De minuscules aimants imitent la vapeur, l’eau et la glace

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) ont créé un matériau artificiel à partir d’un milliard de minuscules aimants. Fait étonnant : il s’avère à présent que les propriétés magnétiques de ce métamatériau changent avec la température de sorte qu’il peut prendre des états différents, semblable à l’eau qui a un état gazeux, un état liquide et un état solide. Ce matériau à base de nano-aimants pourrait faire l’objet de développements ultérieurs pour des applications électroniques, par exemple pour rendre la transmission d’information plus efficace.

Des chercheurs du PSI ont créé un métamatériau à partir de nano-aimants allongés, qu’ils ont disposés de manière à former une structure en nid d’abeilles. L’ordre de magnétisation de ce matériau artificiel a adopté des états nettement différents en fonction des changements de température. De la même que les molécules d’eau sont plus ordonnées sous forme de glace que sous forme d’eau, et plus ordonnées sous forme d’eau que sous forme de vapeur. (Image : PSI/Luca Anghinolfi)

Un matériau artificiel – créé à partir d’un milliard de nano-aimants – adopte différents états d’agrégation suivant les températures : ce métamatériau présente des transitions de phase, comme les transitions entre la vapeur, l’eau et la glace. Cet effet a été observé par des chercheurs placés sous la houlette Laura Heyderman du PSI.  Nous avons été surpris et enthousiasmés , résume Laura Heyderman, qui a dirigé l’étude. q> Car seuls des systèmes complexes peuvent présenter des transitions de phase.  En même temps, des systèmes complexes peuvent contribuer à de nouvelles formes de transmission d’information. Le nouveau résultat d’étude montre donc que le métamatériau des chercheurs du PSI est un candidat potentiel dans ce domaine.

Le grand avantage du métamatériau artificiel réside dans le fait qu’il peut être façonné sur mesure, à volonté. Dans un matériau naturel, les différents aimants ne peuvent pas être réagencés à ce point et de manière aussi précise. Or avec les nano-aimants, c’est justement possible, expliquent les chercheurs.

Structure en nid d’abeille à base de nano-aimants

Les aimants ont la forme d’un grain de riz et une longueur de seulement 63 nanomètres. Les chercheurs ont utilisé une technologie de pointe pour placer un milliard de ces minuscules bâtonnets, de manière à obtenir une structure en nid d’abeille sur un fond plat. Dans l’ensemble, les nano-aimants couvraient ainsi une surface de tout juste 5 millimètres de côté.

Une technique de mesure spéciale a permis aux scientifiques d’observer le comportement magnétique collectif de leur métamatériau, d’abord à température ambiante. Là, l’orientation magnétique n’était gouvernée par aucun ordre : les pôles magnétiques nord et sud indiquaient l’une ou l’autre direction de manière complètement désordonnée.

Mais à force de refroidir graduellement le matériau, les chercheurs ont atteint un point où un ordre supérieur s’est instauré : les minuscules aimants se prenaient davantage en compte les uns et les autres. Et quand la température baissait davantage, cet ordre s’est encore renforcé et il semblait comme presque gelé. De manière similaire, l’ordre général des molécules d’eau s’accentue au moment où l’eau gèle.  Nous avons trouvé fascinant que notre matériau artificiel présente ce phénomène tout à fait courant de transition de phase , souligne Laura Heyderman.

Le métamatériau peut être façonné sur mesure

Lors d’une prochaine étape, les chercheurs pourraient influencer ces transitions de phase magnétiques, en modifiant la taille, la forme et l’agencement des nano-aimants. Cela permet de créer de nouveaux états de matière, qui pourraient aussi déboucher sur des applications :  Ce qu’il y a de spécial, c’est qu’avec des transitions de phase façonnées sur mesure, le métamatériaux pourraient à l’avenir être adaptés de manière ciblée pour différents besoins , relève Laura Heyderman.

Laura Heyderman, chercheuse au PSI et Professeur EPF Zurich, en discussion avec Peter Derlet du groupe de recherche Théorie de la matière condensée. (Image : PSI/Markus Fischer)

Hormis une possible utilisation pour la transmission d’informations, le métamatériau pourrait aussi se révéler utile dans le domaine du stockage de données ; ou encore sur des capteurs de champs magnétiques. De manière très générale, il pourrait être utilisé en spintronique, un développement prometteur de l’électronique pour une nouvelle technologie informatique.

Les mesures grâce auxquelles les chercheurs ont pu mesurer l’orientation magnétique des nano-aimants, et donc les propriétés du métamatériau, sont dues exclusivement au PSI. Les appareillages uniques au monde de la source de muons SμS fournissent des faisceaux de particules exotiques appelées muons, que l’on peut utiliser pour étudier des propriétés nanomagnétiques. L’étude a été menée en collaboration avec le groupe de recherche de Stephen Lee, de l’Université St Andrews en Ecosse.

Texte : Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l’institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l’énergie et l’environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d’environ CHF 380 millions.

(Mise à jour : Avril 2015)

Informations supplémentaires
Micro- et Nanotechnologie
Recherche avec des muons
Contact
Prof. Laura Heyderman, Laboratoire de micro et nanotechnologie, Institut Paul Scherrer,
téléphone : +41 56 310 2613, e-mail : laura.heyderman@psi.ch [allemand, anglais, français]

Dr Hubertus Luetkens, Laboratoire de spectroscopie muonique, Institut Paul Scherrer,
téléphone : +41 56 310 4450, e-mail: hubertus.luetkens@psi.ch [allemand, anglais]

Dr Peter Derlet, Groupe théorie des corps solides, Institut Paul Scherrer,
téléphone : +41 56 310 3164, e-mail : peter.derlet@psi.ch [anglais]
Publication originale
Thermodynamic phase transitions in a frustrated magnetic metamaterial
L. Anghinolfi, H. Luetkens, J. Perron, M.G. Flokstra, O. Sendetskyi, A. Suter, T. Prokscha, P.M. Derlet, S.L. Lee, and L.J. Heyderman,
Nature Communications 21 September 2015
DOI: 10.1038/ncomms9278