Découverte étonnante : les déroutantes propriétés de certains supraconducteurs

Des chercheurs du PSI montrent que les interactions magnétiques revêtent une importance primordiale pour les supraconducteurs à haute température à base de fer

Scientifiques et ingénieurs rêvent depuis longtemps d’un matériau capable de conduire le courant électrique à température ambiante, sans perte d’énergie. Il y a 25 ans environ, des chercheurs ont découvert pour la premières fois des matériaux supraconducteurs à des températures relativement élevées : les cuprates supraconducteurs (supraconducteurs à base de cuivre). Une nouvelle classe de supraconducteurs, découverte il y a tout juste quelques années, présente elle aussi cette propriété : les supraconducteurs à haute température à base de fer. des scientifiques de l’Institut Paul Scherrer (PSI), à Villigen, ont mis à jour Avec leurs collègues chercheurs chinois et allemands,de nouvelles connaissances concernant cette classe de supraconducteurs. Ces résultats expérimentaux, issus de la recherche fondamentale, indiquent que les interactions magnétiques revêtent une importance primordiale pour le phénomène de la supraconductivité à haute température. A l’avenir, ces connaissances pourraient contribuer au développement de supraconducteurs présentant de meilleures propriétés techniques.

Principe de l’expérience RIXS. L’échantillon est irradié par de la lumière de type rayons X émise par le SLS, et provocant à l’intérieur de l’échantillon une onde de spin, et donc une perte d’énergie. Analyser les propriétés de la lumière déviée permet d’obtenir des informations sur les ondes de spin. (Graphique : Markus Fischer / PSI)
Thorsten Schmitt (à gauche) et Kejin Zhou (à droite), chercheurs au PSI Chargement d'un échantillon de matériau dans l'installation de mesure au poste RIXS de la ligne de lumière ADRESS. Les rayons X permettent ici l'analyse de matériaux avec une précision très élevée. (Photo : Scanderbeg Sauer Photography)
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Les supraconducteurs conventionnels ont besoin de températures très basses. Ces matériaux peuvent alors conduire le courant électrique sans résistance, ce qui rend possible, par exemple, certaines applications techniques avec des champs magnétiques de très forte intensité, comme les accélérateurs de particules ou certains appareils médicaux. Depuis quelques années, la recherche s’intéresse aux supraconducteurs à haute température, qui conduisent sans déperdition le courant électrique à des températures déjà plus élevées. Les chercheurs sont donc constamment en quête de matériaux supraconducteurs à des températures aussi élevées que possible. En 2008, de nouveaux supraconducteurs à haute température à base de fer ont été découverts. Ils apparaissent surtout comme alliages de fer et d’arsenic, de fer et de phosphore, ou encore de fer et de sélénium.

Des propriétés magnétiques pratiquement identiques

Dans l’exploration des supraconducteurs à base de fer, les chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) caracolent en tête. Leurs derniers résultats, obtenus grâce à la spectroscopie à rayons X, permettent d’approfondir encore la compréhension de ces matériaux. Pour leurs analyses, les chercheurs ont comparé un échantillon de matériau supraconducteur à un échantillon du matériau de base parent, non supraconducteur. Le matériau de base – dans le cas présent un alliage baryum-fer-arsenic – devient supraconducteur si les chercheurs lui ajoutent une certaine quantité d’atomes de potassium. Avec cet apport d’atomes étrangers, le matériau de base se retrouve dopé de trous. Ce dopage aux trous par potassium entraîne au cœur du matériau la formation d’emplacements où manquent des électrons, ce qui influence la structure cristalline et la conductivité électrique.

