Le laser suisse à rayons X SwissFEL profite de l’expérience de la recherche en Californie

Les scientifiques qui ont étudié la supraconductivité et les processus de commutation magnétiques au laser à rayons X LCLS en Californie contribuent maintenant à l’amélioration du SwissFEL.

Il est la caméra qui permet aux chercheurs d'observer certains processus ultra-rapides: le laser à rayons X à électrons libres. Seuls trois sites dans le monde abritent des installations de ce type: aux Etats-Unis, au Japon et en Corée du Sud. Deux articles récemment publiés dans les revues spécialisées Science et Nature Communications, auxquels ont participé des chercheurs de l'Institut Paul Scherrer PSI, mettent en évidence l'excellence scientifique rendue possible par de telles installations. Cette fois, les chercheurs ont mis en lumière de toutes nouvelles découvertes sur les mécanismes de la supraconductivité et dans les processus de commutation magnétique qui se jouent dans certaines molécules. Entre-temps, deux des principaux auteurs, Simon Gerber et Henrik Lemke, ont intégré le PSI en tant que scientifiques pour participer au développement du SwissFEL, le laser suisse à rayons X à électrons libres du PSI, où les premières expériences pilotes auront lieu fin 2017. Ils peuvent ainsi contribuer à développer les instruments et ils se réjouissent de profiter de conditions encore meilleures pour leur recherche, qui leur permettront de scruter de manières encore plus précise certains processus structurels et électroniques fondamentaux.

Simon Gerber et Henrik Lemke, chercheurs au PSI, à un poste de mesure au SwissFEL, le laser suisse à rayons X à électrons libres au PSI. Ils ont tous deux travaillé avec le laser à électrons libres de Californie, le LCLS, et contribuent aujourd’hui avec leur expérience au développement du SwissFEL. (Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)

Les lasers à rayons X à électrons libres permettent d'observer certains processus extrêmement rapides et pour Simon Gerber, il s'agit d'une capacité-clé qui permet de faire de nouvelles découvertes révolutionnaires. Par exemple dans le domaine de la supraconductivité, un phénomène accapare ce physicien et ses collègues depuis longtemps: il y a plus de 100 ans, le physicien néerlandais Heike Kamerlingh Onnes découvrait qu'à très basses températures, près du zéro absolu (-273,5°C), de nombreux matériaux perdaient leur résistance électrique et conduisaient le courant sans perte. Pour ce faire, il faut toutefois refroidir à grand frais ces matériaux avec de l'hélium liquide. Si l'effet pouvait aussi apparaître à des températures beaucoup plus élevées, idéalement à température ambiante, cela permettrait d'économiser beaucoup d'énergie.

Mystérieuse supraconductivité à haute température

Lorsque Georg Bednorz et Karl Alexander Müller ont découvert en 1986 la supraconductivité à haute température au centre de recherche IBM à Rüschlikon, cela leur a aussitôt valu le prix Nobel l'année suivante. Et cela a fait naître l'espoir de voir se rapprocher l'éventualité d'une utilisation pour l'application quotidienne. On avait en effet découvert des matériaux où l'effet apparaissait à une température dite critique relativement élevée d'environ -170°C.

Depuis, nombre de physiciens tentent d'expliquer ce phénomène. Ils s'efforcent de comprendre pourquoi la température critique est plus élevée dans ces matériaux et quels sont les mécanismes qui contribuent à la supraconductivité. Ils espèrent ainsi trouver une clé permettant de relever cette température grâce au développement ciblé de certains matériaux. A l'aide de deux nouvelles expériences, Simon Gerber et ses collègues du groupe de recherche du Professeur Zhi-Xun Shen, du SLAC National Accelerator Laboratory et de l'Université de Stanford, ont fait à présent de nouvelles découvertes importantes au laser à électrons libres de Californie, le LCLS. Ils les rapportent dans l'édition actuelle de la revue spécialisée Science.

Pour les supraconducteurs, une chose est claire: la cause de l'apparition de la supraconductivité à la température critique réside dans l'interaction entre les vibrations du réseau cristallin (les phonons) et les paires d'électrons qui se forment à l'état supraconducteur. Les physiciens débattent depuis 30 ans sur l'intensité de ce couplage chez les supraconducteurs non conventionnels (dont font partie les supraconducteurs à haute température) et sur le rôle qu'il joue dans l'apparition de la supraconductivité dans ces matériaux. Jusqu'ici, le problème était le suivant: le couplage ne pouvait pas être mesuré directement avec une haute précision, mais devait être déterminé à l'aide d'une combinaison d'hypothèses théoriques et de données de mesure.

