Diffusion des radionucléides: les enseignements pour un dépôt en couches géologiques profondes

Comment les substances radioactives évoluent-elles dans la roche d’accueil d’un dépôt en couches géologiques profondes pour déchets nucléaires ? A l’Institut Paul Scherrer (PSI), des chercheurs du groupe de recherche Processus de diffusion se penchent sur cette question au Laboratoire Sûreté des dépôts de déchets radioactifs. On connaît bien les propriétés de transport des radionucléides chargés négativement : ils sont repoussés par les surfaces des minéraux argileux, chargées négativement elles aussi, et n’adhèrent donc pour ainsi pas à la roche. Un projet de l’Union européenne est en train de mettre en évidence des éléments de connaissance concernant les radionucléides chargés positivement, qui eux, adhèrent fortement à la roche. Le PSI y participe.

Luc Van Loon, chef du groupe de recherche Processus de diffusion, remplissant de l'illite la nouvelle cellule de diffusion. Source: Markus Fischer/ Institut Paul Scherrer.

Dans le choix du site pour leur dépôt en couches géologiques profondes pour déchets nucléaires, la Suisse et d’autres pays (par example: la France, la Belgique, la Hongrie, le Canada) misent sur la roche argileuse. Les formations argileuses comme l’argile à Opalinus se présentent le plus souvent sous la forme de blocs massifs, avec une structure feuilletée, compacte. Les fines pores typiques de cette roche entravent la propagation des éléments chimiques radioactifs (radionucléides) vers la surface. Par ailleurs, les surfaces de minerais argileux sont chargées négativement. Ainsi, les radionucléides chargés positivement adhèrent à ces surfaces, par le biais de forces électrostatiques ou de liaisons chimiques. Pour ce genre de radionucléides, la roche argileuse représente un piège efficace. Par ailleurs, la finesse de ses pores fait qu’en couche argileuse, l’eau est peu mobile, voire pas du tout, et ne peut donc pas emporter de radionucléides avec elle. Les radionucléides n’ont alors plus qu’un seul moyen pour s’échapper de la roche d’accueil : la diffusion.

Une errance à mobilité thermique

Le terme « diffusion » désigne ici un processus : le mouvement aléatoire et omnidirectionnel de particules dans un milieu, dont le résultat est une répartition spatiale plus ou moins uniforme de ces mêmes particules, concentrées au départ en un seul endroit. La diffusion est provoquée par le mouvement thermique d’oscillation, appelé « tremblement », que tous les atomes ou molécules exécutent. Elle dépend donc de la température.

Au Laboratoire Sûreté des dépôts de déchets radioactifs du PSI, le groupe de recherche Processus de diffusion analyse la diffusion des radionucléides dans la roche d’accueil d’un dépôt en couches géologiques profondes. Sous la houlette de Luc Robert Van Loon, des scientifiques étudient ici les mécanismes et les propriétés de la diffusion des radionucléides dans tous les types de roches, qui entrent en ligne de compte pour un dépôt suisse en couches géologiques profondes. Les résultats sont utilisés par la Nagra (Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs), pour évaluer les sites suisses proposés pour le dépôt en couches géologiques profondes, en fonction de critères scientifiques rigoureux. La diffusion des radionucléides chargés négativement a été bien caractérisée au cours des dix dernières années, notamment dans l’argile à Opalinus. Dans le cadre du projet de l’Union européenne CatClay, et en collaboration avec des partenaires internationaux, les chercheurs mettent à jour depuis 2010 des connaissances importantes sur les radionucléides modérément ou fortement sorptifs (chargés positivement).

Adhérer, ce n’est pas forcément rester en place

Dans la couche argileuse, les radionucléides chargés positivement (cations) adhèrent aux couches limites, ce qui complexifie leur diffusion. Car ce n’est pas parce qu’ils adhèrent aux surfaces qu’ils restent en place. Au contraire, ils peuvent se mouvoir le long de la surface, sans perdre le contact avec cette dernière. Quantifier et comprendre cette diffusion, dite de surface, est l’un des objectifs du projet CatClay.

Concrètement, les chercheurs veulent maintenant étudier la diffusion de différents radionucléides dans l’illite. L’illite est l’un des composants les plus fréquents des minerais argileux, et comme plusieurs ces derniers, l’absorption d’eau la fait beaucoup gonfler. Pour les essais de diffusion, on presse les radionucléides en solution aqueuse dans un échantillon de roche. Autour de cet échantillon, la cellule de diffusion a besoin d’un filtre, qui laisse passer la solution, tout en contenant la roche, de manière à ce que cette dernière ne s’effrite pas. Mais, en effet, les filtres courants en acier poreux ne sont pas appropriés à cette tache. Donc, a la place de l’acier poreux, les chercheurs du PSI utilisent des minces membranes au plastique comme matériau pour les filtres de leur nouvelle cellule de diffusion. L’acier poreux retiens presque complètement les radionucléides chargés positivement, qu’il s’agit ici de mesurer. Or, dans ces conditions, effectuer ces mesures serait impossible, car les radionucléides pourraient difficilement pénétrer dans l’échantillon de roche. Pour leurs mesures, les chercheurs ont conçut leur cellule de diffusion de telle manière que la stabilité méchanique des membranes polymères suit garantit et, en même temps, une quantité suffisante des radionucléides puisse diffuser dans l’échantillon de roche.

Signes encourageants pour la nouvelle cellule de diffusion

Jusqu’ici, les chercheurs du PSI ont mesuré le coefficient de diffusion (unité de mesure de la rapidité de la diffusion) de deux isotopes chargés deux fois positivement, le Co-60 et le Zn-65. Il s’agit dans les deux cas de radionucléides qui adhèrent de manière relativement forte. Les chercheurs ont trouvé jusqu’ici des indices importants du rôle que joue dans leur cas la diffusion de surface. Cet enseignement permettra de mieux décrire, dans des modèles théoriques, la diffusion de ces radionucléides et de radionucléides similaires. Autre fait réjouissant : la nouvelle cellule de diffusion a jusqu’ici bien rempli son office. Mais comme le fait observer Luc Robert Van Loon, d’autres mesures seront nécessaires pour que cet instrument fasse définitivement ses preuves.

Il reste à espérer que ce sera bel et bien le cas. Car pour la recherche en dépôts de substances radioactives en couches géologiques profondes, les mesures réalisées en laboratoire sont indispensables. Par rapport aux mesures de terrain, comme celles qu’effectue la Nagra dans le laboratoire souterrain du Mont Terri, le laboratoire permet d’observer beaucoup plus de radionucléides, en un laps de temps court et en conditions contrôlées, souligne Luc Robert Van Loon. Même si les essais en laboratoire souterrain sont nécessaires, en fin de compte, sans les travaux préliminaires en laboratoire, l’acquisition de connaissances dans ce domaine extrêmement important se ferait beaucoup plus lentement.

Auteur: Leonid Leiva

Informations supplémentaires
Page web du Laboratoire Sûreté des dépôts de déchets radioactifs
Contact
Dr. Luc Robert Van Loon, Chef du groupe de recherche Processus de diffusion,
Laboratoire Sûreté des dépôts de déchets radioactifs, Institut Paul Scherrer ,
Téléphone: +41 56 310 22 57, Email: luc.vanloon@psi.ch