«La protonthérapie pourrait aider davantage de patientes et de patients»

Récemment traduit en allemand, l’ouvrage «Physics against Cancer» («La physique contre le cancer») raconte comment la protonthérapie, une technique révolutionnaire pour le traitement de tumeurs, a été développée à l’Institut Paul Scherrer PSI. C’est à l’esprit pionnier et à la ténacité de nombreux chercheurs et chercheuses du PSI que l’on doit, aujourd’hui, de disposer de cette méthode de radiothérapie innovante. Chaque année, elle sauve la vie de nombreux enfants et adultes souffrant de tumeurs difficiles à traiter. Selon Damien Weber, médecin-chef et directeur du Centre de protonthérapie au PSI, un plus grand nombre de personnes pourraient en profiter.

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Prof. med. Damien Charles Weber
Damien Weber
Prof. med. Damien Charles Weber

«Le risque que les personnes atteintes d’un cancer subissent certains effets secondaires est moins important lorsqu’elles sont irradiées avec des protons plutôt qu’avec des rayons X», indique Damien Weber, directeur et médecin-chef du Centre de protonthérapie au PSI. Désormais traduit en allemand, l’ouvrage «Physics against Cancer» retrace le développement de la protonthérapie. © Scanderbeg Sauer Photography

Professeur Weber, qu’est-ce qui rend la protonthérapie aussi révolutionnaire, au point qu’elle mérite même qu’on écrive un livre sur son développement au PSI?

Professeur Weber: Tout comme les rayons X utilisés en radiothérapie classique à l’hôpital, les rayons de protons détruisent le matériel génétique des cellules cancéreuses, qui ne peuvent plus se diviser et meurent. Les protons sont toutefois des particules et, lorsqu’ils sont utilisés de cette manière, ils libèrent la majeure partie de leur énergie dans une zone très limitée du corps, c’est-à-dire dans la tumeur elle-même. Cette énergie reste en quelque sorte captive à cet endroit, ce qui permet d’administrer une dose de rayonnement plus élevée dans la tumeur tout en préservant les tissus sains situés derrière elle.

Lors du traitement, le faisceau de protons doit toutefois pouvoir être guidé de manière très précise, une contrainte qui exige une certaine dose de technicité et, en conséquence, quelques décennies de travail de développement. Car nous devons en fin de compte garantir que la méthode est cent pour cent sûre pour les patientes et les patients.

Quel est l’avantage de la protonthérapie pour les patientes et les patients?

Remplacer les rayons X par des faisceaux de protons réduit le risque, pour les personnes malades, de souffrir de certains effets secondaires de la radiothérapie conventionnelle. Ceci vaut en particulier pour les tumeurs situées près de tissus ou d’organes délicats, comme les tumeurs cérébrales, des voies aérodigestives supérieures (ORL), de la tête et du cou ou de la base du crâne ainsi que les tumeurs proches de la colonne vertébrale.

Dans le cas des tumeurs ORL par exemple, l’irradiation de la cavité buccale et de la muqueuse pharyngée par des rayons X peut entraîner des lésions permanentes des muscles de la déglutition, de sorte que la patiente ou le patient ne peut parfois plus se nourrir normalement.

Suivant le type de cancer, un rayonnement classique peut également endommager les glandes salivaires ou l’hypophyse. Et naturellement, ce sont surtout les enfants cancéreux qui profitent d’une protonthérapie.

Pourquoi les enfants plus que les autres?

Chez les enfants, le risque que les rayons endommagent les tissus sains et provoquent des séquelles à long terme est plus élevé, car ils sont plus sensibles aux radiations que les adultes. En effet, si des cellules saines ont été endommagées par la radiothérapie en raison de leur proximité avec la tumeur, ces dommages peuvent se transmettre à un nombre croissant de cellules à chaque division cellulaire. Par ailleurs, quand le corps est petit, la probabilité qu’une structure critique comme la colonne vertébrale ou le cerveau se trouve à proximité de la tumeur est bien plus élevée que lorsque nous traitons un adulte. C’est pourquoi il est judicieux de traiter les enfants cancéreux à l’aide d’une méthode de rayonnement précise comme la protonthérapie.

Quels sont les plus grands succès qui ont permis à la protonthérapie de s’établir en tant que méthode de traitement clinique en Suisse?

Le premier jalon remonte à l’année 1984, quand un patient qui souffrait d’une forme rare de tumeur oculaire a été traité par des protons au PSI. C’était, à l’époque, une première en Europe. En 1966, nous avons commencé à traiter les premiers patients avec la méthode de Spot Scanning que nous avons développée. Cette méthode permet de traiter les tumeurs profondes à l’aide d’un faisceau de protons aussi fin qu’un crayon, comme si on les effaçait. Il s’agissait même, cette fois-ci, d’une première mondiale!

L’année 2001 est aussi à marquer d’une pierre blanche pour la protonthérapie: depuis cette date en effet, les assurances maladie suisses prennent en charge les coûts du traitement de certains cancers. En 2004, nous avons traité le premier enfant sous anesthésie; grâce à la coopération avec l’hôpital de l’enfance de Zurich. Nous traitons désormais entre 60 et 70 enfants et jeunes chaque année.

Et l’année 2007 a également été importante puisque le centre de protonthérapie a reçu son propre accélérateur, baptisé COMET. Avant, les protons étaient produits dans un accélérateur que le PSI utilisait essentiellement pour réaliser des expériences de physique, et dont il se sert d’ailleurs encore aujourd’hui. Chaque année, cet accélérateur est arrêté pendant plusieurs mois pour des travaux d’entretien. COMET nous permet de traiter des patientes et des patients toute l’année, du lundi au vendredi.