Le laser à rayons X montre les vibrations du réseau

Nous avons maintenant réussi à déterminer ce couplage pour un supraconducteur non conventionnel, le séléniure de fer, de manière purement expérimentale et avec une grande précision, explique Simon Gerber, Nous avons montré que dans le séléniure de fer, le couplage jouait un rôle essentiel dans les propriétés du matériau. Pour ce faire, le chercheur et ses collègues du SLAC et de l'Université de Stanford ont combiné les données issues de deux expériences de haute précision. Dans les deux expériences, le réseau cristallin a été excité par une impulsion lumineuse et se met à vibrer. Dans le cadre de la première, les chercheurs ont analysé la manière dont les vibrations du réseau évoluaient avec le temps; dans le cadre de la deuxième, ils ont étudié le comportement correspondant des électrons avec une méthode appelée photoémission. Cette partie de l'analyse a été conduite par Shuolong Yang, alors doctorant au SLAC, Patrick Kirchmann, chercheur au SLAC, et d'autres collègues.

L'analyse de la vibration du réseau a été menée dans le cadre d'une expérience de diffraction de rayons X au laser à rayons X à électrons libres LCLS. C'est uniquement avec ces méthodes de mesure ultra-rapides que nous réussissons à déterminer de manière extrêmement précise le mouvement des atomes, souligne Simon Gerber. La combinaison des deux expériences a représenté un défi important, car elles ne pouvaient pas se dérouler en même temps et devaient malgré tout être menées dans des conditions aussi identiques que possible.

Mais les efforts ont été récompensés. Notre mode d'accès a un avantage: nous n'avons pas de besoin d'émettre d'hypothèses théoriques pour obtenir l'intensité du couplage pour des trajectoires d'électrons spécifiques, relève le chercheur. Nous les obtenons directement à partir des expériences et nous pouvons ensuite les utiliser pour comparer différents modèles théoriques pour l'interpretation. Les chercheurs ont par ailleurs constaté que l'intensité du couplage entre réseau d'atomes et électrons dépendait de la trajectoire électronique qu'ils examinaient. Or pour une description théorique correcte, il faut considérer ce qu'on appelle les effets multi-particules. Il s'agit donc d'une approche plus complexe que les méthodes de calcul classiques souvent utilisées jusqu'ici.

Retour au PSI après la Californie

Simon Gerber est convaincu que cette approche combinée purement expérimentale est susceptible de contribuer à éclairer la controverse, dont la compréhension de la supraconductivité à haute température fait l'objet depuis longtemps. Et ce n'est pas tout. De tels effets de couplage peuvent aussi s'avérer déterminants dans d'autres phénomènes comme le magnétisme, explique-t-il. Notre objectif, à l'avenir, est donc de continuer à développer cette forme d'expérience combinée. Depuis environ un an, le physicien est de retour au PSI. Ce qui le motive, surtout, c'est la perspective de pouvoir participer à la conception du nouveau laser à électrons libres: Nous construisons ici une nouvelle machine à la conception de laquelle nous pouvons participer, afin que nos expériences spécifiques deviennent possibles dit-il. Cela inclut les instruments, mais aussi la conception du FEL proprement dit. C'est tout à fait captivant de voir jusqu'où on peut aller au niveau technologique.

Tel est également l'avis de Henrik Lemke, qui est lui aussi revenu du SLAC californien au PSI il y a deux ans, spécialement pour le développement du SwissFEL, en tant que scientifique spécialiste des lignes de faisceau. Son séjour au SLAC lui a permis d'accumuler cinq ans d'expérience depuis le lancement de l'installation. A l'avenir, il encadrera également les chercheurs lors de leurs différentes expériences au SwissFEL. Ici, nous avons l'opportunité de tirer les enseignements des expériences, de fixer de manière ciblée certains points forts et de développer des améliorations, note-t-il.

Des commutateurs atomiques pour améliorer les cellules solaires et les mémoires de stockage

Le chercheur a lui-même réussi à effectuer des plongées fascinantes dans les processus de commutation de certaines molécules. Il a rapporté ses résultats en mai dans la revue spécialisée Nature Communications. Pour ce faire, le scientifique et ses collègues de France et des Etats-Unis ont examiné un complexe de fer, une grosse molécule au centre laquelle se trouve un atome de fer, entouré entre autres d'atomes d'azote. Il s'agit d'une sorte de système modèle qui a déjà été étudié à l'aide de nombreuses méthodes. Il permet donc de bien étudier de nombreuses propriétés fondamentales et de procéder à des comparaisons avec des résultats connus. Le FEL nous permet d'observer des modifications dans l'arrangement de la molécule qui se produisent si vite qu'auparavant, ils n'étaient pas identifiables avec les méthodes de mesure structurelles, explique Henrik Lemke. Comme il est très difficile de calculer théoriquement des états d'aussi courte durée, il est particulièrement important que nous arrivions ici à réaliser un accès expérimental.

