La bonne mise en lumière

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI ont réussi à visualiser de la lumière térahertz grâce à une technologie de caméra disponible dans le commerce. Non seulement ils ouvrent ainsi la voie vers une alternative économique aux procédés en principe utilisés jusqu’ici. Mais ils ont aussi réussi à multiplier par vingt-cinq la résolution de l’image en comparaison. Grâce à ses propriétés particulières, la lumière térahertz est intéressante pour de nombreuses applications, qui vont de la technique de sécurité au diagnostic médical. Pour la recherche aussi, elle représente un instrument important. Au PSI, elle sera utilisée dans le cadre des expériences au laser à électrons libres SwissFEL. Le laser térahertz développé au PSI est actuellement la source térahertz la plus intense du monde. Les chercheurs présentent leurs résultats dans le magazine scientifique Nature Communications.

Christoph Hauri, Carlo Vicario et Mostafa Shalaby (de gauche à droit), chercheurs au PSI, dans le laboratoire laser du PSI. Le laser térahertz développé au PSI est actuellement la source térahertz la plus intense du monde. (Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)
Mostafa Shalaby avec le capteur CCD. Sa résolution est vingt-cinq fois supérieure à celle des capteurs utilisés jusqu’ici pour visualiser la lumière térahertz. (Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)
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Du contrôle de sécurité au dépistage de tumeurs : si l’on veut identifier des structures cachées, la lumière térahertz est un outil qui présente un grand potentiel. Elle traverse sans difficulté le papier, le plastique ou les textiles, et permet de visualiser les objets qui se trouvent derrière. Et même si sa profondeur de pénétration dans le tissu biologique n’est que de quelques microètres, elle est dotée d’une propriété qui la rend particulièrement intéressante pour le diagnostic : contrairement aux rayons X, elle n’endommage pas le tissu.

La raison de cette douceur : la lumière térahertz est faite de particules (photons) qui possèdent relativement peu d’énergie. Une propriété qui fait d’elle un instrument important pour la recherche également. Elle permet de lancer des processus sans que le déclencheur ne laisse des traces. Comme par exemple pour l’exploration de nouveaux matériaux destinés au stockage magnétique de données, où des flashes térahertz permettent de modifier instantanément la magnétisation ou les propriétés optiques du matériau à étudier.

Trop douce pour des capteurs puissants

Si cette propriété de la lumière térahertz est très pratique, elle est aussi à l’origine de nombreux casse-têtes, précisément en raison de sa faible énergie photonique. Jusqu’ici, pour visualiser la lumière térahertz, il fallait recourir à ce qu’on appelle des bolomètres. Ces détecteurs sont très chers, mais aussi très sensibles aux influences de l’environnement, surtout à la chaleur. Il suffit de tenir la main trop près du détecteur pour que le résultat soit déjà faussé. Par ailleurs, la résolution d’image maximale est relativement faible.

Jusqu’ici, il n’était pas possible d’utiliser pour la lumière térahertz les capteurs appelés capteurs CCD. Ceux-ci sont robustes, déjà largement utilisés dans la recherche et permettent aux smartphones et aux caméras vidéo de livrer une image très nette. Motif : on ne disposait que de lumière térahertz trop faible pour ces capteurs CCD, si bien que ces derniers ne réagissaient pas.

L’intensité pour une image plus nette

Grâce à un laser térahertz plus puissant développé au PSI, des chercheurs du PSI emmenés par Christoph Hauri ont à présent réussi à dépasser les barrières de sensibilité des capteurs CCD. Contrairement aux sources laser térahertz disponibles jusqu’ici, le laser développé au PSI se distingue par une intensité particulièrement élevée, explique Christoph Hauri.

Avec leur expérience, les chercheurs ont réussi à montrer qu’il est possible de visualiser la lumière térahertz intense du PSI avec un modèle de capteur CCD disponible dans le commerce. Cela représente un jalon scientifique important : Maintenant que la lumière térahertz est suffisamment intense pour pouvoir être visualisée au moyen d’un capteur CCD, nous obtenons des images avec une résolution dix fois supérieure à celle d’un bolomètre, se réjouit Mostafa Shalaby, qui a mené l’expérience. Ceci est dû au fait que la taille du pixel du capteur CCD ne représente qu’un cinquième environ de celle du bolomètre. Et comme il est désormais possible d’utiliser le capteur CCD, un autre avantage important peut être pleinement mis à profit : sa sensibilité négligeable aux influences de l’environnement, comme la chaleur.

