Un cousin de l’électron finalement observé au bout de 86 ans

Dans le cadre d’essais à la Source de Lumière Suisse SLS, des physiciens de l’Institut Paul Scherrer PSI dans une collaboration internationale avec des collègues de la Chine, de l’EPF Zurich et de l’EPF Lausanne ont observé une particule dont l’existence avait été prédite il y a déjà 86 ans. Cette nouvelle particule fait partie de la même famille que l’électron, le porteur de courants électriques. Contrairement à l'électron, la nouvelle particule n'a pas de masse et il n’apparaît que dans une classe particulière de matériaux qui sont dénommés des métaloïdes de Weyl.

Les membres de l’équipe du PSI qui ont récemment réussi à observer le fermion de Weyl. De gauche à droite : Xu Nan, Lyu Baiqing, Christian Matt, Vladimir Strokov et Ming Shi, directeur de l’étude. (Photo : Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)

Toutes les particules élémentaires peuvent être attribuées à l’une des deux classes suivantes : les fermions ou les bosons. Toutes les particules qui forment la matière et l’antimatière sont des fermions. Dit de manière simplifiée, les bosons ont pour mission, eux, de diffuser les forces entre les fermions. Les fermions ont tous un spin, c’est-à-dire une propriété qui leur permet de se comporter comme de petites aiguilles de boussole magnétiques. Certains bosons ont aussi un spin, alors que d’autres, comme le célèbre boson de Higgs, n’en n’ont pas. L’électron, par exemple, fait partie des fermions. Il est présent dans les atomes de tous les matériaux et le mouvement des électrons est utilisé comme courant électrique dans d’innombrables applications techniques. Parmi les bosons on trouve le photon – la particule dont la lumière est faite.

Un fermion exotique recherché depuis des décennies

La nouvelle découverte vient confirmer une prévision ancienne : il s’agit d’une particule dont l’existence avait été prédite en 1929 par le mathématicien allemand Hermann Weyl, professeur à l’EPF Zurich. Cette particule, connue sous le nom de fermion de Weyl, présente toutes les propriétés d’un électron, sauf une : elle n’a pas de masse. Or son existence vient d’être démontrée presque en même temps par plusieurs groupes de recherche, dont une équipe du PSI. La découverte ne s’est cependant pas faite comme à l’accoutumée dans un accélérateur de particules de plusieurs kilomètres, mais au cœur de minuscules cristaux.

Le fermion de Weyl n’a donc pas pu être observé en tant que particule élémentaire libre, comme cela a par exemple été le cas du célèbre boson de Higgs dont l’existence a pu être prouvée au LHC, le grand accélérateur de particules au CERN, une cinquantaine d’années après avoir été théoriquement prédite. Le fermion de Weyl, lui, est apparu au bout d’une quête de 86 ans sous forme de quasi-particule. Les physiciens désignent par ce terme les particules qui n’existent qu’au cœur de certains matériaux et grâce auxquelles ils peuvent décrire d’une manière simple les mouvements complexes et partiellement coordonnées des nombreuses particules dans ces mêmes matériaux. Dans le cadre de l’étude du PSI, les fermions de Weyl ont été repérés dans un petit cristal ultrapur d’arséniure de tantale (TaAs, un semi-métal fabriqué en laboratoire). C’est seulement depuis 2014 que ce matériau s’est mis à occuper une place de choix dans la quête du fermion de Weyl, en raison de certains calculs théoriques.

Comme l’électron, mais plus rapide et plus rectiligne

"Les caractéristiques exceptionnelles du cristal de TaAs sont la raison pour laquelle les courants électriques ne sont pas transportés dans ce matériau par des électrons, mais par des particules sans masse - les fermions de Weyl", explique Xu Nan, chercheur au PSI et à l’EPF Lausanne. Dans les matériaux comme le TaAs, les fermions de Weyl se déplacent beaucoup plus vite que les électrons dans un matériau ordinaire. Par ailleurs, les fermions de Weyl ont une particularité: lorsqu’un champ magnétique est activé, ils se déplacent pratiquement sans résistance suivant des lignes droites. Ils filent ensuite tout droit le long de la direction du champ magnétique et rien ne peut les faire dévier de leur trajectoire. Cette propriété pourrait s’avérer très utile pour certaines applications pratiques, si on réussit à la maîtriser dans des appareils réels, relève Ming Shi, chercheur au PSI et directeur de l’étude. Elle est une conséquence de la structure des électrons d’un semi-métal de Weyl comme le TaAS ; un phénomène quantique compliqué.

Observé grâce à la technique de la lumière de type rayons X

Pour repérer le fermion de Weyl les chercheurs ont utilisé une installation de recherche réputée dans le monde entier: la Source de Lumière Suisse SLS. Ce sont mes premières expériences au PSI et à la SLS et je suis très heureux que nous ayons réussi à observer les fermions de Weyl, dit Baiqing Lyu, qui fait en tant qu’étudiant d'échange sa thèse au PSI. Lui et ses collègues ont irradié le cristal de TaAs avec de la lumière de type rayons X produite par la SLS afin d’étudier les mouvements des électrons dans le cristal. Cette lumière de type rayons X avait suffisamment d’énergie pour arracher des électrons de l’intérieur du cristal. Ce sont ces électrons éjectés hors du cristal, appelés photoélectrons, que les scientifiques ont analysés. Ils ont mesuré l’énergie de chaque électron, mais aussi l’angle de sa trajectoire lorsqu’il quittait le cristal. A partir de ces données, les chercheurs ont pu tirer des conclusions sur l’énergie, la vitesse et la direction de déplacement que les électrons avaient auparavant dans le cristal. L’analyse a finalement conduit à l’identification des fermions de Weyl, ces cousins des électrons qui se déplacent à travers le cristal sans le fardeau de la masse.

Texte : Institut Paul Scherrer/Leonid Leiva


Informations supplémentaires

Groupe Spectroscopie de matériaux innovants (en anglais)

Contact

Prof. Ming Shi, Senior scientist
Groupe Spectroscopie de matériaux innovants
Laboratoire de Rayonnement synchrotron – Matière condensée
Institut Paul Scherrer
Téléphone : +41 56 310 23 93
E-mail : cming.shi@psi.ch

Publication originale

Observation of Weyl nodes in TaAs
B. Q. Lyu, N. Xu, H. M. Weng, J. Z. Ma, P. Richard, X. C. Huang, L. X. Zhao, G. F. Chen, C. E. Matt, F. Bisti, V. N. Strocov, J. Mesot, Z. Fang, X. Dai, T. Qian, M. Shi & H. Ding
Nature Physics 11, 724–727(2015)
DOI: 10.1038/nphys3426