Le centre de protonthérapie du PSI traite les personnes atteintes de cancer. Pour les patientes et les patients, l'irradiation par protons se fait généralement en position couchée. © Scanderbeg Sauer Photography

Nous sommes donc arrivés au but?

Non, malheureusement pas. Un plus grand nombre de personnes pourraient profiter de la protonthérapie, pas seulement dans le monde entier, mais aussi chez nous, en Suisse. Le problème est que le potentiel de la protonthérapie n’est pas encore suffisamment connu de tous les spécialistes. C’est pourquoi de nombreux malades du cancer qui pourraient bénéficier d’une protonthérapie ne savent pas que cette possibilité existe.

Nous traitons actuellement plus de 170 personnes souffrant de tumeurs profondes chaque année, mais nous serions capables d’en soigner davantage. Parmi les personnes qui pourraient profiter d’une protonthérapie, certaines décident même de suivre une thérapie classique à l’hôpital, à proximité de chez elles.

Qu’est-ce qui retient les patientes et les patients de recourir à la protonthérapie alors que le traitement de certains types de cancer est même pris en charge par les assurances maladie?

Nous sommes le seul centre de protonthérapie en Suisse et se rendre à Villigen est long et compliqué, surtout pour les personnes qui viennent de Suisse romande, du Tessin ou de Suisse orientale. Comme la thérapie dure généralement plusieurs semaines; certaines personnes louent une chambre à proximité du centre pour simplifier les choses. Malheureusement, les caisses maladie ne remboursent pas les frais de logement, ce qui décourage probablement des patientes et des patients de suivre un traitement dans nos locaux. Il serait en principe temps de doter la Suisse de centres de protonthérapies supplémentaires. Cette possibilité a déjà été envisagée à de nombreuses reprises, mais la réflexion n’a pour l’instant pas débouché sur des projets concrets.

Sait-on avec certitude qu’il vaut la peine de se soumettre à une protonthérapie?

Oui, des études cliniques montrent clairement que la protonthérapie peut avoir un avantage par rapport à la radiothérapie classique. C’est le cas pour certaines tumeurs ORL, par exemple, et plus particulièrement celles localisées sur un côté de la tête ou du cou, les tumeurs avancées dans la zone du nez et du pharynx ou les tumeurs des sinus. Les tumeurs cérébrales ou de la colonne vertébrale sont un autre exemple d’indication pour la protonthérapie. Mais il est vrai que nous manquons encore de données solides sur de nombreux autres types de cancers, les études cliniques étant chères et, surtout, de longue haleine. C’est pourquoi les résultats ne nous parviennent qu’au compte-gouttes.

Les études cliniques sont-elles incontournables?

Pas forcément, des collègues du centre médical universitaire de Groningen, aux Pays-Bas, ont développé une approche pour comparer la protonthérapie à la radiothérapie classique sans effectuer d’études cliniques. Pour ce faire, ils simulent sur ordinateur la nature et l’ampleur des effets secondaires à prévoir après un traitement avec l’une ou l’autre méthode. Ils vont par exemple évaluer à quel point les muscles de la déglutition sont endommagés. Ensuite, ils suivent les effets secondaires réels des patientes et des patients qui ont été irradiés d’une manière ou d’une autre dans la réalité, et ajustent leur modèle en permanence.

Leurs travaux montrent pour l’instant que la protonthérapie semble avoir encore moins d’effets secondaires que prévu dans le cas des tumeurs de la tête et de la nuque. Il semble donc que les efforts déployés pour la protonthérapie en valent vraiment la peine, plus que nous ne le pensions jusqu’à présent. A long terme, cela peut faire une grande différence dans la qualité de vie des personnes guéries de leur cancer.

La protonthérapie semble actuellement être une application de niche qui n’est utilisée que pour un nombre restreint de types de tumeurs. La situation va-t-elle changer à l’avenir?

Nous y travaillons. En collaboration avec le centre de radio-oncologie de l’hôpital cantonal d’Aarau, nous venons de sélectionner des patientes et des patients pour une étude internationale sur le cancer du poumon. Nous espérons obtenir dans trois ans environ les résultats qui nous permettront de savoir si la protonthérapie prolonge significativement la durée de vie des patientes et des patients atteints d’un cancer du poumon avancé par rapport à la radiothérapie conventionnelle.

Nous analysons actuellement si la protonthérapie apporte des avantages dans le traitement du cancer de l’œsophage. Nous participons à cette étude clinique avec la clinique de radio-oncologie de l’hôpital universitaire de Zurich, dans le cadre d’une collaboration européenne. Ici aussi, il est difficile de trouver des participantes et des participants à l’étude, notamment en raison des causes évoquées précédemment. Nous cherchons sans relâche des volontaires. Les malades qui pensent entrer en ligne de compte pour cette étude peuvent volontiers nous contacter.

Prof. Damien Charles Weber
Directeur et médecin-chef du Centre de protonthérapie
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 58 28
damien.weber@psi.ch 
[anglais, français]

Pour de plus amples informations, les personnes souffrant d’un cancer de l’œsophage peuvent contacter les médecins participant à l’étude au PSI:
+41 56 310 35 24
protonentherapie@psi.ch


Ouvrage original

Damien Weber and Simon Crompton
Physics against cancer
vdf Hochschulverlag ETH Zurich: 2023
ISBN 978-3-7281-4136-1

Le livre est disponible dans le PSI Shop