Le tournant énergétique en tant que volonté politique est réalité, mais comment la Suisse va-t-elle adapter son approvisionnement actuel en énergie aux objectifs formulés pour l’année 2050? C’est justement sur les questions de mise en oeuvre, des options possibles et des défis à relever lors de la restructuration du paysage énergétique suisse que s’est penché le Congrès sur l’Énergie, organisé le 14 mai 2012 par l’Institut Paul Scherrer. Le sujet principal était la restructuration des réseaux électriques dans un environnement d’approvisionnement énergétique de plus en plus décentralisé. Mais les conséquences des différentes options de production et de stockage, ainsi que les potentiels d’amélioration de l’efficacité énergétique ont également fait l’objet de discussions. Les différentes perspectives des intervenants ont bien montré que seules les solutions globales peuvent réussir.
Environ 10 térawatt-heures: telle est la quantité d’énergie électrique que la Suisse devra, à l’avenir, fournir par le biais des technologies photovoltaïques. Mais quelle est la superficie nécessaire à cette production, et combien de temps doit prendre l’installation des modules? Et si le nombre de producteurs décentralisés d’énergies renouvelables augmente comme prévu, quelles adaptations et quels investissements vont être nécessaires sur le réseau de distribution? Les procédures d’octroi actuelles sont-elles suffisamment rapides pour des projets d’infrastructures d’une telle envergure? Dans quelle mesure l’État doit-il émettre des règlementations visant à permettre de réaliser les objectifs de la nouvelle stratégie énergétique? Les stimulations du marché, comme par exemple les indications des prix, peuvent et doivent permettre d’atteindre quel niveau? Étant donné l’actualité du sujet, les présentations et la discussion commune ont été suivies avec grand intérêt par un public nombreux, composé de représentants politiques, économiques et scientifiques.
Les détails font toute la différence
Joël Mesot, directeur du PSI, a ouvert le congrès en évoquant les réflexions d’un physicien conscient que les détails font toute la différence
. Au moyen de calculs croisés, il a illustré le travail et les dépenses, au niveau technique, financier et administratif, que vont entraîner la restructuration de l’approvisionnement énergétique, et surtout celle de la fourniture en électricité. De plus, Mesot indica qu’il manque encore des chiffres concrets sur la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie énergétique, notamment sur le besoin d’élargissement des réseaux et des capacités de stockage, ou sur la nécessité de réduire les émissions de CO². Il a également soulevé la question concernant le temps disponible pour réaliser la restructuration. En se basant sur un document du Conseil des EPF, il a affirmé être convaincu que la nouvelle stratégie énergétique ne pourra être mise en oeuvre qu’à l’aide d’un Plan Marshall pour l’Énergie
.
La conseillère fédérale Leuthard voit la Suisse en bonne position
La conseillère fédérale Doris Leuthard a présenté les risques économiques sur lesquels le Conseil Fédéral a basé sa décision, prise suite aux évènements survenus au Japon, de se retirer progressivement de l’énergie nucléaire. L’idée de base est de maintenir en marche les centrales nucléaires tant qu’elles sont sures, à savoir que l’on considère que leur durée de vie restante est d’environ 50 ans. Suite à l’annonce de la construction de nouvelles centrales à gaz, elle a insisté sur le fait que l’électricité fournie comporterait une proportion plus importante d’énergie issue des sources d’énergie fossile importée, mais que globalement, la situation resterait inchangée si les économies prévues pour le chauffage au fioul et pour les carburants automobiles étaient effectivement réalisées. La conseillère fédérale a admis que la stratégie énergétique 2050 représente un important défi
pour le pays. Mais la Suisse saura certainement mener ces projets à bien, notamment grâce à ses excellents instituts de recherche, dont fait partie le PSI. Pour ce qui est de l’état des réseaux, elle a attiré l’attention sur le fait que plus de deux tiers ont plus de 40 ans. Les investissements qui n’ont pas été réalisés ces dernières années, ainsi que les provisions insuffisantes, influenceront donc, indépendamment des décisions politiques sur le tournant énergétique, les prix de l’électricité. Néanmoins, elle s’est également montrée confiante, estimant que la compétitivité de l’économie suisse n’en souffrira pas vraiment, car les pays voisins se trouvent également face à des situations similaires.
L’Argovie veut maintenir l’accent mis sur l’énergie
C’est surtout pour le canton d’Argovie que la sortie du nucléaire représente un défi. Le conseiller d’Etat a confirmé la volonté du canton d’Argovie de conserver son étiquette de canton de l’énergie
. Le canton souhaite également conserver la technologie énergétique au centre de ses préoccupations à l’aide de l’initiative Argovie Hightech
, notamment dans le cadre de la formation des futurs experts en énergie. Selon Hofmann, à l’avenir, c’est un transfert libre du savoir et des technologies entre les instituts de recherche et les entreprises qui sera décisif. Car dans le plateau suisse, les ressources principales pour la création de valeur ajoutée, ce sont le savoir et le capital.
