La structure de la maladie du béton a été décryptée

Quand ponts, barrages et autres ouvrages en béton se retrouvent striés de fissures sombres au bout de quelques décennies, c’est que la réaction alcali-granulat (RAG) est à l’œuvre. La RAG est une réaction chimique entre les substances présentes dans le béton et l’humidité qui y pénètre. Appelée aussi maladie du béton dans le langage de tous les jours, voire cancer du béton, cette réaction chimique endommage les ouvrages en béton dans le monde entier. Elle oblige à procéder à de coûteux travaux d’assainissement ou de reconstruction des ouvrages concernés. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI et de l’Empa viennent de réussir à décrypter au niveau atomique la composition du matériau qui apparaît au fil de la RAG. Ils ont découvert un agencement atomique cristallin, inconnu à ce jour. Les scientifiques ont publié leurs résultats dans la revue spécialisée Cement and Concrete Research, le principal magazine de la recherche dans le domaine des matériaux de construction.

Les substances qui apparaissent dans le béton au fur et mesure de la réaction alcali-granulat (RAG) subissent des modifications. Rainer Dähn et Erich Wieland, tous deux chercheurs au PSI, les ont étudiées à la Source de Lumière Suisse SLS. (Photo : Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)
La maladie du béton : gros plan sur des fissures apparues dans le béton en raison de la RAG (réaction alcali-granulat). (Photo : Empa/Andreas Leemann)
Lorsqu’ils ont analysé aux rayons X les substances issues de la maladie du béton, les chercheurs du PSI et de l’Empa ont découvert une structure cristalline en couches de silicium, qui n’avait encore jamais été documentée auparavant. L’eau qui s’infiltre dilate cette substance et fissure le béton de l’intérieur. Avec le temps, cela entraîne la formation de lézardes sombres dans le matériau. (Source: Cement and Concrete Research, Vol. 79, R. Dähn et al., Application of micro X-ray diffraction to investigate the reaction products formed by the alkali-silica reaction in concrete structures, pp. 49–56, Copyright Elsevier (2015))

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI se sont penchés avec leurs collègues du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux Empa sur une détérioration du béton qui apparaît avec le temps : la RAG ou réaction alcali-granulat. Au fur et à mesure qu’elle avance, la RAG provoque l’apparition d’un matériau qui prend plus de place que le béton et le fissure lentement de l’intérieur au fil des décennies.

Les chercheurs ont à présent sondé la structure exacte de ce matériau. Ils ont ainsi pu montrer que les atomes y étaient agencés de manière très régulière et qu’il s’agissait d’un cristal. Ils ont aussi décrypté la structure de ce cristal : une structure dite en feuillet de silicium, qui n’avait encore jamais été observée. Les chercheurs doivent cette découverte à des mesures menées à la Source de Lumière Suisse SLS au PSI. Leurs résultats de recherche pourraient contribuer au développement futur d’un béton qui présente une plus longue durée de vie.

Problème mondial

La RAG est une réaction chimique qui touche tous les ouvrages en béton à ciel ouvert, dans le monde entier. Elle se produit lorsque le béton est exposé à l’eau, respectivement à l’humidité. En Suisse, par exemple, de nombreux ponts et près de vingt pour cent des barrages subissent la RAG.

Ce sont les ingrédients de base du béton qui posent problème dans le cas de la RAG : le ciment – principal composant du béton – contient des métaux alcalins comme le sodium et le potassium. De fait, lorsqu’il pleut, par exemple, l’humidité qui pénètre dans le béton s’alcalise.

Le sable et les graviers forment l’autre ingrédient principal du béton. Ils sont eux-mêmes à base de roches minérales, par exemple de quartz ou de feldspath. D’un point de vue chimique, ces deux minéraux sont ce qu’on appelle des silicates.