Ne plus tâtonner dans l’obscurité

Le laser térahertz intense du PSI a été développé spécialement pour de futures applications au SwissFEL. Le laser à électrons libres SwissFEL est actuellement en construction au PSI et sera mis en service dès fin 2016. Il produira des impulsions de rayons X ayant les propriétés du laser. Le fait qu’il soit désormais possible de visualiser la lumière térahertz avec des capteurs CCD apportera une série d’avantages. Les lasers térahertz seront utilisés en association avec la lumière de type rayons X du SwissFEL. Si l’on veut par exemple explorer de nouveaux matériaux pour le stockage magnétique de données, une impulsion du laser térahertz déclenche le changement de magnétisation dans un échantillon du matériau à étudier. L’impulsion laser à rayons X du SwissFEL irradie ensuite l’échantillon durant quelques femtosecondes. Cela permet de découvrir ce qui s’est passé dans l’échantillon pendant ces femtosecondes.

Le fait que la lumière térahertz puisse être à présent visualisée au moyen de capteurs CCD dans son environnement d’expérimentation est particulièrement intéressant pour les chercheurs. Cela nous permet de détecter la position spatiale exacte du faisceau térahertz, souligne Christoph Hauri. Par ailleurs, le taux de rafraîchissement du capteur CCD est suffisamment élevé pour s’aligner sur la vitesse à laquelle les expériences se déroulent au SwissFEL car le SwissFEL tire des salves de 100 impulsions de rayons X par seconde et chacune de ces impulsions est impliquée dans une expérience distincte.

Maintenant que les chercheurs ont montré que la visualisation de lumière térahertz fonctionne en principe avec des capteurs CCD, il s’agit de continuer à développer l’idée. Bien entendu, il est possible de tailler sur mesure des capteurs CCD pour certaines applications en recherche, souligne Carlo Vicario, qui a réalisé l’expérience conjointement avec Mostafa Shalaby. Les chercheurs estiment également qu’il existe un potentiel important pour des applications en dehors de la recherche. Les capteurs CCD sont économiques et robustes, rappelle Christoph Hauri. Mais pour une application large, il faudrait évidemment que l’on dispose de lasers térahertz commercialisables, avec suffisamment d’intensité. Cependant, Christoph Hauri est convaincu que comme les capteurs CCD sont plus performants et coûtent dix fois moins qu’un bolomètre, ils s’implanteront certainement rapidement dans la branche scientifique du térahertz qui connaît une croissance rapide.

Contexte : une lumière, du potentiel et des embûches

Avec une longueur d’onde entre 0,1 et 1 millimètre, la lumière térahertz se situe dans le domaine du rayonnement infrarouge et micro-ondes. Contrairement aux rayons X, la lumière térahertz est non ionisante, raison pour laquelle, d’après les connaissances actuelles, elle provoque moins de lésions cellulaires. Cela revêt une grande importance pour la médecine, notamment.

Les applications des sources laser térahertz utilisables ont été pendant longtemps restreintes par la faiblesse de la puissance de faisceau. A l’heure actuelle, le laser térahertz développé au PSI est la source térahertz la plus intense du monde. C’est l’irradiation par un puissant laser infrarouge d’un cristal de sel appelé DAST qui permet au laser térahertz d’atteindre son intensité. La lumière térahertz se constitue donc par un mélange de différentes fréquences. Le procédé appliqué au PSI transforme vingt-cinq fois plus de lumière en lumière térahertz que les autres méthodes. C’est pour cela qu’il est plus intense. Par ailleurs, le laser fonctionne à température ambiante.

Le principe de fonctionnement des bolomètres utilisés jusqu’ici pour visualiser la lumière térahertz est le suivant : ils mesurent le changement de température. Cela les rend particulièrement sensibles aux influences thermiques de l’environnement. Par ailleurs, leur résolution d’image maximale est relativement faible, puisqu’elle est de 320 x 240 pixels pour une taille de pixel de 23,5 micromètres.

Le capteur CCD (charge-coupled device) utilisé pour l’expérience avait une résolution d’image de 1360 x 1024 pixels. Sa taille de pixel était de 4,65 micromètres. De ce fait, les images sont beaucoup plus nettes que celles réalisées avec un bolomètre.

Texte : Paul Scherrer Institut/Martina Gröschl

Informations supplémentaires
Laser-Group, SwissFEL-Project
Contact
Prof. Dr. Christoph Hauri, directeur du groupe Laser, projet SwissFEL,
Institut Paul Scherrer et Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne EPFL,
téléphone : +41 56 310 4197, e-mail : christoph.hauri@psi.ch

Dr. Mostafa Shalaby, groupe Laser, projet SwissFEL, Institut Paul Scherrer,
téléphone : +41 56 310 3623, e-mail : mostafa.shalaby@psi.ch

Dr. Carlo Vicario, groupe Laser, projet SwissFEL, Institut Paul Scherrer,
téléphone : +41 56 310 3162, e-mail : carlo.vicario@psi.ch
Publication originale
High-performing nonlinear visualization of terahertz radiation on a silicon charge coupled device
Mostafa Shalaby, Carlo Vicario, Christoph Hauri,
Nature Communications, 26 octobre 2015
DOI: 10.1038/ncomms9439