Du boson de Higgs aux nouveaux médicaments

Nouveau détecteur ultrarapide à l’Institut Paul Scherrer

L’entreprise suisse DECTRIS, une spin-off de l’Institut Paul Scherrer PSI, fondée en 2006 et aujourd’hui très prospère, est un exemple parfait d’apport tangible de la recherche fondamentale à l’économie. Le produit qui a débouché sur la création de cette entreprise, il y a dix ans, était un détecteur dont la mise au point s’inscrivait dans la recherche du boson de Higgs. Le dernier développement de DECTRIS est à présent sur le marché: il s’agit d’un détecteur particulièrement précis nommé EIGER, utilisé aux grands instruments de recherche pour réaliser des mesures à l’aide d’un faisceau de rayons X. Le dernier modèle d’EIGER fait ses preuves à la Source de Lumière Suisse (SLS) depuis l’automne 2015. Actuellement, les chercheurs rédigent leurs premières publications scientifiques sur les expériences réalisées au moyen du nouveau détecteur. EIGER permet aux chercheurs de mesurer certaines protéines, mieux et plus précisément qu’avant. Ce progrès revêt un très grand intérêt pour le développement de médicaments. Le procédé pourrait permettre de découvrir des alternatives aux antibiotiques dont nous avons urgemment besoin.

Justyna Wojdyla, scientifique au PSI, et Michel Stäuber, ingénieur chez DECTRIS, au détecteur de rayons X EIGER X 16M, le plus puissant que la spin-off ait produit à ce jour. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)
L’EIGER X 16M à la ligne de faisceau dite PXI de la Source de Lumière Suisse (SLS) au PSI. Le nouveau détecteur y a été mis en service le 14 octobre 2015. Depuis, il permet aux chercheurs de mesurer certaines protéines, mieux et plus précisément qu’avant. (Photo: Institut Paul Scherrer /Markus Fischer)
Gros plan sur le pixel d’un appareil DECTRIS. Comme son nom l’indique le nouvel EIGER X 16M compte 16 millions de pixels d’image de ce type. Sa capacité à traiter l’image extrêmement rapidement lui permet par ailleurs d’enregistrer plus de 100 images par seconde. (Photo: Institut Paul Scherrer)
Roland Horisberger, scientifique au PSI, avec le support destiné au détecteur à pixels installé au CERN. Le développement de ce détecteur, destiné entre autres à la recherche du boson de Higgs, a commencé au milieu des années 1990. Bien des années plus tard, il a notamment entraîné la fondation de l’entreprise DECTRIS. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)
Bernd Schmitt avec le module d’un ancien détecteur PILATUS. Bernd Schmitt dirige le groupe de recherche pour le développement des détecteurs à la Source de Lumière Suisse (SLS). Dans le domaine des détecteurs de rayons X destinés à de grands instruments de recherche dans le monde entier, son groupe de travail figure parmi les leaders. (Photo: Institut Paul Scherrer /Markus Fischer)
Vincent Olieric, scientifique au PSI, est expert dans le domaine des protéines et autres molécules biologiques, mais aussi dans le domaine du rayonnement synchrotron. A présent, ses collègues et lui travaillent aussi avec le nouveau EIGER X 16M aux lignes de faisceau de la SLS, spécialement équipées pour résoudre les structures de protéines. (Photo: Institut Paul Scherrer /Markus Fischer)
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EIGER est le nom d’un appareil qui facilite depuis peu le travail de chercheurs, entre autres dans le domaine du développement de médicaments. Il s’agit d’une sorte d’appareil photo de rayons X ultrarapide. Plus précisément, EIGER est un détecteur qui permet de réaliser des mesures au moyen d’un faisceau de rayons X aux grands instruments de recherche. Cet appareil est une nouveauté mise au point par l’entreprise suisse DECTRIS à Baden-Dättwil et l’Institut Paul Scherrer PSI.

Dans le domaine du développement des détecteurs, la série EIGER représente un saut d’échelle. Particularités des appareils qui la composent: leur nombre élevé de pixels, comparables aux pixels d’un appareil photo numérique, mais aussi leur capacité à traiter l’image de manière extrêmement rapide. Le modèle EIGER le plus rapide peut enregistrer jusqu’à 3000 images par seconde. Autrement dit, le détecteur génère chaque seconde la même quantité de données que celle que peut contenir un DVD.

