Le rôle des ingrédients forestiers dans la formation des nuages

Les scientifiques savent qu’en termes de bilan, les nuages contribuent au refroidissement du climat de notre planète. Mais ils ne connaissent pas l’étendue précise de cet effet. Autre inconnue : si à l’avenir la tendance actuelle au réchauffement devait se poursuivre, de quelle manière l’effet des nuages sur le climat global se modifierait-il ? Le dernier rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) a effectivement signalé, une fois de plus, que les nuages étaient la plus grande source d’incertitude dans les modèles climatiques actuels. Une nouvelle étude de l’expérience CLOUD (Cosmics Leaving OUtdoor Droplets) au CERN fait à présent la lumière sur la toute première étape du processus de formation des nuages. Ce travail représente donc une importante contribution à une meilleure compréhension du lien entre nuages et climat. L’étude, menée sous la direction de chercheurs de l’Institut Paul Scherrer, paraît le 16 mai 2014 dans le magazine scientifique « Science ».

Francesco Riccobono et Urs Baltensperger à la chambre CLOUD. Photo: CERN
Les doctorants Francesco Riccobono, Arnaud Praplan et Federico Bianchi (de gauche à droite) lors la discussion des résultats des expériences à CLOUD. Photo:CERN.
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Les incertitudes concernant l’effet des nuages sur le climat sont dues en grande partie à la complexité de leur formation. Les gouttelettes qui les composent se forment lorsque la vapeur d’eau se condense dans l’atmosphère, mais ce processus ne peut s’amorcer sans l’aide de noyaux de condensation. C’est ainsi que les scientifiques désignent les particules solides ou liquides, auxquelles la vapeur d’eau doit adhérer pour pouvoir se condenser, formant les gouttelettes nuageuses. Ces particules peuvent être émises directement par des sources naturelles, ou résulter d’activités humaines. Mais la plupart d’entre elles ne se forment que par la transformation de substances gazeuses dans l’atmosphère.

Cette transformation de gaz en particules solides ou liquides – appelée nucléation par les scientifiques – représente précisément la première étape dans la formation d’une fraction considérable des nuages. En plus, elle constitue aussi la première source de questions ouvertes. En effet, les scientifiques ignorent à l’heure actuelle quels sont les ingrédients nécessaires pour que ces particules soient suffisamment stables pour pouvoir servir de noyaux de condensation. Or, la nouvelle étude révèle précisément l’ingrédient nécessaire à la recette de formation des nuages, recette que l’on recherche depuis longtemps.

L’acide sulfurique à elle seule ne suffit pas

Sur la voie de la solution de l’énigme de la formation des nuages, des chercheurs ont déjà découvert un ingrédient important : l’acide sulfurique. Sa concentration est en effet souvent corrélée au taux de nucléation, c’est-à-dire à la rapidité avec laquelle de nouvelles particules se forment dans l’atmosphère. Néanmoins, l’acide sulfurique ne représente apparemment qu’une pièce du puzzle. Ce dont témoignent les efforts déployés en vain jusqu’ici, dans l’explication des taux mesurés de nucléation imputée à la teneur d’acide sulfurique dans l’atmosphère.

L’acide sulfurique est caractérisé par une basse pression de vapeur, ce qui veut dire qu’il ne se vaporise que très difficilement – et c’est précisément pour cela qu’il joue un rôle central lors de la nucléation. Les molécules isolées ne peuvent en effet former de nouvelles particules que si elles s’agglutinent en amas. Et si l’on ne veut pas que ces amas se désintègrent trop facilement, il faut qu’ils soient suffisamment stables. Les amas sont des agrégats de molécules, qui mesurent un peu moins de 2 nanomètres. Mais il se trouve que même les molécules d’acide sulfurique très peu volatiles ont besoin d’un élément supplémentaire, pour que les amas à l’échelle nanométrique persistent.

Le nouvel élément venu de la forêt

La nouvelle étude montre à présent comment fonctionne ce « collage ». Ses auteurs ont observé que les amas de molécules d’acide sulfurique étaient plus stables par rapport à la vaporisation, et donc qu’ils grossissaient et formaient finalement de nouvelles particules, lorsqu’ils incluaient certaines molécules organiques fortement oxydées. Ces dernières sont d’origine biologique et ne sont présentes qu’en concentrations extrêmement faibles dans l’atmosphère. Les scientifiques ont réussi à montrer que ces molécules dans l’atmosphère étaient formées à partir d’alpha-pinène, l’une des molécules qui confèrent leur parfum particulier aux forêts de pins. L’alpha-pinène est émise par les arbres, surtout pendant la saison chaude.

