De l’hélium pionique avec une longue durée de vie: première preuve expérimentale de l’existence d’une matière exotique

Les atomes exotiques, où des électrons ont été remplacés par d’autres particules, permettent de scruter en profondeur l’univers quantique. Au terme de huit ans de travail, une équipe internationale de chercheurs a réussi une expérience difficile à la source de pions du PSI: créer un atome artificiel appelé «hélium pionique». Ce dernier est apparu lorsque l’électron d’un atome d’hélium a été remplacé par un pion qui se trouvait dans un état quantique particulier. Par ce biais, le pion a vu sa durée de vie, en principe très courte dans la matière, s’allonger de mille fois. Cet état qui se caractérise par une longue durée de vie permettra de mesurer le pion avec plus de précision qu’aujourd’hui. Les pions font partie d’une importante famille de particules, qui joue également un rôle décisif dans la cohésion du noyau atomique. Les chercheurs viennent de publier leurs résultats dans la prestigieuse revue spécialisée Nature.

Anna Soter conduit au PSI des expériences impliquant des pions et des muons. Depuis début 2020, elle est employée à l’ETH Zurich.
(Photo: Institut Paul Scherrer/Stefan Ritt)
Représentation artistique de l’hélium pionique dans la lumière laser. Le pion (représenté ici comme composé d’une particule élémentaire orange et d’une particulaire élémentaire bleue, ses deux quarks) remplace l’un des deux électrons dans l’atome d’hélium. Lors de l’expérience, il a été excité avec de la lumière laser (indiquée ici en rouge).
(Illustration: Institut Max-Planck d’optique quantique/Thorsten Naeser)
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De gauche à droite: un pion (π) croise un atome d’hélium et remplace l’un de ses deux électrons. Le résultat est un atome d’hélium pionique (πHe+) où, dans certains états quantiques, le pion vit mille fois plus longtemps que dans d’autres types d’atomes pioniques. Le point crucial de l’expérience était de prouver qu’un tel atome existait bel et bien. Pour obtenir cette preuve, un faisceau laser résonnant incite le pion à sauter de sa trajectoire quantique vers une autre trajectoire qui induit son absorption par le noyau d’hélium. Résultat: le noyau se désintègre et ses débris peuvent être détectés.
(Schéma: Institut Max-Planck d’optique quantique)

Au bout de huit ans, des chercheurs ont réussi à conduire une expérience complexe qui pourrait bien fonder un nouveau champ de recherche. Ce marathon scientifique a été rendu possible par une coopération internationale entre l’Institut Max-Planck d’optique quantique (MPQ), l’Institut Paul Scherrer PSI en Suisse et le CERN, le Laboratoire européen pour la physique des particules.

L’équipe a été la première à réussir à prouver l’existence d’atomes d’hélium pionique avec une longue durée de vie. Dans ces derniers, un pion remplace l’un des deux électrons de l’atome d’hélium. «Il s’agit d’une espèce de réaction chimique qui se produit de manière complètement automatique», explique Masakai Hori du MPQ.

Pour mener leur expérience, les chercheurs du MPQ et du CERN se sont rendus au PSI pour utiliser la plus puissante source de pions du monde. «Il n’y a que là que nous avions une bonne chance de réussir, souligne Anna Soter, qui a été impliquée de manière prépondérante dans l’expérience. Anna Soter a travaillé au MPQ, puis au PSI à partir de 2017 et travaille à l’ETH Zurich depuis début 2020.

L’existence de l’hélium pionique avait été prédite sur le plan théorique en 1964 déjà: des expériences avaient alors mis en évidence certains éléments suggérant son existence. Mais on considérait comme extrêmement difficile de réussir à prouver l’exactitude de cette prédiction de manière expérimentale. Le pion a une durée de vie très courte et se désintègre encore plus vite s’il se retrouve dans un atome, habituellement en l’espace d’une picoseconde, c’est-à-dire d’un millième de milliardième de seconde. Mais dans l’hélium pionique, il peut être conservé, en quelque sorte, et vit ainsi mille fois plus longtemps que dans d’autres atomes.

Le «pistolet fumant»

Pour l’équipe, le défi a consisté à prouver l’existence d’hélium pionique dans la cuve de l’expérience remplie d’hélium superfluide extrêmement froid. Lorsqu’il se retrouve dans l’atome d’hélium, le pion se comporte comme un électron lourd. Il peut uniquement sauter entre des états quantiques discrets, comme d’un échelon à l’autre sur une échelle. Pour réussir à prouver son existence, les chercheurs ont dû identifier un état avec une longue durée de vie et un saut quantique spécifique qui puisse être excité au moyen d’un laser et permette d’amener le pion dans le noyau l’atome d’hélium. Cette méthode a pour effet de détruire le noyau de l’atome et ce sont les débris du noyau atomique qui servent pour ainsi dire de «pistolet fumant» permettant de détecter le pion. Toutefois, les théoriciens n’étaient pas en mesure de prédire précisément la longueur d’onde de la lumière à laquelle se produirait ce saut quantique décisif. L’équipe a ainsi dû construire successivement trois systèmes laser complexes avant d’y arriver.

«Notre expérience nous a permis de prouver l’existence de cet état quantique de l’hélium pionique, se réjouit Anna Soter. Jusque-là, on n’avait fait que spéculer à ce sujet.» Ce résultat ouvre à présent la possibilité d’étudier le pion au moyen de la spectroscopie laser et, ce faisant, de mesurer notamment la masse du pion de manière beaucoup plus précise que jusqu’ici.

Si les chercheurs s’intéressent au pion, c’est, entre autres, parce qu’il pourrait contribuer à élucider certaines incohérences du modèle standard de la physique des particules.

Nouvelle fenêtre sur le cosmos quantique

Le pion fait partie d’une famille de particules appelés mésons. Les mésons servent aussi de médiateurs de la force nucléaire entre les neutrons et les protons en tant que composants des noyaux atomiques. Bien que les protons chargés positivement se repoussent violemment les uns les autres, la force nucléaire est plus forte et les maintient ensemble, assurant la cohésion du noyau atomique. Sans cette force, notre univers n’existerait pas. Les mésons sont composés de deux quarks: ils diffèrent ainsi des protons et des neutrons qui, eux, sont composés chacun de trois quarks.

Texte: Rédigé sur la base d’un communiqué de presse de l’ Institut Max-Planck d’optique quantique avec des compléments de l’Institut Paul Scherrer

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 407 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: mai 2019)

Contact

Dr Anna Soter
HPK G 27, Otto-Stern-Weg 5, 8093 Zurich, Suisse
Téléphone: +41 44 633 06 73, e-mail: asoter@ethz.ch [anglais, allemand, hongrois]

Dr Andreas Dax
Laboratoire d’optique non linéaire
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 44 72, e-mail: andreas.dax@psi.ch [allemand, anglais, français]

Publication originale

Laser spectroscopy of pionic helium atoms
M. Hori, H. Aghai-Khozani, A. Sótér, A. Dax, D. Barna
Nature, 6 mai 2020 (en ligne)

DOI: 10.1038/s41586-020-2240-x