Des neutrons mettent en évidence la répartition d’îlots de tubes de flux

Normalement, les supraconducteurs repoussent les champs magnétiques appliqués. Mais à l’intérieur des supraconducteurs de type II, il se forme de fins canaux appelés tubes de flux par lesquels passe le champ magnétique, alors que le reste du matériau reste sans champ et supraconducteur. En règle générale, les tubes de flux présentent une répartition régulière. Mais dans le niobium (un métal), ces tubes de flux se regroupent en îlots et forment des schémas complexes, que l’on rencontre fréquemment dans la nature sous une forme analogue. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI et de l’Université technique de Munich (Technische Universität München: TUM) sont les premiers à avoir mené des expériences avec des neutrons pour analyser ces structures dans le niobium. Ils ont réussi à visualiser en détail la répartition des îlots. Avec cette base expérimentale, les chercheurs espèrent qu’à l’avenir, ils comprendront mieux comment ces structures universelles se constituent. Les résultats de leurs travaux ont été publiés dans la revue spécialisée Nature Communications.

Christian Grünzweig, chercheur au PSI, en train de monter l’échantillon à la station de mesure ICON de la source de neutrons de spallation SINQ pour une expérience sur les tubes de flux dans le niobium. (Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)
A l’intérieur du niobium, un métal supraconducteur, les tubes de flux qui se forment lorsqu’on applique un champ magnétique ne sont pas forcément répartis de manière régulière. Lorsque la température ou le champ magnétique atteint certaines valeurs, les tubes de flux se réunissent pour former des îlots. Les différents points sur l’image correspondent aux tubes de flux vus de dessus. (Nature Communications, CC BY 4.0)
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Les supraconducteurs sont capables de conduire le courant électrique sans la moindre résistance, ce qui fait d’eux des matériaux prometteurs pour toutes les applications où le courant doit être acheminé avec le moins de perte possible sur de longues distances. Mais ce n’est pas tout. Car les supraconducteurs ont encore d’autres propriétés, qui en font des objets passionnants pour la recherche fondamentale. Ils repoussent par exemple les champs magnétiques. Si on les approche d’un champ magnétique, ce dernier ne pénètre pas dans le supraconducteur, il le contourne. Et si le champ magnétique extérieur est encore intensifié, le matériau perd ses propriétés supraconductrices à partir d’une certaine valeur du champ. Dans les supraconducteurs spéciaux, dits de type II, il existe en revanche un compromis entre la supraconductivité et la répulsion du champ. Il se forme de fins canaux – appelés tubes de flux – qui permettent au champ magnétique de passer à travers le supraconducteur. Hors des tubes de flux, le matériau reste supraconducteur.

Des îlots de tubes de flux

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI et de l’Université technique de Munich (Technische Universität München: TUM) ont à présent passé au crible la disposition et la répartition des tubes de flux dans le niobium, un métal supraconducteur. Ils ont aussi été les premiers à les visualiser à l’intérieur d’un échantillon volumineux – jusqu’ici, seule la surface du matériau avait été visualisée. Or les tubes de flux dans le niobium présentent un comportement particulier: ils ne se répartissent pas forcément de manière régulière dans le matériau, mais composent parfois des îlots de forme complexe entre lesquels se trouvent des zones sans tubes de flux (les spécialistes parlent d’Intermediate-Mixed-State, d’état intermédiaire mixte).

Les chercheurs ont directement mis en évidence les parties de l’échantillon de niobium où apparaissaient les îlots de tubes de flux et les modifications que subissait leur structure lorsque le champ magnétique s’intensifiait. Pour ce faire, ils ont utilisé des neutrons comme sonde de mesure dans le cadre de différentes expériences à la source de neutrons SINQ au PSI et à la source neutronique de recherche FRM de la TUM. Les chercheurs ont chaque fois dirigé un faisceau de neutrons à travers le matériau étudié et observé la manière dont les neutrons étaient déviés de leur trajectoire. Les neutrons se prêtent tout particulièrement à ces analyses, car ils ont une manière unique d’être diffractés à travers les tubes. Dans le cadre de la première expérience, les chercheurs ont mesuré cette déviation de manière très précise. Ils ont ainsi réussi à estimer la taille des îlots et à sonder la disposition des tubes de flux. La méthode qu’ils ont utilisée est connue sous le nom de diffusion neutronique aux petits angles, car dans ce cas, les neutrons ne subissent qu’une faible déviation. Mais cette expérience n’a pas permis d’établir si les îlots étaient répartis régulièrement dans l’ensemble du matériau ou s’ils se concentraient dans certaines zones.

