La différence entre le fin et l’extra-fin

Matériaux électroniques du futur

De nombreux matériaux ont une structure cristalline spéciale – leurs atomes sont disposés en couches superposées. Un groupe de chercheurs allemands et suisses a observé pour la première fois de manière précise comment les propriétés physiques d’une substance dépendent du nombre de ces couches: La substance oxyde de lanthane nickel a des propriétés électroniques et magnétiques tout à fait différentes si elle est composée de deux ou de plusieures couches. Le fait de pouvoir contrôler de cette manière les caractéristiques physiques ouvre des nouvelles possibilités quant à la recherche de matières dont pourraient être conçues les puces informatiques de demain. Les principales mesures étaient effectuées à l’Institut Paul Scherrer en Suisse en collaboration avec l’Université de Fribourg (CH). Les chercheurs communiquent leurs résultats dans le dernier numéro du journal scientifique Science.

Thomas Prokscha, chercheur au PSI, devant le détecteur avec lequel sont dépistés les positrons qui se forment lors de la désagrégation des muons. (Photo: PSI/M. Fischer)
Représentation schématique des résultats:
A: situation avec deux couches d’oxyde de lanthane nickel, B: situation avec 4 couches d’oxyde de lanthane nickel.
1ère fissure: Structure – les couches sont à chaque fois encerclées par un autre matériau.
2e fissure: A: à basse température les électrons sont liés à l’atome – le courant ne peut pas circuler. B: les électrons sont mobiles même à basse température.
3e fissure: A: les moments magnétiques sont ordonnés de manière antiferromagnétique (ils montrent alternativement l’une ou l’autre direction). B: les moments magnétiques sont désordonnés.
(Graphique, Département Keimer, Max-Planck-Institut für Festkörperforschung, Stuttgart)
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La technologie semi-conductrice – à la base de l’électronique depuis des décennies – atteint peu à peu ses limites. Les composants électroniques devenant toujours plus petits, les pistes conductrices et les transistors auront bientôt la taille d’un atome. Mais il n’est presque plus possible de fabriquer de manière maîtrisée d’aussi petites structures avec les méthodes courantes; à l’emploi elles produisent tant de chaleur, en raison de leur résistance, qu’elles perdent très vite leur forme. A l’avenir, d’autres composés – les oxydes métalliques – devraient reprendre ce rôle de semi-conducteurs. Les oxydes métalliques regroupent de nombreux matériaux intéressants – certains, en raison de leur propriétés magnétiques, peuvent être recommandés pour mémoriser des données, d’autres capables de conduire le courant électrique sans aucune résistance : les supraconducteurs.

De l’électronique sur mesure

Une particularité des oxydes métalliques réside dans le fait que leur comportement électronique dépend fortement des détails de leur structure, ce qui signifie qu’on peut obtenir, grâce à de très petites modifications, des matériaux ayant des propriétés déterminées. Un groupe de recherche international, formé autour de Alexander Boris et Bernhard Keimer du Max-Planck-Institut für Festkörperforschung à Stuttgart, de Thomas Prokscha du Paul Scherrer Institut et de Christian Bernhard, Président du Département de physique de l’Université de Fribourg, ouvre une nouvelle voie pour tailler sur mesure les propriétés des oxydes métalliques.

Les scientifiques ont étudié l’oxyde de lanthane nickel (LaNiO3), qui, en plus des atomes de lanthane et d’oxygène électroniquement inactifs, contient aussi du nickel. Une des principales raisons pour laquelle le choix s’est porté sur ce composant est que les électrons du nickel ont un comportement très spécifique : ils génèrent un moment magnétique, c’est-à-dire qu’ils se comportent comme de minuscules aimants. En principe, il n’y a là rien de spécial à relever – ces tout petits aimants indiquent différentes directions et le matériau dans son ensemble n’est pas magnétique au sens général; il conduit en revanche fort bien l’électricité. Mais si on réduit le matériau à un échantillon très fin qui, au lieu d’un nombre incalculable de couches, n’en comporte que deux et qu’on le refroidit ensuite à –100°, celui-ci perd sa capacité conductrice. Les électrons se trouvent alors dans une situation embarrassante : ils se repoussent mutuellement, mais ne peuvent pas s’éviter, formant un atome qui tarit le courant électrique. Ainsi les chercheurs ont fait ressortir de manière exacte la façon dont les dimensions d’un matériau influencent son comportement physique.