Les chercheurs se sont notamment intéressés aux propriétés magnétiques dynamiques du matériau de base et du supraconducteur. A cet effet, ils ont excité des fluctuations magnétiques dans les échantillons de matériau. Les fluctuations magnétiques (appelées aussi ondes de spins ou magnons) entraînent une réorientation du spin de l’électron voisin, qui se propage comme une onde dans l’échantillon de matériau. Dans le matériau de base, les ondes de spin sont facilement et clairement décelables. Les chercheurs ont maintenant voulu savoir si tel était aussi le cas pour les échantillons de matériaux supraconducteurs. De prime abord, on pourrait penser que les trous dus au dopage absorbent considérablement les ondes de spin, et rompent l’ordre magnétique à longue distance des spins alignés. Mais les chercheurs du PSI sont arrivés à un résultat différent : dans le supraconducteur, l’onde de spin a été à peine amortie et était décelable avec la même intensité que dans le matériau de base. Nous avons appris que les fluctuations magnétiques dans le matériau supraconducteur surviennent pratiquement avec la même intensité que dans le matériau de base, résume Thorsten Schmitt, chercheur au PSI. Le dopage aux trous par potassium n’entraîne pas de perturbation fondamentale des ondes de spin.

Début d’explication pour la supraconductivité à haute température

Dans le cas des supraconducteurs à haute température à base de fer, les propriétés magnétiques dynamiques du matériau de base et du matériau optimalement dopé sont donc très similaires. Notre interprétation de ce fait surprenant est la suivante, poursuit Thorsten Schmitt. Il est possible que l’interaction magnétique soit impliquée dans la transition vers la phase supraconductrice. Nous sommes en train d’améliorer notre méthode, afin de pouvoir déceler les modifications, même très ténues, des propriétés magnétiques, qui se produisent éventuellement au moment de la transition vers la phase supraconductrice.

Avec leur travail, Thorsten Schmitt et ses collègues de recherche apportent une contribution importante à la compréhension de la supraconductivité à haute température. La conception actuelle postule que la supraconductivité survient par le collage de deux électrons, appelé paire de Cooper. Dans le cas des supraconducteurs à haute température, il se pourrait que l’interaction magnétique soit responsable de la liaison des paires d’électrons. Les ondes de spin sont les candidats les plus probables, précise Thorsten Schmitt.

Analyse par rayons X

Pour leurs analyses, les chercheurs utilisent la ligne de faisceaux ADRESS à la Source de Lumière Suisse (SLS), un vaste site de recherche de l’Institut Paul Scherrer, qui met à disposition une lumière de type rayons X d’une très grande intensité pour des expériences scientifiques. Là, les propriétés magnétiques dynamiques du matériau de base et du supraconducteur ont été analysées par diffusion inélastique résonnante de rayons X (Resonant Inelastic X-ray scattering, RIXS). Cette méthode spectroscopique consiste à irradier le matériau examiné par desrayons X. Ceux-ci déclenchent l’émission d’une onde de spin dans l’échantillon, ce qui leur fait perdre de l’énergie. Si l’on compare l’énergie des rayons X détournés avec celle des rayons X incidents, il est possible de déduire de cette différence les propriétés des ondes de spin, explique Kejin Zhou, qui a conduit ces mesures dans le cadre de son activité de recherche post-doctorale au PSI.

Les chercheurs du PSI ont l’intention d’approfondir encore leur compréhension des supraconducteurs à haute température. Notamment au travers d’expériences impliquant différents états de dopage, dans chaque domaine où la propriété de la supraconductivité intervient. Des analyses d’autres classes de supraconducteurs à base de fer sont également prévues.


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer développe, construit et exploite de grandes installations de recherche complexes et les met à disposition de la communauté nationale et internationale. Les principales recherches de l’Institut sont centrées dans le domaine matière et matériaux, energie et environnement, santé. Avec 1500 collaborateurs et un budget annuel d’environ 300 millions CHF, le PSI est le plus grand centre de recherche de Suisse.

Contact
Dr. Thorsten Schmitt; Laboratoire de matière condensée, domaine de recherche Rayonnement synchroton et nanotechnologie, Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen PSI, Suisse
Tél. : +41 56 310 37 62, courriel : thorsten.schmitt@psi.ch
http://www.psi.ch/sls/adress/
Publication originale
Persistent high-energy spin excitations in iron pnictide superconductors
K. J. Zhou1, Y. B. Huang, C. Monney, X. Dai, V. N. Strocov, N. L. Wang, Z. G. Chen, Chenglin Zhang, Pengcheng Dai, L. Patthey1, J. van den Brink, H. Ding, and T. Schmitt
Nature Communications 12 February 2013 DOI: 10.1038/ncomms2428