De fines grilles pour visualiser des structures de l’ordre du micromètre

Pour pouvoir quand même visualiser la répartition des tubes de flux, les chercheurs du PSI et de la TUM ont utilisé une nouvelle méthode, basée sur le principe de l’interférométrie de neutrons. Lors de l’expérience, les neutrons sont dirigés à travers plusieurs grilles, c’est-à-dire à travers des agencements de lignes très fines, tantôt perméables, tantôt imperméables aux neutrons. Au-delà des grilles, il se forme un schéma de superposition, où alternent des zones avec beaucoup de neutrons et des zones avec peu de neutrons. Si l’on observe la manière dont le schéma change lorsqu’on place un échantillon dans le faisceau, il est possible de tirer des conclusions sur l’intérieur de l’échantillon. L’interférométrie nous permet d’étudier des structures de l’ordre du micromètre, autrement dit de la taille d’îlots de tubes de flux, explique Christian Grünzweig. Responsable de l’expérience au PSI, ce chercheur a contribué au développement de l’interférométrie. La méthode a permis de visualiser la répartition des îlots de tubes de flux dans l’espace, alors que ces derniers sont plus petits que les pixels du détecteur pris isolément et devraient donc rester impossibles à visualiser. Etonnamment, il s’est avéré que les îlots ne se formaient pas au bord de l’échantillon, mais à l’intérieur.

Le résultat de l’expérience: l’échantillon a été soumis à des champs magnétiques toujours plus puissants (augmentant de gauche à droite) et été radiographié avec des neutrons, parallèlement aux tubes de flux. Les zones claires sont celles où les tubes de flux forment des îlots. Lorsque les champs sont plus faibles, les îlots remplissent l’intérieur de l’échantillon sans apparaître au bord de ce dernier. (Nature Communications, CC BY 4.0)

Des îlots comme système modèle

Dans le niobium, les tubes de flux et les îlots qui les réunissent forment des structures et des schémas typiques qui apparaissent de manière analogue dans de nombreux systèmes physiques et chimiques, aux échelles de longueur et de temps les plus diverses, par exemple dans les domaines magnétiques, dans les microstructures de certains alliages ou dans les réactions de diffusion chimiques, explique Tommy Reimann, doctorant à la TUM et premier auteur de l’étude. La modification du champ magnétique ou de la température permet d’étudier de manière unique l’apparition de ce genre de schémas dans le "système modèle" du niobium et de tirer des conclusions très générales sur leur apparition. En même temps, soulignent les auteurs, la base expérimentale présentée dans cette étude se prête aussi à l’analyser de presque tous les systèmes qui développent des structures de l’ordre du micromètre.

Texte: Institut Paul Scherrer/Paul Piwnicki


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 380 millions.

(Mise à jour : Avril 2015)

Informations supplémentaires
Groupe de recherche Radiographie neutronique et activation (NIAG) à l'Institut Paul Scherrer PSI (en anglais)

Heinz Maier-Leibnitz Zentrum à Garching (en allemand et en anglais)

Contact
Dr Christian Grünzweig, Groupe de recherche Radiographie neutronique et activation,
Institut Paul Scherrer, Suisse
Téléfone: +41 56 310 4662; e-mail: christian.gruenzweig@psi.ch

M.Sc. Tommy Reimann, Source neutronique de recherche au Heinz Maier-Leibnitz Zentrum, Technische Universität München, Allemagne
Téléfone: +49 89 289 11769; e-mail: tommy.reimann@frm2.tum.de
Publication originale
Visualizing the morphology of vortex lattice domains in a bulk type-II superconductor
T. Reimann, S. Mühlbauer, M. Schulz, B. Betz, A. Kaestner, V. Pipich, P. Böni und C. Grünzweig,
Nature Communications 2. November 2015
DOI: 10.1038/ncomms9813