Des scientifiques de Francfort ont identifié un éventuel point faible du virus SARS-CoV-2, qui pourrait servir de prise pour de futurs médicaments. Les chercheurs ont effectué une partie de leurs mesures à la Source de Lumière Suisse SLS de l’Institut Paul Scherrer PSI. Leurs résultats de recherche paraissent cette semaine dans la revue spécialisée Nature.
Lorsque le virus SARS-CoV-2 pénètre dans des cellules humaines, il pousse ces cellules hôtes à produire ses propres protéines. L’une de ces protéines virales, appelée PLpro, est essentielle pour que le virus puisse se répliquer et se propager rapidement. Une équipe internationale de scientifiques, travaillant sous l’égide de l’Université Goethe de Francfort et de la Clinique universitaire de Francfort, vient de découvrir que l’inhibition de cet enzyme viral non seulement bloquait la réplication virale, mais qu’elle renforçait aussi la réponse immunitaire antivirale. Autrement dit, si cette protéine est paralysée par un médicament, le virus ne peut probablement plus se répliquer dans les cellules humaines. En outre, le corps humain est alors peut-être en mesure de se défendre par ses propres moyens contre le virus.
«Coup double» contre le coronavirus
Lorsqu’il infecte l’organisme humain, le virus SARS-CoV-2 doit venir à bout de différents mécanismes de défense. Entre autres l’immunité non spécifique ou immunité innée. Les cellules contaminées libèrent des substances messagères appelées «interférons de type I». Ceux-ci attirent les cellules tueuses naturelles qui éliminent les cellules infectées.
Le succès du SARS-CoV-2, et donc sa dangerosité, résident entre autres dans sa capacité à inhiber la réponse immunitaire non spécifique. A cet effet, il pousse les cellules humaines à produire la protéine virale PLpro (papain-like protease). PLpro a deux fonctions: elle est impliquée dans la maturation et la libération de particules virales, et elle inhibe la formation des interférons de type I. Les scientifiques emmenés par Ivan Đikić, dernier auteur de l’article, ont été en mesure d’observer ces processus dans le cadre d’expériences sur des cultures cellulaires. S’ils bloquaient PLpro, la production du virus était inhibée et, en même temps, la réponse immunitaire innée des cellules humaines se voyait renforcée.
En tant que médecin, Sandra Ciesek, directrice de l’Institut de virologie médicale à la Clinique universitaire de Francfort, considère que la papain-like protease représente un objectif antiviral particulièrement attrayant, puisque son inhibition reviendrait à faire «coup double» contre SARS-CoV-2.
Plus de clarté grâce au rayonnement synchrotron
Les chercheurs de Francfort ont effectué les mesures nécessaires pour analyser la structure cristalline de la protéine virale PLpro à la Source de Lumière Suisse SLS, au PSI. «Nous bombardons des cristaux avec des rayons X, explique May Sharpe, cristallographe du Laboratoire de macromolécules et de bio-imagerie du PSI. Cela permet d’étudier des protéines à un niveau de détail de l’ordre de l’atome.» Si l’on connaît la structure exacte des composants du virus, il devient possible de développer de manière ciblée des médicaments contre l’agent pathogène.
Décrypter la structure de protéines à l’échelle de l’atome est une spécialité du PSI. Une mesure ne prend que trois minutes environ par échantillon. Trois stations expérimentales dédiées à l’analyse des cristaux de protéines sont installées, depuis de nombreuses années, aux lignes de faisceaux MX.
Depuis le début de la pandémie, les mesures liées au Covid-19 ont la priorité à la SLS. En mars, le PSI a appelé les chercheurs à déposer des demandes dans ce sens pour du temps de mesure. Donghyuk Shin, de l’Université Goethe de Francfort, a été le premier scientifique à faire une telle demande, raconte May Sharpe. Sa demande a aussi été la raison pour laquelle le PSI a décidé d’annuler la mise à l’arrêt prévue pendant le week-end de Pâques. L’autorisation a été octroyée en deux jours à Donghyuk Shin, autrement dit en un temps record.
Entre-temps, 100 % des mesures sont effectuées par télécommande interposée, ajoute May Sharpe. Pour ce faire, un robot avec bras de préhension équipe d’échantillons la station de mesure à la SLS. «Les chercheurs envoient leurs cristaux par coursier, nous en équipons la station, et les mesures se font à distance», précise la scientifique. Les chercheurs de Francfort n’ont donc pas besoin de se déplacer en personne au PSI: un avantage important en période de pandémie.
Texte fondé sur un communiqué de presse de l’Université Goethe de Francfort, avec des compléments de l’Institut Paul Scherrer/Brigitte Osterath.
Contacts
Dr May Elizabeth Sharpe
Cheffe du groupe Echantillons MX
Laboratoire de macromolécules et de bio-imagerie
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 54 37, e-mail: may.sharpe@psi.ch [anglais]
Prof. Ivan Đikić
Directeur de l’Institut de Biochimie II de la Clinique universitaire de Francfort et chef de groupe au Buchmann Institute for Molecular Life Sciences
Theodor-Stern-Kai 7, 60590 Francfort-sur-le-Main, Allemagne
Téléphone: +49 69 6301 5964, e-mail: dikic@biochem2.uni-frankfurt.de
Informations supplémentaires
Publication originale
Papain-like protease regulates SARS-CoV-2 viral spread and innate immunity
D. Shin, R. Mukherjee, D. Grewe, D. Bojkova, K. Baek, A. Bhattacharya, L. Schulz, M. Widera, A. R. Mehdipour, G. Tascher, K.-P. Knobeloch, K. Rajalingam, H. Ovaa, B. Schulman, J. Cinatl, G. Hummer, S. Ciesek, I. Dikic
Nature, 29 juillet 2020 (en ligne)
DOI: 10.1038/s41586-020-2601-5