Le modèle EIGER qui compte le plus grand nombre de pixels, 16 millions en tout, s’appelle EIGER X 16M. Le tout premier exemplaire a été mis en service le 14 octobre 2015 au laboratoire de cristallographie de la Source de Lumière Suisse (SLS) au PSI. Actuellement, les chercheurs rédigent leurs premières publications sur les éléments de connaissance scientifiques que le nouveau détecteur leur a permis de gagner. La boucle est ainsi bouclée, car l’entreprise DECTRIS, fondée il y a une dizaine d’années, est issue de la recherche et développement au PSI.

Destiné à la recherche du boson de Higgs au CERN

Tout a commencé au milieu des années 1990, lorsque le PSI s’est vu confier la mission de développer pour le CERN un nouveau type de détecteur de particules, destiné à la recherche du boson de Higgs – lequel a été découvert entre-temps. Roland Horisberger, physicien au PSI, s’était alors attelé à la tâche et a consacré les douze années suivantes à développer avec ses collaborateurs un détecteur à pixels d’un genre nouveau, capable de faire face à d’importantes quantités de particules au CERN.

Les chercheurs du PSI ont acquis ainsi une connaissance qu’ils ont mise à profit pour leur propre institut: ils ont adapté leur détecteur de manière à ce qu’il puisse capter les rayons X de la Source de Lumière Suisse (SLS) à la place des particules. Ce nouveau détecteur de rayons X, les chercheurs l’ont baptisé PILATUS. «Le développement du PILATUS a représenté une énorme opportunité pour le PSI, explique Bernd Schmitt, qui dirige aujourd’hui le groupe de recherche pour le développement de détecteurs à la SLS. Il est venu compléter à la perfection la SLS, qui était encore jeune à l’époque.» Avant même que la version d’origine du détecteur ne soit mise en exploitation au CERN, des détecteurs PILATUS fournissaient déjà de précieuses données au PSI.

De la recherche fondamentale à l’entreprise prospère

Le détecteur PILATUS n’a pas tardé à susciter l’intérêt d’autres chercheurs. Pour en faire un produit commercialisable, les développeurs ont fondé en 2006 l’entreprise DECTRIS, spin-off du PSI. Alors qu’elle ne comptait à ses débuts qu’une poignée de collaborateurs, DECTRIS est actuellement une entreprise suisse de taille considérable avec environ 80 employés.

Aujourd’hui encore, DECTRIS collabore étroitement avec le PSI. La micropuce au cœur du détecteur EIGER a été développée à la base au PSI, également par des chercheurs emmenés par Roland Horisberger. «DECTRIS a produit sur cette base le détecteur complet en quelques années seulement», reconnaît Roland Horisberger.

La Commission suisse pour la technologie et l’innovation (CTI) a très vite identifié le potentiel du partenariat entre l’Institut Paul Scherrer et DECTRIS, et encouragé le développement du détecteur EIGER jusqu’au produit final. Pendant cette phase, EIGER a fait l’objet de tests intensifs lors d’expériences réelles à la SLS. Pour finir, le premier EIGER X 16M au monde a été mis en service au laboratoire de cristallographie à la SLS.

L’analyse de structures de protéines contribue au développement de nouveaux médicaments

Au laboratoire de cristallographie, des scientifiques du PSI, des scientifiques invités, mais aussi des chercheurs travaillant sur mandat de l’industrie, déterminent la structure de protéines les plus diverses. Les protéines sont des molécules biologiques complexes présentes dans les cellules; ce sont les composants essentiels de la vie. Chaque type de protéine assume une tâche spécifique dans l’organisme. Les protéines sont composées de milliers d’atomes agencés en plusieurs niveaux. Cette structure complexe détermine le mode de fonctionnement de la protéine dans l’organisme et revêt à ce titre un grand intérêt pour les chercheurs. L’industrie pharmaceutique, notamment, s’intéresse à la structure de protéines données pour pouvoir développer des médicaments taillés sur mesure qui n’agissent que sur ces protéines, c’est-à-dire de manière très spécifique.

