Question de liaison
Comment construire une molécule capable de neutraliser le coronavirus SARS-CoV-2? Des chercheurs à l’Institut Paul Scherrer PSI se penchent sur cette question en coopération avec des groupes de recherche du monde entier. Ils utilisent une méthode relativement nouvelle pour vérifier si des fragments de molécules se lient à certaines protéines importantes du coronavirus. A partir de ces informations, ils espèrent trouver une réponse sur le profil potentiel d’un médicament efficace. Particularité de la démarche: les expériences s’effectuent dans une protéine déjà cristallisée, ce qui rend la procédure particulièrement délicate.
Les protéines sont des molécules qui permettent au coronavirus de s’introduire dans les cellules de notre organisme et de s’y multiplier de manière exponentielle. En bloquant une ou plusieurs de ces protéines, on bloque aussi le virus. Pour ce faire, il faut des principes actifs capables de se lier solidement à certains points de la protéine, qui sont décisifs pour son fonctionnement. Des chercheurs qui travaillent sur la plateforme de cristallisation du PSI s’efforcent d’identifier des candidats potentiels au titre de médicaments.
Normalement, les sociétés pharmaceutiques analysent à cet effet des millions de substances complexes. Si, parmi elles, on en trouve une qui se lie solidement à la protéine, un autre travail astreignant commence: les chercheurs tentent de faire pousser des cristaux à partir du complexe que le principe actif potentiel a formé avec la protéine virale, afin d’analyser leur structure.
May Sharpe et son équipe de la plateforme de cristallisation du PSI optent, quant à eux, pour une autre voie. Ils appliquent ce qu’on appelle le criblage de fragments: «Nous ajoutons des solutions contenant des fragments de molécules typiques de principes actifs prometteurs aux cristaux de protéines virales», explique-t-elle. Les fragments sont beaucoup plus petits que les composés proprement dits qui pourraient un jour être mis sur le marché en tant que principes actifs. Puis les chercheurs laissent incuber les cristaux en présences des fragments de molécules durant quelques heures, voire une nuit. Le cristal peut pour ainsi dire s’imprégner complètement de la solution de fragments. Pour finir, les cristaux sont extraits du liquide, congelés et exposés aux rayons X à la Source de Lumière Suisse SLS. Le diagramme de diffraction qui en résulte permet de calculer la structure en 3D du complexe protéique avec les fragments liés au centre.
«Cela nous permet de voir non seulement si les fragments se sont liés à la protéine, mais aussi de quelle manière, souligne May Sharpe. Nous n’identifions pas de principes actifs tout prêts, mais nous avançons lentement, à tâtons, vers la structure d’un potentiel médicament.» Il existe des bibliothèques entières de fragments de molécules que les chercheurs testent les uns après les autres. Après le trempage des cristaux avec les solutions de fragment, certains fragments se lient plus ou moins fortement à la protéine cible. Dans un deuxième temps, de nouvelles molécules combinant les propriétés des meilleurs fragments sont synthétisées et testées à nouveau.
Le coronavirus dans le viseur
May Sharpe et son équipe étudient plusieurs protéines du coronavirus SARS-CoV-2 en coopération avec des chercheurs du monde entier. «Nous collaborons par exemple depuis longtemps avec le Professeur Sheng Cui de la Chinese Academy of Medical Sciences, un expert de premier plan dans le domaine des coronavirus. Nous pouvons nous appuyer à présent sur cette coopération.»
L’une des protéines que les chercheurs du PSI étudient est une hélicase. Cette enzyme fait en sorte que le virus puisse se multiplier dans les cellules d’un individu infecté. La protéase 3CL est une autre protéine qui coupe les protéines du virus après la réplication, de sorte à faire apparaître de nouveaux coronavirus capables de se répliquer.
En coopération avec le groupe dirigé par Apirat Chaikuad, de l’Institut de chimie pharmaceutique de l’Université Goethe à Francfort, le PSI étudie par ailleurs une autre protéine du coronavirus qu’on appelle macrodomaine. Lorsqu’une personne est infectée par le virus, les cellules de son organisme interviennent en principe rapidement: elles marquent d’une espèce de drapeau rouge les protéines étrangères qui pourraient être dangereuses pour elles. Le système immunitaire peut ainsi les identifier et s’en débarrasser. Mais le coronavirus s’est prémuni contre ce mécanisme. Le macrodomaine tronque ce marquage et leurre ainsi le système immunitaire. Désormais, ce dernier n’identifie plus les composants du virus comme étrangers à l’organisme. Si l’on bloque le macrodomaine à l’aide de médicaments, le corps humain est probablement de nouveau en état d’identifier les protéines virales comme des intruses et il est mieux en mesure de se défendre contre le virus par ses propres moyens.
A une échelle mini
Pour étudier cette protéine et d’autres protéines du coronavirus, May Sharpe commence par faire pousser le plus de cristaux possible de chaque protéine. A elle seule, cette étape constitue déjà un défi, car les protéines sont des entités tridimensionnelles complexes, qui rechignent à s’agencer en grandes formations. Mais pour tester tous les fragments de molécules d’une bibliothèque, la chercheuse doit disposer de plusieurs milliers de cristaux. Une fois que ces derniers sont enfin disponibles, un robot l’assiste pour mener les innombrables séries de tests qui sont maintenant nécessaires.
Une seule série de tests nécessite déjà énormément de préparation. Mais les premiers essais de criblage avec des protéines de SARS-CoV-2 démarreront prochainement.
Texte: Institut Paul Scherrer/Brigitte Osterath
Contact
Dr May Elizabeth Sharpe
Site de production de cristaux
Laboratoire de macromolécules et de bio-imagerie
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 54 37, e-mail: may.sharpe@psi.ch [anglais]
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