L’énigme des microgels a été élucidée

Des chercheurs du PSI et de l’Université de Barcelone sont en mesure d’expliquer l’étrange comportement des microgels. Lors de leurs mesures avec des faisceaux de neutrons, ils ont repoussé les limites techniques en matière de mesure. Leurs résultats ouvrent des possibilités pour de nouvelles applications en science des matériaux ou dans le domaine de la pharmacie.

La simulation graphique montre comment les particules de microgel (en vert) s’agencent dans le liquide avec leurs nuages de ions qui se chevauchent (en rouge). © Urs Gasser
Boyang Zhou (à gauche) et Urs Gasser à l’une des stations expérimentales du PSI, qui permettent de mener ces analyses complexes. © Institut Paul Scherrer/Markus Fischer
Previous slide
Next slide

Ils coulent dans nos veines, colorent les murs et rendent le lait goûteux: ils, ce sont les minuscules particules ou gouttelettes qui sont finement dispersées dans un solvant. Ensemble, ils forment un colloïde. Alors que les colloïdes contenant des particules dures – comme les pigments colorés dans une peinture à dispersion – sont bien compris sur le plan physique, les colloïdes avec particules molles – comme le colorant rouge de l’hémoglobine dans le sang ou les gouttelettes de graisse dans le lait – réservent une surprise de taille. Une expérience menée il y a 15 ans avait montré que les particules molles – appelés microgels – se compriment brusquement lorsqu’on augmente leur concentration au-delà d’un certain seuil. Les grandes particules se contractent alors pour adopter la taille de leurs voisines plus petites. Ce qui ne laisse pas d’étonner: cela se produit aussi lorsque les particules n’ont pas de contact les unes avec les autres. Les chercheurs se sont interrogés: comme une particule de gel peut-elle connaître la taille de sa voisine sans la toucher? Les microgels pratiqueraient-ils quelque chose de l’ordre de la «transmission de pensée»?

Confirmation de la thèse de 2016

«Non, bien entendu», sourit Urs Gasser. Depuis dix ans, ce physicien traque la rétraction miraculeuse des microgels dans les colloïdes. Avec une équipe de recherche, il a publié en 2016 des travaux qui expliquaient le phénomène. En deux mots: dans ce cas, les particules de polymères sont composées de longue chaînes de carbone, qui portent à une extrémité une faible charge négative. Ces chaînes forment une pelote, le microgel. Il faut l’imaginer comme une espèce de pelote de laine avec les propriétés d’une éponge. Dans cet enchevêtrement tridimensionnel, il existe donc des points de charge négative qui attirent les ions chargés positivement contenus dans le liquide. Ces ions, appelés contre-ions, s’organisent dans la pelote autour des charges négatives et forment un nuage chargé positivement à la surface du microgel. Lorsque les microgels se rapprochent, les nuages se chevauchent (voir aussi l’illustration). Cela augmente à nouveau la pression dans le liquide, ce qui comprime les particules de microgel jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit atteint.

Mais à l’époque, l’équipe de recherche n’était pas encore en mesure de démontrer l’existence du nuage de contre-ions de manière expérimentale. Aujourd’hui, Urs Gasser a apporté cette preuve avec son doctorant Boyang Zhou et Alberto Fernandez-Nieves de l’Université de Barcelone. Et cette preuve étaye de manière impressionnante la thèse de 2016. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue spécialisée Nature Communications.

Le rôle décisif de la source de neutrons SINQ pour résoudre le mystère

Ce sont les neutrons de la source de spallation SINQ au PSI, assortis d’une astuce expérimentale, qui ont rendu tout cela possible. En effet, le nuage de contre-ions dans le colloïde est si dilué qu’il n’est pas visible sur l’image des neutrons diffusés. Les contre-ions représentent moins d’un pourcent de la masse d’un microgel. Urs Gasser, Boyang Zhou et Alberto Fernandez-Nieves ont étudié deux échantillons: le premier était un colloïde contenant uniquement des ions sodium comme contre-ions, le second contenait des ions ammonium (NH4). Ces deux ions sont également présents naturellement dans les microgels. Et ils diffusent les neutrons différemment. Si l’on soustrait une image de l’autre, il ne reste que les signaux des contre-ions. «Cette solution apparemment simple exige le plus grand soin lors de la préparation des colloïdes si l’on veut rendre visibles les nuages d’ions, précise Boyang Zhou. Personne n’avait jamais mesuré un nuage d’ions aussi dilué.»

Applications dans les domaines des cosmétiques ou de la pharmacie

Le fait de savoir comment les microgels mous se comportent dans des colloïdes permet de les tailler sur mesure pour de nombreuses applications. L’industrie pétrolière les pompe dans les gisements souterrains pour adapter les viscosité des puits de pétrole et faciliter l’extraction. Dans les cosmétiques, ce sont eux qui assurent la consistance des crèmes. On pourrait également imaginer des microgels intelligents que l’on pourrait charger de médicaments: les particules réagiraient par exemple à l’acide gastrique et libéreraient le médicament en se rétractant. Ou alors un microgel qui se rétracterait à haute température en une petite boule de polymère bien tassée et réfléchirait la lumière différemment que lorsqu’il est gonflé. Le phénomène pourrait être exploité pour un capteur de température dans de fins canaux de liquide. D’autres capteurs pourraient être conçus pour indiquer les changements de pression ou les impuretés. «Tout est imaginable, il n’y a pas de limites», conclut Urs Gasser.


Texte: Bernd Müller

© Le PSI fournit gratuitement des images et/ou du matériel vidéo pour la couverture médiatique du contenu du texte ci-dessus. L'utilisation de ce matériel à d'autres fins n'est pas autorisée. Cela inclut également le transfert des images et du matériel vidéo dans des bases de données ainsi que la vente par des tiers.

Contact

Dr Urs Gasser
Laboratoire de diffusion neutronique et d’imagerie
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
+41 56 310 32 29
urs.gasser@psi.ch


Publication originale

Measuring the counterion cloud of soft microgels using SANS with contrast variation
Boyang Zhou, Urs Gasser, Alberto Fernandez-Nieves
Nature Communications, 07.07.2023
DOI: 10.1038/s41467-023-39378-5

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur des technologies d'avenir, énergie et climat, innovation santé ainsi que fondements de la nature. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2200 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 420 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: mai 2023)