Une stratégie récente vise par exemple à inhiber une protéine qui réplique l’ADN de certaines bactéries. Cette protéine bactérienne ressemble beaucoup à la protéine correspondante chez l’être humain, mais lorsqu’on connaît en détail la légère différence qui les sépare, il est possible de développer un produit qui n’attaque que la protéine bactérienne. En raison de sa complexité, il est toutefois très difficile de déterminer la structure exacte des protéines. La cristallographie aux rayons X est un procédé conventionnel utilisé à cet effet. On fait croître de petits cristaux de quelques micromètres à partir de nombreux exemplaires d’une protéine donnée. Il est ensuite possible de les analyser à l’aide d’un faisceau de rayons X très fin et très intense, que seules quelques installations dans le monde, dont la SLS, sont capable de fournir. Cette méthode permet de tirer des conclusions sur l’agencement des atomes et donc sur la structure de la protéine étudiée. Au cours des dix dernières années, on a ainsi réussi à déchiffrer la structure de quelque 4000 protéines différentes, ce qui fait de la SLS est l’une des installations les plus productives du monde.

Des images à grande vitesse et des centaines de cristaux

Mais la croissance des cristaux est déjà délicate. «Il est souvent nécessaires d’analyser des centaines de cristaux pour en avoir un seul qui fournisse une image nette et donc utilisable dans la diffraction des rayons X», explique Vincent Olieric, scientifique au laboratoire de cristallographie à la SLS. Si l’on veut pouvoir mesurer tous ces cristaux dans un délai acceptable, il faut premièrement que le changement d’échantillon s’opère très rapidement. «A la main, cela prendrait beaucoup trop de temps, relève Vincent Olieric. Chez nous, c’est donc un robot qui remplace un cristal après l’autre, à une cadence de moins d’une minute.»

Deuxièmement, il faut que le temps de mesure alloué à chaque échantillon soit bref. Là, les chercheurs profitent de l’extrême rapidité du traitement d’image d’EIGER. «La mesure complète de chaque cristal est de l’ordre de quelques minutes», précise encore Vincent Olieric.

La rapidité d’EIGER offre ainsi aux chercheurs une chance réelle de trouver un cristal utilisable et donc de déchiffrer la structure des protéines, même les plus complexes. De la sorte, l’EIGER pourrait contribuer à montrer la voie vers de nouveaux médicaments, notamment vers des alternatives aux antibiotiques. A l’ère où les résistances bactériennes augmentent, ce domaine de recherche revêt une importance primordiale.

Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 380 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l' ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l’Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).

A propos de DECTRIS

DECTRIS se voit comme un leader en matière de technologie des détecteurs de rayons X. Grâce à des capteurs semi-conducteurs innovants, ces détecteurs assurent une conversion directe des rayons X avec une sensibilité maximale. Chaque photon est capté et lu un à un, ce qui élimine complètement le bruit électronique de l’image. L’objectif est d’améliorer les méthodes de mesure par rayons X à l’aide de capteurs permettant d’enregistrer avec une précision maximale des données sous forme de rayons X et de fournir des informations aussi nombreuses et précises que possible. Ces détecteurs sont utilisés aux grands instruments de recherche, dans des laboratoires académiques et dans l’industrie.

L’entreprise a son siège à Baden-Dättwil. Elle est responsable du développement, de la production et de la distribution mondiale de ses détecteurs. DECTRIS a reçu en 2010 le Swiss Economic Award, un prix prestigieux qui distingue certaines startups de Suisse.

Informations complémentaires
Communiqué de presse sur EIGER X 16M (en anglais)
Brève présentation de l’entreprise DECTRIS (en anglais)
Site Internet de l’entreprise DECTRIS (en anglais)
Contact
Dr Oliver Bunk, directeur du laboratoire de macromolecules et bio-imagerie, Institut Paul Scherrer
Téléphone: +41 56 310 30 77, e-mail: oliver.bunk@psi.ch (allemand, anglais)

Dr Vincent Olieric, laboratoire de macromolecules et bio-imagerie, Institut Paul Scherrer
Téléphone: +41 56 310 52 33, e-mail: vincent.olieric@psi.ch (anglais, français)

Prof. Roland Horisberger, chef du groupe physique des hautes énergies, Institut Paul Scherrer
Téléphone: +41 56 310 32 06, e-mail: roland.horisberger@psi.ch (allemand, anglais)

Dr Bernd Schmitt, chef du groupe développement des détecteurs à la Source de Lumière Suisse, Institut Paul Scherrer
Téléphone: +41 56 310 23 14, e-mail: bernd.schmitt@psi.ch (allemand, anglais)

Dr Andreas Förster, scientifique d’application en christallographie macromoleculaire, DECTRIS
Téléphone: +41 56 500 21 76, e-mail: andreas.foerster@dectris.com (allemand, anglais)