L’eau alcaline réagit avec ces silicates, ce qui entraîne la formation de silicate alcalin de calcium hydraté. Or ce dernier peut absorber l’humidité, et donc se dilater. Avec le temps, il fissure le béton de l’intérieur. Le terme de réaction alcali-granulat (RAG) désigne l’ensemble de ce processus.

Comme la RAG est une réaction qui se déroule très lentement, les fissures qui apparaissent en premier sont minuscules, invisibles à l’œil nu. Au bout de trois à quatre décennies, elles atteignent cependant une largeur impressionnante et finissent par menacer la longévité de l’ouvrage tout entier.

La plupart des ouvrages affectés aujourd’hui par la RAG ont été construits entre les années 1960 et 1980, explique Erich Wieland, chef du groupe Systèmes cimentaires au PSI. En Europe, la recherche a commencé à être attentive au problème de la RAG dans les années 1970 seulement.

Un nouveau cristal

Même si l’on connaît depuis longtemps déjà les processus chimiques de la RAG, personne n’avait encore réussi à identifier la structure physique du silicate alcalin de calcium hydraté qui se constitue au fur et à mesure que la réaction progresse. Une lacune que les chercheurs du PSI et de l’Empa ont à présent réussi à combler.

Pour ce faire, ils ont étudié la substance d’un pont suisse bâti en 1969, très touché par la RAG. Des chercheurs de l’Empa y avaient prélevé un échantillon de matériau. Une mince portion de cet échantillon a été polie jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un échantillon de 0,02 millimètre d’épaisseur. Ce dernier a été exposé à un faisceau très étroit de rayons X – 50 fois plus mince qu’un cheveu humain – à la Source de Lumière Suisse SLS. Des mesures de diffraction et une complexe analyse de données ont finalement permis aux chercheurs du PSI de déterminer précisément la structure cristalline du matériau.

Il s’est avéré que le silicate alcalin de calcium hydraté présentait une structure cristalline en feuillet de silicium, qui n’avait encore jamais été documentée jusqu’ici. Normalement, quand une personne découvre un cristal qui n’a pas été encore catégorisé, elle a le droit de lui donner son nom, souligne Rainer Dähn, premier auteur de l’étude. Toutefois, il faut que le cristal en question ait été découvert dans la nature. Nous n’avons donc pas eu cet honneur, relève le chercheur en souriant.

C’est Andreas Leemann, chef du groupe Technologie du béton à l’Empa, qui a eu l’idée de l’étude actuelle. Quant aux chercheurs du PSI, ils ont fourni les connaissances en matière de méthode d’analyse par rayons X.

En principe, il est possible d’incorporer au béton des substances organiques qui peuvent réduire les tensions, précise encore Andreas Leemann. Nos nouveaux résultats permettent de doter ces réflexions d’un fondement scientifique et pourraient servir de base à de nouveaux développements dans le domaine des matériaux.

Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 1900 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 380 millions.

(Mise à jour : Avril 2015)

Contact
Dr Rainer Dähn, Groupe de recherche pour les mécanismes sorption d’argile, Institut Paul Scherrer,
téléphone: +41 56 310 21 75, e-mail: rainer.daehn@psi.ch [allemand, anglais]

Dr Erich Wieland, Groupe de recherche pour les systèmes ciment, Institut Paul Scherrer,
téléphone: +41 56 310 22 91, e-mail: erich.wieland@psi.ch [allemand, anglais]

Dr Andreas Leemann, Laboratoire du béton / chimie de construction, Empa,
téléphone: +41 58 765 44 89, e-mail: andreas.leemann@empa.ch [allemand, anglais]
Publication originale
Application of micro X-ray diffraction to investigate the reaction products formed by the alkali-silica reaction in concrete structures
R. Dähn, A. Arakcheeva, Ph. Schaub, P. Pattison, G. Chapuis, D. Grolimund, E. Wieland and A. Leemann
Cement and Concrete Research 14 octobre 2015 (en ligne)
DOI: 10.1016/j.cemconres.2015.07.012