Un nouveau matériau conserve une propriété magnétique particulière même à température ambiante
Un nouveau matériau pourrait servir de base aux futures mémoires informatiques, car il permettrait de réduire nettement les besoins en énergie dans le domaine du stockage de données par rapport aux disques durs actuels. Ce matériau fait partie de la classe dite des multiferroïques magnétoélectriques. Leur signe distinctif: dans ces matériaux, les propriétés magnétiques et électriques sont couplées. Ce couplage pourrait permettre d’écrire des bits magnétiques au moyen de champs électriques économes en énergie. On s’attend donc depuis plusieurs années à ce qu’à l’avenir, cette classe de matériaux puisse servir de base aux dispositifs de sauvegarde de données. L’avantage du matériau multiferroïque nouvellement développé est le suivant: la propriété magnétique nécessaire est conservée à température ambiante, et pas seulement – comme c’était le cas de la plupart des multiferroïques magnétoélectriques développés jusqu’ici – à une température très basse, typiquement de moins 200 degrés Celsius. Les chercheurs du PSI ont publié leurs nouveaux résultats dans la revue spécialisée Nature Communications.
Des chercheurs au PSI ont conçu un nouveau matériau qui présente un important potentiel pour les dispositifs de sauvegarde de l’avenir. Il s’agit d’un matériau dit multiferroïque magnétoélectrique, dont la nouveauté décisive réside dans sa capacité à conserver une propriété magnétique indispensable même à température ambiante, ce qui le rend utilisable au quotidien.
Les matériaux multiferroïques magnétoélectriques sont extrêmement rares. Dans ces matériaux, les propriétés magnétiques et électriques sont couplées l’une à l’autre. Il suffit donc d’appliquer un champ électrique pour contrôler les propriétés magnétiques du matériau. Or il est plus simple et moins énergivore de produire des champs électriques que des champs magnétiques. Lorsqu’on applique un champ électrique à un multiferroïque magnétoélectrique, on agit directement sur les propriétés électriques du matériau, explique Marisa Medarde, qui a dirigé la nouvelle étude. Par le biais du couplage magnétoélectrique, on obtient ensuite encore une modification des propriétés magnétiques.
Sauvegarder des données, économiser de l’énergie
Les disques durs informatiques d’aujourd’hui sauvegardent les données sous forme de bits magnétiques, qui sont écrits par application d’un champ magnétique. En comparaison, les dispositifs de sauvegarde basés sur des multiferroïques présenteraient certains avantages: l’enregistrement magnétique des données et leur lecture se feraient par application d’une tension électrique, ce qui nécessiterait nettement moins d’énergie; les appareils produiraient aussi moins de chaleur et auraient moins besoin d’être refroidis par des ventilateurs ou par des appareils de climatisation. Etant donné les milliards de kilowattheures d’énergie consommés dans le cloud computing, les économies dans ce domaine revêtent une grande importance.
Dans presque tous les matériaux, le magnétisme – tel qu’il est présent par exemple dans le fer – et la ferroélectricité – une propriété électrique particulière de certains matériaux – s’excluent mutuellement. Les matériaux multiferroïques forment une exception: ils sont aussi bien magnétiques que ferroélectriques; par ailleurs, ces deux propriétés sont couplées l’une à l’autre. Toutefois, presque tous les matériaux que l’on avait réussi à créer jusqu’ici présentaient un comportement multiferroïque uniquement à des températures très basses, typiquement de moins 200 degrés Celsius. Le nouveau matériau du PSI est donc une nouveauté.
Recette, fabrication et analyses au PSI
Les chercheurs ont réussi à obtenir leur nouveau matériau en élaborant sur mesure aussi bien sa composition chimique que le processus précis de fabrication. Au final, le matériau avec la formule chimique YBaCuFeO5 s’est révélé le plus approprié et présente les meilleures propriétés lorsqu’il est chauffé à haute température avant d’être brutalement refroidi. A hautes températures, les atomes sont arrangés d’une manière qui sert nos objectifs, explique Marisa Medarde. Le refroidissement brutal congèle pour ainsi dire cet arrangement.
Cette méthode du refroidissement brutal est surtout connue dans la fabrication des métaux durs et est utilisée depuis des siècles, par exemple pour durcir les épées d’acier. Mais les chercheurs du PSI ont recouru à des températures beaucoup plus extrêmes: ils ont commencé par chauffer leur matériau à 1000 degrés Celsius avant de le refroidir, d’un seul coup, à moins 200 degrés Celsius. Une fois retiré de son bain froid, le matériau conserve ses propriétés magnétiques particulières à température ambiante et même un peu en dessus.
La recette et le procédé de production ont été développés au PSI, où le matériau a aussi été fabriqué, puis étudié aux deux grands instruments de recherche que sont la source de neutrons SINQ et la Source de Lumière Suisse SLS. Notre nouveau matériau est composé d’ingrédients très bon marché, se réjouit Marisa Medarde. La fabrication, telle que nous l’avons élaborée à présent, est facile à réaliser.
Le nouveau matériau doit ses propriétés multiferroïques magnétoélectriques à ce qu’on appelle des spirales magnétiques au niveau des atomes. Ces minuscules spirales assurent le couplage du magnétisme et de la ferroélectricité. Mais dans la plupart des matériaux, les spirales magnétiques disparaissent lorsque la température du matériau dépasse les quelque moins 200 degrés Celsius. Le mérite principal des chercheurs du PSI est d’avoir réussi à créer un matériau avec des spirales magnétiques qui restent stables jusqu’à température ambiante. Même à 30 degrés Celsius, nos spirales magnétiques étaient toujours là
, se réjouis Marisa Medarde.
Un proche parent des supraconducteurs à haute température
Le matériau YBaCuFeO5 n’est en fait pas tout à fait nouveau. Ce composé a été synthétisé pour la première fois en 1988. Mais la méthode de fabrication mise à point par les chercheurs du PSI permet d’arranger précisément les atomes de fer et de cuivre dans le matériau, de manière à doter ce dernier de propriétés tout à fait nouvelles. YBaCuFeO5 est étroitement apparenté à la famille des oxydes mixtes de baryum, d’yttrium et de cuivre, abrégée YBa2Cu3O6+x, un groupe de supraconducteurs découverts en 1987 qui gardent leurs propriétés supraconductrices jusqu’à des températures relativement élevées: quelques-uns d’eux perdent leur propriété supraconductrice à environ moins 180 degrés Celsius, soit 200 degrés en dessous de la température de disparition des spirales du nouveau matériau fabriqué au PSI.
Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann
À propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2000 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 370 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l’Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).
(Mise à jour: mai 2016)
Contact
Dr. Marisa Medarde, Laboratoire des développements scientifiques et nouveaux matériaux, Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, SuisseTéléphone: +41 56 310 32 83, e-mail: marisa.medarde@psi.ch [allemand, anglais, français, espagnol]
Publication originale
Tuning magnetic spirals beyond room temperature with chemical disorderM. Morin, E. Canévet, A. Raynaud, M. Bartkowiak, D. Sheptyakov, V. Ban, M. Kenzelmann, E. Pomjakushina, K. Conder, M. Medarde
Nature Communications, 16 décembre 2016 DOI: 10.1038/ncomms13758