Ralentissement du flux électrique peut montrer la voie vers des ordinateurs économes en énergie

Les ordinateurs et les autres appareils électroniques représentent aujourd’hui une part considérable de la consommation d’énergie, une part dont il est pratiquement impossible de modifier l’importance avec les technologies actuellement utilisées. Les puces électroniques qui prendront place dans les appareils économes en énergie de demain devront donc être composées de matériaux innovants. De nouveaux résultats de recherche indiquent une voie possible comment on peut obtenir ces matériaux.

Pour ce faire, les chercheurs ont étudié un matériau qui présente déjà les caractéristiques nécessaires: il est magnétique et capable de conduire le courant électrique sans aucune résistance. L’inconvénient: il ne présente ces propriétés qu’à très basses températures, conditions dans lesquelles il est impossible d’utiliser un ordinateur. Avec des températures réalistes, le courant circule très difficilement dans ce matériau. Grâce aux expériences qu’ils ont menées à la Source de Lumière Suisse SLS de l’Institut Paul Scherrer, les chercheurs ont réussi à déterminer les raisons pour lesquelles ce flux électrique circulait si difficilement. Leurs résultats pourraient contribuer au développement ciblé de nouveaux matériaux susceptibles de conserver leurs propriétés particulières quand les températures s’élèvent et donc d’être utilisés dans les ordinateurs de demain. Les chercheurs ont publiés leurs résultats dans la revue spécialisée Nature Communications.

Claudia Cancellieri et Vladimir Strocov, chercheurs, à la station de mesure ADRESS de la Source de Lumière Suisse SLS de l’Institut Paul Scherrer. C’est là qu’ils ont étudié le courant électrique au cœur d’un matériau complexe et fait des découvertes qui pourraient être utiles au développement de composants électroniques économes en énergie. (Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)
Principe de l’expérience où le flux électrique a été étudié au cœur d’un matériau. L’échantillon de matériau analysé est composé de deux matériaux différents (correspondants aux deux couleurs), qui se rejoignent au niveau d’une surface. Le courant peut circuler seulement le long de cette surface. Comme le flux électrique correspond au mouvement des électrons, les chercheurs ont étudié dans leur expérience le comportement de ces derniers à l’intérieur du matériau. Pour ce faire, ils ont exposé l’échantillon à la lumière de la Source de Lumière Suisse SLS de l’Institut Paul Scherrer (ligne ondulée jaune). Celle-ci qui arrache des électrons (sphères vertes) au matériau. Les électrons en question sont captés par un détecteur (hémisphère métallique), qui détermine leurs propriétés. Ces propriétés permettent de tirer des conclusions sur la manière dont les électrons se sont comportés lorsqu’ils étaient encore dans le matériau. (Illustration: Claudia Cancellieri)
Previous slide
Next slide

La réduction de la consommation d’énergie des appareils électriques représente l’un des grands défis de l’électronique de demain. Ainsi, les gigantesques centres de calculs qui se cachent derrière les moteurs de recherche et les réseaux sociaux consomment autant d’énergie qu’une grande ville. Mais l’avènement d’ordinateurs économes en énergie suppose un tournant fondamental, qui nécessitera de remplacer par des matériaux innovants les semi-conducteurs qui ont été à la base de tous les appareils électroniques des dernières décennies, de l’ancienne radio à transistor au smartphone. Les oxydes, des composés complexes de métal et d’oxygène, sont des candidats particulièrement prometteurs, explique Vladimir Strocov, scientifique responsable à l’Institut Paul Scherrer PSI. Des composants électroniques à base de certains oxydes pourraient succéder aux transistors actuels et assumer leurs fonctions, en ne consommant qu’une fraction de l’énergie. Les transistors sont présents par milliards sur les micro-puces actuelles et responsables d’une grande partie de la consommation énergétique de ces dernières.

