Center for Theoretical Studies à l'ETHZ-UZH-PSI
Responsable du groupe de recherche Emmy Noether
IMPRS Faculty
Center for Free-Electron Laser Science (CFEL)
Groupe Description théorique des spectroscopies pompe-sonde dans les solides
Institut Max-Planck de structure et de dynamique de la matière
Téléphone: +49 40 8998-88350, e-mail: michael.sentef@mpsd.mpg.de
Publication originale
Colloquium: Nonthermal pathways to ultrafast control in quantum materials
Alberto de la Torre, Dante M. Kennes, Martin Claassen, Simon Gerber, James W. McIver, Michael A. Sentef
Reviews of Modern Physics, 14.10.2021
DOI: 10.1103/RevModPhys.93.041002
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