En collaboration avec l’ETH Zurich, des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI ont optimisé une méthode pour diagnostiquer des tumeurs à l’aide de radionucléides. Grâce à une astuce moléculaire, les effets indésirables possibles sont désormais nettement réduits. Les chercheurs rapportent leurs résultats dans le numéro actuel de la revue spécialisée Bioorganic & Medicinal Chemistry.
En mettant au point une nouvelle classe de ce qu’on appelle des médicaments radiopharmaceutiques, les chercheurs ont réussi à réduire le problème actuel de la longue durée de séjour des substances radioactives dans les reins. Leur démarche est basée sur une protéine supplémentaire qui peut être clivées dans reins. Ce clivage détache la substance radioactive du médicament, ce qui lui permet de passer directement dans les voies urinaires d’où elle peut être éliminée.
Les médicaments radiopharmaceutiques sont des médicaments administrés par injection, qui permettent de détecter les tumeurs dans l’organisme et de les combattre. Ces substances sont composées en principe d’un radionucléide et d’une biomolécule. La biomolécule, par exemple un anticorps ou un peptide, s’arrime spécifiquement à certaines structures de surface des tissus. Le radionucléide émet un rayonnement qui peut être utilisé pour détecter une tumeur ou la détruire.
Le principe semble simple, mais il faut surmonter beaucoup d’obstacles avant que le médicament soit prêt. Outre la difficulté purement pratique de coupler un radionucléide à une molécule, il faut aussi trouver la bonne molécule. Martin Béhé, responsable du groupe Pharmacologie du Centre des sciences radiopharmaceutiques à PSI, explique la problématique: «Si la molécule est trop spécifique, il y a un risque que toutes les tumeurs ne soient pas détectées. Si, en revanche, elle est conçue de manière trop générale, elle peut s’arrimer à des tissus sains, ce qui entraîne des diagnostiques faussement positifs.»
La matrice extracellulaire en ligne de mire
Hormis les surfaces des tumeurs, il existe encore d’autres cibles possibles pour les molécules potentielles, par exemples ce qu’on appelle la matrice extracellulaire. Au lieu de viser directement la tumeur, le groupe de recherche emmené par Martin Béhé s’est attaqué à cette matrice extracellulaire. Il s’agit d’une partie tissulaire qui se trouve entre les cellules. On peut se représenter cet espace comme une charpente tridimensionnelle où la cellule est enchâssée; il s’agit toutefois d’une charpente flexible et extrêmement complexe, car la matrice extracellulaire est en échange permanent avec la cellule et régule par exemple la croissance et l’équilibre chimique au sein de cette dernière. La matrice extracellulaire joue également un rôle décisif dans les processus pathologiques comme la croissance des cellules cancéreuses. Ainsi, de nombreuses études suggèrent que les protéines qui s’y trouvent favorisent la viabilité des cellules cancéreuses. Il a en effet été démontré que la croissance tumorale est corrélée à un remodelage de la matrice extracellulaire.
Les chercheurs emmenés par Martin Béhé et Viola Vogel, responsable du Laboratoire de mécanobiologie appliquée à l’ETH Zurich, veulent tirer parti de ce remodelage pour apporter les radionucléides dans les tissus tumoraux. Concrètement, ils s’intéressent à une protéine bien particulière de la matrice appelée fibronectine. Dans les tissus sains, la fibronectine présente une structure étirée et tendue qui commence à se relâcher au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. «On peut se représenter le processus comme un ressort mécanique, explique Martin Béhé. Lorsqu’il est tendu, il y a de grands espaces entre les différentes spires, où le médicament ne peut pas se fixer. En revanche, si le ressort se détend, les espaces se referment et l’affinité de liaison augmente.» La fibronectine est donc soumise à une modification structurelle tout en conservant sa composition chimique. Cette modification suffit cependant pour augmenter l’affinité de liaison avec certains peptides de manière significative.
Dans une étude précédente, Martin Béhé et son équipe avaient réussi à montrer que ce qu’on appelle les peptides de liaison à la fibronectine (FnBP) pouvaient être utilisés comme vecteurs pour transporter de manière ciblée les radionucléides jusque dans la matrice extracellulaire. Pour ce faire, les chercheurs ont combiné le peptide de liaison à la fibronectine FnBP5 avec l’isotope radioactif indium-111. Ce médicament radiopharmaceutique permet de détecter avec succès le cancer de la prostate en phase préclinique. Toutefois, le radionucléide ne s’accumule pas uniquement dans la tumeur, mais aussi dans les reins.
Le problème avec les reins
Les dépôts hautement radioactifs dans les reins entravent non seulement le processus d’imagerie, mais peuvent également endommager les reins. Le problème survient parce que nombre de protéines et de peptides sont filtrés par les reins avant d‘être éliminés par l’urine. Ce processus compliqué peut conduire à ce que les radionucléides liés aux peptides restent longtemps dans les reins avant d’être finalement complètement désintégrés ou traités d’une autre manière.
Pour résoudre le problème, les chercheurs ont modifié le peptide FnBP5 avec une protéine spéciale qui peut être clivée dans les reins. Elle fonctionne comme un pont entre le peptide d’origine et le radionucléide. Le FnBP5 peut ainsi toujours s’arrimer à la fibronectine et rendre la tumeur visible par l’entremise du radionucléide. Mais dès que le médicament modifié se retrouve dans les reins, la protéine ajoutée est coupée et le radionucléide passe directement dans les voies urinaires d’où il peut être éliminé.
Grâce à cette astuce moléculaire, les chercheurs ont pu maintenir l’efficacité du médicament d’origine et, en même temps, réduire efficacement les dépôts dans les reins. «Nous espérons que nos résultats pourront aussi être utilisés avec d’autres médicaments radiopharmaceutiques qui sont liés à des effets indésirables analogues», conclut Martin Béhé.
Texte: Institut Paul Scherrer/Benjamin A. Senn
À propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2200 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: mai 2021)
Informations supplémentaires
- Efficace thérapie anti-tumorale combinée. Communiqué de presse du 15 décembre 2021
- Combattre le cancer de la thyroïde de manière plus ciblée. Texte du 5 octobre 2020
- Des médicaments qui rayonnent. Texte du 26 novembre 2019
Contact
Dr Martin Béhé
Centre des sciences radiopharmaceutiques
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 28 17, e-mail: martin.behe@psi.ch [allemand, anglais]
Prof. Viola Vogel
Laboratoire de mécanobiologie appliquée
ETH Zurich, Vladimir-Prelog-Weg 1-5/10, 8093 Zurich, Suisse
Téléphone: +41 44 632 08 87, e-mail: viola.vogel@hest.ethz.ch [allemand, anglais]
Publication originale
Dual MVK cleavable linkers effectively reduce renal retention of 111In-fibronectin-binding peptides
Giulia Valpreda, Belinda Trachsel, Viola Vogel, Roger Schibli, Linjing Mu, Martin Béhé
Bioorganic & Medicinal Chemistry, 28 septembre 2022
DOI: 10.1016/j.bmc.2022.117040
BMCHEM-D-22-00940R1
Basée sur l’étude initiale
Novel peptide probes to assess the tensional state of fibronectin fibers in cancer
Simon Arnoldini, Alessandra Moscaroli, Mamta Chabria, Manuel Hilbert, Samuel Hertig, Roger Schibli, Martin Béhé, Viola Vogel
Nature Communications, 27 novembre 2017
DOI: 10.1038/s41467-017-01846-0
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