Scènes d'action au rythme endiablé

Comment fonctionnent les cellules solaires à colorant? Et que se cache-t-il derrière la brillance des nouveaux écrans de smartphones? Les impulsions ultracourtes de rayons X du SwissFEL lèvent le voile sur les réactions qui se jouent au cœur de ces dispositifs et devraient rendre les appareils plus efficaces et meilleur marché.

Giulia Mancini et Camila Bacellar ont pris place à la cafétéria du PSI et se tiennent mutuellement au courant de leurs derniers résultats de recherche. Après-demain, je pars à Lausanne et, la semaine prochaine, à Hambourg, annonce Giulia Mancini. Cette chercheuse italienne fait partie d'un groupe de recherche à l'EPFL, mais elle est postée au PSI et voyage régulièrement à Hambourg pour discuter sur des expériences possibles avec des scientifiques spécialistes du rayonnement, qui travaillent là-bas au laser européen à électrons libre et rayons X. Celles et ceux qui travaillent à ces grandes installations de recherche, dont il n'existe que cinq exemplaires dans le monde, ont l'habitude de voyager. C'est également le cas de Camila Bacellar: cette chercheuse brésilienne est aussi membre du groupe de recherche lausannois.

Les scénaristes: Giulia Mancini et Camila Bacellar (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)

Les deux scientifiques ont déménagé des États-Unis en Suisse afin d'être aux avant-postes lors de la mise en service du SwissFEL. Le chef de leur groupe est un pionnier dans le domaine de l'étude dynamique des structures moléculaires. Majed Chergui, professeur à l'EPFL, poste régulièrement des jeunes scientifiques de son équipe au PSI. Giulia Mancini est enthousiaste: J'adore ce projet, lance-t-elle. Camila Bacellar, qui abonde dans son sens, raconte les premières expériences-pilotes auxquelles elle a collaboré: En termes d'émotions, ç'a été de vraies montagnes russes sur un laps de temps très court, se souvient-elle. Tous les participants se sont donnés à 150%.

Lors de la première expérience à la station de mesure Alvra, l'équipe du PSI a étudié, avec des chercheurs de Brême et de Cracovie, un matériau qui pourrait convenir à la fabrication de diodes électroluminescentes organiques (OLED). Les OLED sont déjà utilisées pour l'affichage des nouveaux smartphones: elles garantissent des couleurs intenses et un noir profond. Mais les matériaux connus sont chers. Or, il existe une molécule OLED prometteuse et meilleur marché, à base de cuivre et de phosphore. Un phénomène physique, appelé fluorescence retardée par activation thermique, assure une haute efficacité lumineuse. Au SwissFEL, les chercheurs ont étudié le rôle que jouent les atomes de phosphore dans le processus de fluorescence. L'expérience a montré que ces derniers étaient impliqués directement dans le transfert de charge à l'intérieur de la molécule.

Une brillance d'un vert magnifique

C'était un joli prototype d'expérience chimique, raconte Christopher Milne, scientifique spécialiste des lignes de faisceaux à la station de mesure Alvra. Surtout aussi parce que le matériau brillait d'un vert magnifique! Lorsque de nouvelles liaisons chimiques apparaissent ou qu'elles sont rompues, le processus dure seulement quelques centaines de femtosecondes (millionièmes de milliardième de seconde). Les flashs de rayons X du SwissFEL sont d'un ordre de grandeur encore plus court. Cela permet de réaliser des instantanés de chaque étape de la réaction, puis d'assembler ces derniers en un film pour visualiser cette action au rythme endiablé. Avec le SwissFEL, nous pouvons tout étudier, poursuit Christopher Milne. Par exemple, ce qui se passe quand la lumière frappe une feuille d'arbre ou une cellule photovoltaïque et ce qui se produit lorsque cette énergie est absorbée et transformée.

Un T. rex menace la ville. Mais Photon-Woman accourt déjà! Ses superpouvoirs, elle les doit à une cellule de Grätzel. Cette cellule solaire est capable de convertir l’énergie lumineuse en énergie électrique. Le SwissFEL contribue à élucider certains détails décisifs de ce processus. (Illustration: Nina Sörés/WirzFraefelPaal Productions AG)

Une autre expérience porte sur les cellules solaires à pigment photosensible, une invention que Michael Grätzel, professeur à l'EPFL, a fait breveter en 1992. Les cellules de Grätzel sont composées de plusieurs couches. Elles se caractérisent par leur colorant qui capte la lumière et libère ainsi des électrons. Au-dessous se trouve une couche poreuse constituée de nanoparticules de dioxyde de titane, qui conduit ces électrons. Ceux-ci sont les porteurs de charge et fournissent le courant. Nous voulons voir ce qui se passe dans les cellules de Grätzel au tout premier moment, lorsque la lumière les atteint, explique Christopher Milne. Afin de localiser par où le courant passe et où il reste bloqué, puisque c'est évidemment ce dernier phénomène que l'on cherche éviter.

Dans le cas des cellules solaires, il s'agit avant tout d'améliorer leur efficacité, relève Giulia Mancini. Elle-même se prépare à conduire des expériences avec de l'oxyde de cobalt, qui pourrait encore mieux convenir aux cellules photovoltaïques. Camila Bacellar, de son côté, veut se servir du SwissFEL pour déterminer la manière dont se comportent les molécules en solutions. Il s'agit de recherche fondamentale, précise la scientifique. Ses échantillons sont composés d'iode, un élément vital pour l'être humain, dissous dans de l'alcool. Pendant les premières expériences-pilotes, nous avons analysé les données, fait de la programmation, préparé un échantillon et recueilli des informations auprès d'un autre groupe pour résoudre un problème. C'était vraiment du multitâche, raconte Giulia Mancini. C'était comme sur un plateau de tournage de cinéma, où il faut s'occuper de beaucoup de choses: du maquillage, des costumes, des accessoires, des équipements, du son, de la régie, etc. A présent, les deux chercheuses sont en train d'écrire le scénario de leur film de recherche. Avec ce travail, on ne s'ennuie jamais! concluent-elles en riant.

Texte: Barbara Vonarburg