La modification de la capacité conductrice n’est pas le seul effet de cette cure d’amaigrissement sur les oxydes métalliques. Lorsque les physiciens refroidissent encore plus l’échantillon – jusqu’à à environ –220° – le matériau adopte un ordre magnétique. Les minis-aimants s’alignent de manière antiparrallèle, un peu comme des aimants qui s’alignent tour à tour avec le Pôle nord et avec le Pôle sud.

De grands enjeux expérimentaux

Découvrir et influencer de manière ciblée les propriétés de matériaux d’une finesse aussi extrême place les chercheurs face à de grands défis expérimentaux. Pour découvrir l’ordre antiferromagnétique dans une couche d’une épaisseur de précisément deux atomes, les scientifiques misent sur les muons, des particules élémentaires instables, générées grâce à un accélérateur de particules. Les expériences avec les muons ont été menées à la source de muons du PSI et conduites par l’équipe de Thomas Poschka et le groupe fribourgeois du Prof. Christian Bernhard. Le PSI possède la source de muons la plus forte d’Europe pour la recherche sur les corps solides. Ces nouvelles connaissances sur la capacité de transformation et l’influence des propriétés des oxydes métalliques devraient permettre de résoudre le problème croissant de température et de taille pour le développement de puces informatiques toujours plus performantes.


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer développe, construit et exploite de grandes installations de recherche complexes et les met à disposition de la communauté nationale et internationale. Les principales recherches de l’Institut sont centrées dans le domaine des corps solides et de la science des matériaux, de la physique des particules, de la biologie et de la médecine, de l’énergie et de l’environnement. Avec 1400 collaborateurs et un budget annuel d’environ 300 millions CHF, le PSI est le plus grand centre de recherche de Suisse.

Sur l'Université de Fribourg

Quelque 10'000 étudiants et plus de 200 professeurs issus de près de 100 pays étudient, enseignent et font des recherches dans les cinq facultés de l'Université de Fribourg. La Faculté des sciences a quant à elle une longue tradition d'excellence en recherche sur les nanomatériaux dont le Fribourg Center for Nanomaterials (Frimat) ainsi que l'Adolphe Merkle Institute, créés récemment, en sont les fleurons.

Contact

Dr. Thomas Prokscha, Labor für Myonspin-Spektroskopie,
Paul Scherrer Institut, 5232 Villigen, Schweiz
Telefon: +41 56 310 4275, E-Mail: thomas.prokscha@psi.ch
Web: http://lmu.web.psi.ch/

Prof. Christian Bernhard, Physik Department,
Universität Freiburg, CH-1700 Fribourg, Schweiz,
Telefon: +41 26 300 90 70, E-Mail: christian.bernhard@unifr.ch
Web: http://www.unifr.ch/frimat

Dr. Alexander Boris, Max-Planck-Institut für Festkörperforschung, Stuttgart
Tel: +49 711 689-1735, E-Mail: A.Boris@fkf.mpg.de


Prof. Bernhard Keimer, Max-Planck-Institut für Festkörperforschung, Stuttgart
Tel: +49 711 689-1650, E-Mail: B.Keimer@fkf.mpg.de

Publication originale

Dimensionality Control of Electronic Phase Transitions in Nickel-Oxide Superlattices,
A. V. Boris, Y. Matiks, E. Benckiser, A. Frano, P. Popovich, V. Hinkov, P. Wochner, M. Castro-Colin, E. Detemple, V. K. Malik, C. Bernhard, T. Prokscha, A. Suter, Z. Salman, E. Morenzoni, G. Cristiani, H.-U. Habermeier, and B. Keimer, Science 20 May 2011; DOI: 10.1126/science.1202647

Plus d’infos sur la recherche avec les muons

http://www.psi.ch/media/recherche-avec-des-muons

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