Des processus de commutation d'aussi courte durée jouent par exemple un rôle dans les cellules solaires Grätzel dont la fabrication est très bon marché. Dans ces cellules, les électrons sont excités par la lumière incidente du soleil de telle sorte qu'ils quittent leur position d'origine dans une molécule et sautent dans une nanoparticule voisine où ils peuvent contribuer au flux électrique. Dans la molécule modèle considérée, ce processus est cependant dépassé par une commutation très rapide et efficace de l'état magnétique, ce qui pourrait alors être intéressant comme mémoire moléculaire avec une haute densité de stockage.

Commutation magnétique observée pendant une fraction d'un milliardième de seconde

Les chercheurs emmenés par Henrik Lemke sont les premiers à avoir réussi à suivre ce processus de magnétisation en cascade dans le complexe de fer examiné et à avoir établi pourquoi l'état commuté restait stable. Or les processus décisifs se sont déroulés dans des laps de temps inimaginablement courts de quelques fractions d'un milliardième de seconde, soit d'un millionième de millionième de seconde. Les chercheurs ont pu observer la manière dont la lumière visible d'une longueur d'onde donnée excitait un atome, de telle sorte que ce dernier bondissait vers l'azote voisin en moins de 1/40 milliardième de seconde. La nouvelle position a permis une réorganisation des électrons (autrement dit du porteur du magnétisme dans la molécule) qui a fait apparaître une magnétisation nette en l'espace d'un dixième de milliardième de seconde. Cette commutation des électrons a déplacé à son tour l'équilibre des atomes dans la molécule, de telle sorte que ces derniers se sont mis à bouger pour adopter à nouveau la position la plus favorable. Les chercheurs ont réussi à montrer que, manifestement, la molécule prenait quelques inspirations avant que ce mouvement ne se termine très vite, ce qui stabilisait l'état commuté – une condition importante pour un stockage de données fiable.

Nous observons ici une course entre deux processus et nous obtenons en même temps des informations importantes sur leur lien avec la structure moléculaire, souligne Henrik Lemke. Ces connaissances sont susceptibles de nous aider à concevoir de manière ciblée des molécules qui favorisent l'un des processus et rendent ainsi possible une application technologique, comme la conversion de l'énergie lumineuse ou un interrupteur moléculaire commandé. Avec le SwissFEL, nous sommes en mesure d'observer des processus encore dix fois plus brefs que cela n'a été le cas jusqu'ici, et donc d'obtenir des éléments de connaissances sur des matériaux encore plus rapides et importants au plan technologique, surtout dans le domaine des solides.

Et Simon Gerber d'ajouter: Les deux études montrent que les expériences au FEL sont très puissantes. Mais il existe très peu d'installations, si bien que les temps de mesure sont très convoités et très limités. Grâce au SwissFEL, nous pouvons faire avancer cette importante recherche.

Texte: Uta Deffke


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 380 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).

(Mise à jour: mai 2017)

Informations supplémentaires
Communiqué de presse sur l'article de Science de Simon Gerber et al. publié par SLAC National Accelerator Laboratory (en anglais):
https://www6.slac.stanford.edu/news/2017-07-06-scientists-get-first-direct-look-how-electrons-dance-vibrating-atoms.aspx
Contact/interlocuteurs
Dr Simon Gerber
Laboratoire de micro et nanotechnologie
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 39 65, e-mail: simon.gerber@psi.ch

Dr Henrik Till Lemke
Grand projet SwissFEL/Photonics
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 49 82, e-mail: henrik.lemke@psi.ch
Publications originales
Femtosecond electron-phonon lock-in via photoemission and x-ray free-electron laser
S. Gerber, S.-L. Yang, D. Zhu, H. Soifer, J. A. Sobota, S. Rebec, J. J. Lee, T. Jia, B. Moritz, C. Jia, A. Gauthier, Y. Li, D. Leuenberger, Y. Zhang, L. Chaix, W. Li, H. Jang, J.-S. Lee, M. Yi, G. L. Dakovski, S. Song, J. M. Glownia, S. Nelson, K. W. Kim, Y.-D. Chuang, Z. Hussain, R. G. Moore, T. P. Devereaux, W.-S. Lee, P. S. Kirchmann, Z.-X. Shen
Science 7 July 2017
DOI: 10.1126/science.aak9946
http://science.sciencemag.org/content/357/6346/71

Coherent structural trapping through wave packet dispersion during photoinduced spin state switching
Henrik T. Lemke, Kasper S. Kjær, Robert Hartsock, Tim B. van Driel, Matthieu Chollet, James M. Glownia, Sanghoon Song, Diling Zhu, Elisabetta Pace, Samir F. Matar, Martin M. Nielsen, Maurizio Benfatto, Kelly J. Gaffney, Eric Collet, Marco Cammarata
Nature Communications 8 , 24 May 2017
DOI: 10.1038/ncomms15342