A l’intérieur des batteries lithium-soufre, l’invisible devient visible
Des chercheurs en matériaux pour batterie de l’Institut Paul Scherrer PSI, en Suisse, ont développé en collaboration avec l’Université Grenoble-Alpes (France) une méthode qui pourrait permettre aux batteries lithium-soufre de faire une percée. Théoriquement, les batteries lithium-soufre pourraient fournir beaucoup plus d’énergie que les batteries lithium-ions couramment utilisées aujourd’hui, mais les prototypes actuels de batteries lithium-soufre perdent notablement de leur capacité après quelques cycles. De ce fait, pour l’instant, ces batteries ne sont pas prêtes pour une utilisation à grande échelle, par exemple dans les voitures électriques. Avec leur nouvelle méthode, les chercheurs ont fait des découvertes décisives sur les raisons de cette perte rapide de capacité. Et ils ont montré que si l’on ajoute de la poudre de quartz au composant liquide de la batterie, la perte peut être diminuée. Les chercheurs décrivent leurs résultats dans la dernière édition de la revue spécialisée Nature Energy.
La batterie lithium-soufre est considérée comme un candidat prometteur pour le stockage de l’énergie du futur: les matériaux nécessaires à sa construction sont bon marché, relativement écologiques et facilement disponibles. Mais surtout, en théorie, cette batterie est capable de fournir trois fois plus d’énergie que la batterie lithium-ion aujourd’hui largement utilisée. Toutefois, en pratique, certains obstacles demeurent, comme le fait que la batterie lithium-soufre perde rapidement en capacité lorsqu’on le recharge de manière répétée. Les prototypes actuels ne peuvent pas accomplir autant de cycles de charge que les batteries lithium-ion conventionnelles et ne fournissent par ailleurs qu’une fraction de l’énergie théoriquement disponible.
Des chercheurs en électrochimie du PSI ont réussi à lever le voile sur les processus responsables de ce phénomène, en utilisant une méthode d’examen impliquant l’utilisation des rayons X et qu’ils ont utilisée pour suivre les réactions chimiques qui se déroulent à l’intérieur de la batterie. Ils ont ainsi été les premiers à visualiser les modifications que subissent les composés liquides lithium-soufre dans la batterie et la manière dont ces modifications entraînent une perte de capacité. Ils ont également observé que l’adjonction de poudre de quartz permettait d’améliorer l’accumulateur lithium-soufre. Le quartz est le principal composant du sable et le principal ingrédient du verre. Or l’adjonction de cette poudre au composant liquide de la batterie permet d’augmenter l’énergie disponible et d’enrayer partiellement la perte de capacité qui intervient avec le temps. D’autres groupes de chercheurs avaient déjà constaté auparavant que la poudre de quartz interagissait avec les matériaux des batteries lithium-soufre. Les chercheurs du PSI ont à présent quantifié l’avantage de la poudre de quartz: Avec cette adjonction, la performance d’une batterie lithium-soufre augmente de 25 à 30%, explique Claire Villevieille, chercheuse au PSI et coauteur de l’étude. Nous avons simplement ajouté de la poudre de quartz à l’électrolyte, c’est-à-dire au composant liquide de l’accumulateur. De la même manière qu’on ajoute de la lessive en poudre dans la machine à laver.
De la poudre de quartz contre la pollution
Ce n’est pas un hasard si les chercheurs parlent de lessive en poudre, car la poudre de quartz fixe une forme de poussière
dans la batterie. Le fonctionnement de la batterie lithium-soufre entraîne en effet l’apparition de polysulfures. Ces derniers sont un composant principal de la batterie. Mais ils sont partie prenante d’un phénomène indésirable: une partie d’entre eux passe dans l’électrolyte (le composant liquide de la batterie) où, à chaque charge et décharge, ils effectuent des va-et-vient en nageant
dans l’électrolyte de la batterie. Les chercheurs parlent d’effet navette
. Résultat: les polysulfures mal acheminés réagissent avec l’électrode de lithium de la batterie, ce qui entraîne une diminution de la quantité de soufre disponible, autrement dit de la quantité de matériau actif; la capacité de la batterie s’amenuise.
L’adjonction de poudre de quartz permet de contrecarrer ce processus. Nous avons effectivement constaté que la poudre de quartz fixait les polysulfures de la même manière que le savon fixe la saleté, relève Claire Villevieille. Cela augmente et maintient la capacité de charge, car l’intérieur de la batterie reste propre et opérationnel plus longtemps.