Impossible de ne pas développer les réseaux
Pierre-Alain Graf, le PDG de Swissgrid, a fait une présentation sur le renforcement des exigences s’appliquant au réseau de transmission. Selon lui, si l’on veut continuer à assurer la sécurité d’approvisionnement, il est impossible de ne pas développer les capacités des réseaux. Seule la construction de nouvelles centrales ou d’installations de stockage ne supprimera pas les problèmes. Étant donné l’augmentation des fluctuations de puissance des centrales solaires et éoliennes, un réseau de transmission robuste et intelligent sera l’élément central de la nouvelle stratégie énergétique. À l’avenir, l’intégration dans la super-grille
européenne va prendre de l’importance, car le marché de l’électricité n’a pas de frontières géographiques. Dans son exposé, Thilo Krause, de l’ETH Zürich, a présenté les spécificités de la technologie du transport de courant continu à haute tension (CCHT), que l’on considère depuis quelques années comme une option pour relier les éoliennes maritimes à la terre ferme. Krause a déclaré que la technique CCHT est une très bonne option, qui permet de réduire les pertes de transmission. Toutefois, il est nécessaire de poursuivre les recherches en matière de conception des réseaux CCHT ainsi que pour le développement des pièces telles que les disjoncteurs de puissance, ces derniers étant indispensables pour l’élargissement des réseaux CCHT.
Les réseaux de distribution et les consommateurs finaux se trouvent également face à un changement majeur
Un changement se profile également au niveau des réseaux de distribution. Ceux-ci sont en train de passer du statut de réseaux passifs au statut de réseaux actifs, dans lesquels les consommateurs actuels comme les bâtiments deviennent des producteurs d’énergie. René Soland, de la société AEW Energie AG, a évoqué un projet en cours dans la commune de Rheinfelden, qui vise à analyser les effets de cette distribution sur le réseau à basse tension. Les explications de Mario Paolone, de l’EPF Lausanne, visaient à présenter les moyens techniques modernes permettant d’assurer la stabilité du réseau de distribution. Il a démontré qu’il est déjà possible techniquement d’assurer une surveillance précise et en temps réel de l’état du réseau, sur l’ensemble du réseau de distribution. Toutefois, la question des coûts est un obstacle pour les solutions basées sur les systèmes de télécom, surtout pour les petits exploitants de réseaux. Ueli Walker de l’EKZ, a souligné l’importance de l’efficacité énergétique sur le dernier kimomètre
, c'est-à-dire jusqu’au consommateur final. Une technique et des compteurs électriques intelligents sont déjà disponibles, mais les clients ne les emploient que de manière variable, s’ils connaissent leur demande de manière visuelle et en temps réel. Un test pratique réalisé sur ces compteurs intelligents a toutefois révélé un taux d’économie plus faible par les clients que les projets étrangers similaires ne l’avaient laissé espérer.
Le PSI fait de la recherche à plusieurs niveaux sur le système énergétique du futur
Pour finir, deux exposés faits par des chercheurs du PSI ont présenté les principes techniques faisant l’objet de recherche au sein de notre institut , censées contribuer à la réussite de notre stratégie énergétique. Phillip Dietrich, directeur depuis de longues années du Centre de Compétences pour l’Energie et la Mobilité (CCEM), a présenté les avantages du stockage chimique de l’énergie (sous forme d’hydrogène et de méthane). Celui-ci peut s’employer de manière flexible, tant pour la production électrique et thermique que pour les besoins de mobilité, et présentent une densité élevée de flux d’énergie. Alexander Wokaun, chef du département de recherche d’Energie non-nucléaire, a évoqué lors de la présentation finale les travaux de recherche très complets par lesquels le PSI, par le biais d’associations de recherche avec d’autres institutions dans le domaine des EPF, soutient l’avenir énergétique de la Suisse, que ce soit au niveau des matériaux, de la conception, de la construction d’installations ou de l’analyse des systèmes énergétiques. Il a mis en avant le concept de levée énergétique
: il s’agit de plaques énergétiques tournantes pouvant contribuer, au niveau des petites communes, à la stabilité des réseaux d’alimentation. Le but est de relier entre eux, de manière intelligente, les nombreux petits producteurs et consommateurs décentralisés d’électricité, de chauffage urbain, de gaz naturel et d’hydrogène, de sorte que les variations de charge locales des ressources énergétiques soient minimisées. Wokaun a par ailleurs indiqué que les solutions en matière de stabilisation des réseaux, le stockage et la connexion des systèmes d’approvisionnement supérieurs doivent toujours être adaptés aux spécificités locales de chaque ville et chaque commune.
À propos du PSI
L’Institut Paul Scherrer développe, construit et exploite de grandes installations de recherche complexes et les met à disposition de la communauté nationale et internationale. Les principales recherches de l’Institut sont centrées dans le domaine matière et matériaux, energie et environnement, santé. Avec 1500 collaborateurs et un budget annuel d’environ 300 millions CHF, le PSI est le plus grand centre de recherche de Suisse.
Contact
Dr. Philipp Dietrich, membre de l’état-major, Paul Scherrer Institut,Tél. +41 56 310 45 73, philipp.dietrich@psi.ch