Elucidation du mécanisme d’une pompe à sodium contrôlée par la lumière

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI ont réussi une première: réaliser des prises de vue d’une pompe à sodium en action, plus précisément d’une pompe à sodium sensible à la lumière, provenant de cellules bactériennes. Ces éléments de connaissance sont prometteurs pour le développement de nouvelles méthodes dans le domaine de la neurobiologie. Pour leurs analyses, les chercheurs ont utilisé le nouveau laser à électrons libres émettant des rayons X, le SwissFEL. Ils publient aujourd’hui leurs résultats dans la revue spécialisée Nature.

Petr Skopintsev (à gauche), Jörg Standfuss (au centre) et Christopher Milne (à droite) à la station expérimentale d'Alvra au laser à électrons libres à rayons X SwissFEL
(Photo: Institut Paul Scherer/Mahir Dzambegovic)

Le sodium, que contient aussi le sel de cuisine conventionnel, joue un rôle essentiel pour certains processus vitaux de la plupart des cellules biologiques. Ainsi, nombre de cellules forment un gradient de concentration entre l’intérieur et leur environnement. A cet effet, des pompes spéciales situées dans la membrane cellulaire évacuent du sodium hors de la cellule. C’est ce gradient de concentration qui permet par exemple aux cellules de l’intestin grêle ou aux cellules des reins d’absorber certains sucres.

Ces pompes à sodium sont présentes aussi dans les membranes de certaines bactéries. Elles font partie d’une famille de protéines appelée rhodopsine. Il s’agit de protéines spéciales qui sont activées par la lumière et transportent le sodium hors de la cellule, par exemple chez des bactéries marines comme Krokinobacter eikastus. Le composant déterminant de la rhodopsine est ce qu’on appelle le rétinal, une forme de la vitamine A. Son importance est cruciale pour les êtres humains, les animaux et de nombreuses bactéries. Dans la rétine de l’œil humain, par exemple, c’est le rétinal qui déclenche le processus de la vision lorsqu’il change de forme sous l’influence de la lumière.

Prises de vue ultrarapides

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI viennent de réussir à réaliser des prises de vue de la pompe à sodium de Krokinobacter eikastus en action et, ce faisant, à documenter les modifications moléculaires qui sont nécessaires au transport de sodium. Pour ce faire, ils ont utilisé une méthode appelée cristallographie sérielle à l'échelle de la femtoseconde. Une femtoseconde équivaut à un millionième de milliardième de seconde et une milliseconde équivaut à un millième de seconde. Le principe est le suivant: l’échantillon à analyser – en l’occurrence une pompe à sodium cristallisée – est touché de manière décalée, d’abord par un faisceau laser et ensuite par un faisceau de rayons X. Dans le cas de la rhodopsine bactérienne, le laser active le rétinal et le faisceau de rayons X qui lui succède fournit des données sur les modifications structurales qui se jouent dans toute la molécule protéique. Le fait que le SwissFEL produise 100 de ces impulsions, de l'ordre de la femtoseconde, de rayons X par seconde permet de réaliser des images à haute résolution temporelle. «Au PSI, seul le SwissFEL nous donne la possibilité d’obtenir une résolution temporelle de l’ordre de la femtoseconde, explique Christopher Milne, qui a codéveloppé la station expérimentale Alvra où les prises de vue ont été réalisées. L’un des défis était de réussir à injecter les cristaux dans le dispositif expérimental de telle manière que les impulsions du laser et des rayons X les rencontrent très précisément.»

Pompe en action

Dans l’essai actuel, les intervalles temporels entre le faisceau laser et le faisceau de rayons X étaient compris entre 800 femtosecondes et 20 millisecondes. Chaque impulsion de rayons X génère une image individuelle d’un cristal de protéine. De la même manière qu’un film se compose d’un grand nombre d’images individuelles qui sont mises bout à bout et ensuite lues à grande vitesse, les différentes images obtenues grâce au SwissFEL peuvent elles aussi être assemblées pour former une espèce de film.

«Le processus que nous avons réussi à observer avec notre expérience correspond au transport d’un ion de sodium à travers la membrane cellulaire et dure 20 millisecondes environ, explique Jörg Standfuss, qui dirige le groupe de recherche de Cristallographie à résolution temporelle dans la division de recherche de Biologie et Chimie au PSI. Outre l’élucidation du processus de transport, nous avons réussi à mettre en évidence les petites modifications dans la structure de la pompe à sodium qui déterminent sa spécificité pour le sodium.» Cette spécificité garantit que seuls les ions de sodium sont transportés, et non d’autres ions chargés positivement. Avec leurs analyses, les chercheurs ont par ailleurs révélé les modifications moléculaires par le biais desquelles la pompe empêchait les ions de sodium acheminés hors de la cellule de refluer à nouveau vers l’intérieur de cette dernière.

Progrès dans les domaines de l’optogénétique et de la neurobiologie

Les différences de concentration de sodium jouent également un rôle particulier dans la transmission de l’influx nerveux et les neurones possèdent eux aussi de puissantes pompes à sodium dans leur membrane. Il y a transmission d’un stimulus lorsque le flux de sodium vers l’intérieur de la cellule augmente. Puis les pompes évacuent à nouveau l’excédent de sodium vers l’extérieur.

Comme la pompe à sodium de Krokinobacter eikastus est contrôlée par la lumière, les chercheurs sont à présent en mesure de l’utiliser dans un domaine appelé optogénétique. Cette technologie permet de modifier génétiquement des cellules – en l’occurrence des cellules nerveuses – de telle sorte qu’elles soient contrôlables par la lumière. Il s’agit d’insérer la pompe dans des cellules nerveuses par recours à des méthodes de génétique moléculaire. Une fois que la pompe est activée par la lumière, le neurone ne peut plus, par exemple, transmettre de stimulus: il faudrait pour cela que la concentration de sodium augmente dans la cellule nerveuse, mais la rhodopsine bactérienne l’en empêche en évacuant le sodium hors de la cellule de manière ininterrompue. Autrement dit, des pompes à sodium actives, inactivent un neurone.

«Si nous comprenons ce qui se passe précisément dans la pompe à sodium de la bactérie, cela peut nous aider à améliorer les expériences dans le domaine de l’optogénétique, relève Petr Skopintsev, doctorant dans le groupe de recherche de Cristallographie à résolution temporelle. Cela permet par exemple d’identifier des variantes de la rhodopsine bactérienne qui travaillent de manière plus efficace que la forme que l’on trouve communément dans Krokinobacter.» Par ailleurs, les chercheurs espèrent obtenir des éléments de connaissance sur la manière dont certaines mutations peuvent modifier les pompes à sodium de telle sorte que ces dernières transportent d’autres ions que le sodium.

Les chercheurs publient aujourd’hui leurs résultats dans la revue spécialisée Nature.

Texte: Institut Paul Scherrer/Sebastian Jutzi


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 407 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: mai 2019)

Contact

Dr Jörg Standfuss
Chef du groupe de recherche de Cristallographie à résolution temporelle
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 25 86, e-mail: joerg.standfuss@psi.ch [allemand, anglais]

Publication originale 

Femtosecond to millisecond structural changes in a light-driven sodium pump
Petr Skopintsev et al.

Nature, 20 mai 2020
DOI: 10.1038/s41586-020-2307-8