La réversibilité du processus de décharge s’améliore. Nous appelons cela l’efficacité coulombique, explique encore Claire Villevieille. Elle augmente, passant d’environ 80 à 90 pour-cent.
En comparaison, l’efficacité coulombique d’une batterie lithium-ions conventionnel est de plus de 99,9 pour-cent. D’ici à ce que nous l’atteignons, le chemin est donc encore long, confirme la chercheuse. Mais nous avons déjà effectué un grand pas.
Radiographie d’un accumulateur
L’effet positif du quartz est apparu lorsque les chercheurs du PSI en coopération avec leurs collègues de l’Université Grenoble-Alpes ont étudié les processus électrochimiques qui se jouent dans la batterie au moyen de ce qu’on appelle la diffraction des rayons X operando. En général, cette technique ne permet pas d’observer des composants liquides, si bien que les processus dans l’électrolyte restent invisibles, eux aussi. La diffraction des rayons X ne fonctionne que sur des structures cristallines ordonnées, détaille Joanna Conder, premièr auteur de l’étude et collègue de Claire Villevieille. Or les polysulfures
Pour pouvoir les visualiser malgré tout, les chercheurs ont immergé des fibres de verre dans l’électrolyte, à la surface desquelles les polysulfures se sont déposés de manière ordonnée. flottent
en principe de manière désordonnée dans l’électrolyte.Les polysulfures agencés de cette manière diffractent les rayons X et deviennent visibles, poursuit Joanna Conder. Cela nous a permis d’être les premiers à suivre la formation et la modification des polysulfures pendant les processus de charge et de décharge dans la batterie.
Même s’il s’agit d’un effet qu’ils n’avaient pas escompté, les chercheurs ont par ailleurs constaté que les fibres de verre réduisaient aussi l’impact indésirable des polysulfures. Etant donné que le verre est principalement composé de quartz, il était dès lors logique de se mettre à utiliser de la poudre de quartz dans la batterie, comme une espèce de lessive en poudre.
Simple et bon marché
Outre l’adjonction de poudre de quartz, il existe en principe d’autres approches pour empêcher les polysulfures de perturber le bon fonctionnement de la batterie, admettent les deux chercheuses du PSI: Mais ces approches sont soit très compliquées, soit très chères, soit les deux, surtout lorsqu’on passe à l’échelle industrielle, rappellent-elles. Alors que le quartz est pratiquement le matériau le plus avantageux qui existe.
Ajouter cette substance à l’électrolyte est extrêmement simple, notent-elles encore. C’est là que réside le grand avantage de notre méthode
, conclut Joanna Conder.
Texte: Jan Berndorff
Polysulfures et navette
polysulfure dans la batterie lithium-soufre
Lors de l’utilisation d’une batterie lithium-soufre, les ions lithium passent de l’anode (pôle négatif) à la cathode (pôle positif). Arrivés là, ils réagissent avec les particules de soufre de la cathode et forment d’abord différents composés moléculaires solubles de soufre et de lithium, que l’on appelle polysulfures de lithium, et pour finir du sulfure de lithium non soluble. Lorsque la batterie est rechargée, ce composé est retransformé à nouveau en soufre élémentaire. Tel est le processus habituel de charge et recharge, qui en lui-même ne devrait pas poser de problèmes lors de l’utilisation de la batterie.
Un effet indésirable apparaît toutefois dans les batteries lithium-soufre: les polysulfures passent dans l’électrolyte, autrement dit dans le composant liquide de la batterie, lors de chaque charge et décharge, ces polysulfures vont et viennent en
nageantentre l’anode et la cathode; c’est ce qu’on appelle l’
effet navette. Au cours de ces allers-retours, une partie du soufre se déposent à l’anode en lithium.
Plus la batterie est chargée et déchargée, plus le soufre s’accumule à l’anode et entravent la charge et la décharge de la batterie. Au bout de plusieurs cycles de charge, ce phénomène peut affaiblir notablement la batterie.
À propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2000 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 370 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l’Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).
(Mise à jour: mai 2016)
Informations supplémentaires
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Contact
Dr Claire Villevieille, responsable du groupe matériaux pour batteries, Laboratoire d’électrochimie,Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 24 10, e-mail: claire.villevieille@psi.ch [français, anglais]
Publication originale
Direct observation of lithium polysulphides in lithium-sulphur batteries using operando X-ray diffractionJoanna Conder, Renaud Bouchet, Sigita Trabesinger, Cyril Marino, Lorenz Gubler, Claire Villevieille
Nature Energy 8. Mai 2017 (online)
DOI: 10.1038/nenergy.2017.69