Son identification s’est faite de deux manières. D’abord de manière expérimentale : des mesures précises par spectrométrie de masse leur ont permis de déduire la présence d’acide sulfurique dans les amas, mais aussi des oxydes organiques. Le second indice vient de la théorie : des calculs quantiques précis montrent que les amas mixtes, c’est-à-dire les amas à différents composants, s’évaporent effectivement moins facilement que les amas composés uniquement d’acide sulfurique. Or, comme de tels amas persistent plus longtemps, la probabilité est plus grande qu’ils donnent naissance à de nouvelles particules.

Les ions jouent un rôle moins important

Les scientifiques ont également analysé une voie alternative. Il s’agissait de vérifier si des molécules portant des charges électriques (ions) entraineraient une adhésion plus importante, augmentant la stabilité des nouvelles particules formées. En effet, dans le cas de l’acide sulfurique, ce sont les ions qui lient fortement les molécules. Les chercheurs ont donc cherché à savoir, dans quelle mesure des ions d’acide sulfuriques ou d’oxydes d’alpha-pinène – qui se forment dans l’atmosphère à des concentrations faibles sous rayonnement cosmique – pouvaient également contribuer à la nucléation. Résultats : les ions contribuent de manière essentielle à la formation de nouvelles particules, mais seulement si les concentrations d’acide sulfurique et d’oxydes organiques dans l’atmosphère sont très basses. En d’autres termes : les oxydes organiques et les ions améliorent la stabilité d’amas d’acide sulfurique, mais les oxydes organiques neutres jouent un rôle plus important lorsque leur concentration et celle de l’acide sulfurique atteignent une certaine valeur seuil.

De meilleurs modèles de prévision

Après avoir élucidé le nouveau mécanisme de formation des particules, les chercheurs ont entrepris de l’intégrer dans un modèle global de formation des aérosols. Ils ont voulu tester si le nouveau mécanisme pouvait restituer la réalité en matière de formation des particules, ainsi que ses variations saisonnières. Et effectivement : une fois l’effet stabilisateur des oxydes organiques pris en compte, le modèle a été en mesure de prédire plus précisément les taux de nucléation mesurés. Cette coïncidence entre prévisions du modèle et mesures sur le terrain se retrouvait également pour les variations saisonnières : le modèle était en mesure de prédire correctement les fluctuations typiques de la nucléation sur un an. Ce test confirme que les émissions en provenance de la forêt ont une influence importante sur la première étape du processus de formation des nuages. Il indique également que le nouveau travail a sans doute simulé par modélisation correctement cette influence.

Les spécialistes de l’expérimentation et de la modélisation unissent leurs forces

Urs Baltensperger, directeur du Laboratoire de chimie atmosphérique au PSI, qualifie les nouveaux résultats d’étape importante pour une compréhension plus approfondie de la nucléation, ce processus à l’origine de la formation des nuages. Mais il souligne que pour pouvoir former des nuages, les particules qui se constituent de cette manière après la nucléation doivent encore grossir et atteindre une taille de 50 à 100 nanomètres. Or la nouvelle étude ne s’est pas penchée sur cette phase de croissance. Il serait donc prématuré d’affirmer que l’on a désormais complètement compris la formation des nuages dans sa globalité. Par ailleurs, relève-t-il, les expériences ont été menées à présent dans des conditions atmosphériques typiques. Mais il reste impossible de couvrir toutes les conditions cadre météorologiques possibles.

Urs Baltensperger souligne néanmoins l’importance d’expériences en conditions précisément contrôlées, comme celles menées dans la chambre de simulation CLOUD. « Avec CLOUD, nous pouvons modifier, si nous le souhaitons, les concentrations des substances impliquées dans la nucléation, et ensuite mesurer très précisément les modifications correspondantes du taux de nucléation, note-t-il. D’autres paramètres, comme la température, la pression et l’humidité peuvent également être modifiés à volonté. Un contrôle pareil sur les conditions environnementales est pratiquement impossible lors de mesures sur le terrain. » Mais, ajoute-t-il, la participation d’experts de la modélisation dans la phase de planification des expériences est aussi importante que les conditions d’essais. « Sans l’aide de ces spécialistes, qui élaborent les modèles théoriques, nous aurions beaucoup plus de difficultés à obtenir des réponses pertinentes à nos question à partir des expériences, dit-t-il. Et nous serions pratiquement incapables de traduire nos résultats de mesures en modèles de prévision. »

Texte: Institut Paul Scherrer/Leonid Leiva


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l’institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l’énergie et l’environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d’environ CHF 350 millions.

Contact
Prof. Dr. Urs Baltensperger, directeur du Laboratoire de chimie atmosphérique ,
Institut Paul Scherrer,
Téléphone: +41 56 310 24 08, E-mail: urs.baltensperger@psi.ch
Publication originale
Oxidation Products of Biogenic Emissions Contribute to Nucleation of Atmospheric Particles
F. Riccobono et al.,
Science, 16 mai 2014
DOI: 10.1126/science.1243527