La déformation du matériau qui permet au courant de circuler ou qui l’en empêche

L’équipe de recherche emmenée par Vladimir Strocov a étudié avec des collègues de l’ETH Zurich et de l’institut japonais de recherche RIKEN un matériau qui présente les caractéristiques nécessaire pour être utilisable dans ces composants: il est magnétique et supraconducteur, ce qui signifie qu’il peut conduire le flux électrique sans la moindre résistance. L’inconvénient: il ne présente ces propriétés qu’à des températures très basses, auxquelles il est impossible d’utiliser un ordinateur. Si l’on élève la température, le flux électrique circule alors très difficilement dans le matériau. Comme ils l’expliquent dans une étude parue dans la revue spécialisée Nature Communications, les chercheurs ont à présent réussi à déterminer les causes de cet encombrement. Apparemment, le phénomène impliqué est le même que celui qui permet au courant de circuler librement à basses températures, explique Vladimir Strocov. Nos résultats pourraient contribuer au développement ciblé de nouveaux matériaux, utilisables dans des composants novateurs à hautes températures également et donc susceptibles d’être mis à contribution dans les futurs ordinateurs.

Quand un courant électrique circule à travers un matériau, cela signifie que les électrons avancent dans ce dernier. La structure de ces matériaux est formée d’ions peu mobiles, agencés de manière régulière. Les électrons qui circulent dans le matériau attirent à eux les ions et déforment cette structure, détaille Claudia Cancellieri, qui a participé en tant que chercheur de PSI dans l’étude et qui travaille maintenant au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux Empa. Les ions attirent alors à leur tour les électrons, ce qui les freine. Or apparemment, c’est la même déformation qui rend le matériau supraconducteur à basses températures. Dans un supraconducteur, poursuit Claudia Cancellieri, les électrons se mettent par deux et c’est cela qui leur permet d’avancer à travers le matériau sans rencontrer de résistance. Or c’est parce que le matériau se déforme à basses températures que les électrons se mettent par deux. Forts de cette découverte, des chercheurs pourraient modifier de manière ciblée certains matériaux, de manière à ce qu’ils restent supraconducteurs à des températures plus élevées. Une possibilité serait de recourir à des procédés nanotechnologiques pour remplacer certains atomes d’oxygène dans le matériau par les atomes d’un autre élément, qui amènerait avec lui des électrons supplémentaires.

Courant observé au cœur du matériau

Le matériau que les chercheurs ont étudié dans le cadre de leurs expériences n’était pas un oxyde, mais une combinaison de deux oxydes, dont les formules chimiques sont LaAlO3 et SrTiO3. Pris isolément, ces oxydes ne sont pas conducteurs, mais lorsqu’ils sont réunis, le courant peut circuler à leur interface. De manière générale, une combinaison de deux oxydes peut présenter des propriétés novatrices susceptibles d’être utiles dans des appareils de demain. Les chercheurs du PSI ont mesuré le flux électrique à l’interface entre les matériaux au moyen d’une lumière synchrotron de haute énergie à la Source de Lumière Suisse SLS de l’Institut Paul Scherrer. La station de mesure ADRESS abritée par la SLS est leader au niveau mondial pour des expériences exigeantes de ce genre.

Texte: Institut Paul Scherrer/Paul Piwnicki


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 380 millions.

(Mise à jour : Avril 2015)

Contact
Dr Vladimir Strocov, Groupe Spectroscopie de matériaux innovants,
Institut Paul Scherrer, Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 53 11, e-mail: vladimir.strocov@psi.ch
Publication originale
Polaronic metal state at the LaAlO3/SrTiO3 interface
C. Cancellieri, A.S. Mishchenko, U. Aschauer, A. Filippetti, C. Faber, O.S. Barišić,
V.A. Rogalev, T. Schmitt, N. Nagaosa and V.N. Strocov
Nature Communications, 27 January 2016
DOI: 10.1038/NCOMMS10386