Sur la piste du mystère de la formation des centrioles

Les scientifiques de l’institut Paul Scherrer et de l’EPFL Lausanne répondent à une question de biologie cellulaire vieille de 50 ans

Les cellules humaines contiennent des unités fonctionnelles appelées centrioles qui jouent un rôle important dans la division cellulaire et forment le fondement de structures de surface par l’intermédiaire desquelles les cellules perçoivent leur environnement, communiquent entre elles ou se déplacent. Tandis que leur fonction est déjà bien décrite, les mécanismes à l’origine de la formation des centrioles sont, depuis de nombreuses années, demeurées mystérieuses. L’architecture des centrioles est caractérisée par une symétrie d’ordre neuf conservée au cours de l’évolution. Une équipe de chercheurs menée par le Dr. Michel Steinmetz de l’institut Paul Scherrer PSI et le professeur Pierre Gönczy de l’EPFL Lausanne, a pour la première fois établi un modèle moléculaire pour la formation des centrioles. Les chercheurs ont pu montrer que la symétrie d’ordre neuf découlait de la capacité d’une seule protéine à s’organiser elle-même. Étant donné que des défauts de construction des centrioles peuvent provoquer différentes maladies, la compréhension des mécanismes sous-jacents peut déboucher sur des applications thérapeutiques. Les chercheurs ont publié leurs résultats dans la revue professionnelle de renom Cell.

Vincent Olieric, responsable de la ligne de lumière X06DA au SLS mettant en place un cristal de protéine pour une expérience de diffraction des rayons X. (Photographie: PSI/M. Fischer)
Michel Steinmetz, chercheur au PSI, (à l'arrière plan) discutant le résultat d'une expérience de cristallographie avec Natacha Olieric (à gauche) et Manuel Hilbert (assis à droite) (Photographie: PSI/M. Fischer)
Natacha Olieric (chercheur au PSI, à gauche) et Manuel Hilbert (post doctorant au PSI, à droite) au sein de la plateforme de cristallisation des protéines nécessaires pour l'analyse structurale. (Photographie: PSI/M. Fischer)
Illustration de deux centrioles avec roue de voiture (en couleur) devant une image prise par un microscope électronique (arrière-plan). (Source: PSI/M. Steinmetz)
Coupe transversale schématisée à travers un centriole. La roue de voiture (en couleur) est composée d’un moyeu (Central hub) et de neuf rayons (Spokes). (Source: PSI/M. Steinmetz)
Observation du modèle structurale protéique de la roue de voiture avec la symétrie d’ordre neuf universelle. (Source: PSI/M. Steinmetz)
Neuf dimères SAS-6 assemblés de manière symétrique constituent la roue de voiture, qui sert de squelette au centriole en formation. (Source: PSI/M. Steinmetz)

Les centrioles sont des structures cylindriques formées de fibres protéiques et qui sont apparues très tôt dans l’évolution. Les cnetrioles font partie des organelles-fondateurs de la branche des eucaryotes et sont présents chez les unicellulaires, tous les animaux, y compris les humains. Les fonctions des centrioles sont variées : en tant que composants du centrosome, ils participent à l’organisation du fuseau mitotique qui sépare les chromosomes lors de la division cellulaire. Ils jouent également un rôle dans l’organisation du squelette cellulaire dont les fibres protéiques soutiennent la cellule et assurent le transport de substances. Finalement, en tant que corps basal, les centrioles forment les plans de construction et l’ancrage pour les cils et les flagelles. Tous deux font saillie à la surface cellulaire, assument des tâches sensorielles ou motrices et sont présents dans presque toutes les cellules du corps humain. Ainsi les cils assurent entre autres l’effet nettoyant de l’épithélium cilié dans les voies respiratoires en évacuant des poumons le mucus et les particules en suspension. De leur côté, les flagelles sont responsables de la mobilité des spermatozoïdes.

Une roue de voitures à neuf rayons

Les centrioles ont été découverts il y a quelques cinquante ans. Leur structure est aujourd’hui largement connue : ils sont composés de microtubules – de minuscules tubes de tubuline. Neuf triplets de microtubules s’organisent alors en anneau et forment un cylindre. C’est pourquoi les biologistes parlent d’une symétrie d’ordre neuf. Étant donné que cette symétrie est présente chez toutes les espèces ayant des centrioles, elle est considérée comme universelle et, par conséquent, fondamentale pour la fonction des centrioles. Sur des images prises au microscope électronique, on voit que les centrioles s’ordonnent autour d’une structure qui a la forme d’une roue de voiture, ce qui explique pourquoi les chercheurs lui donnent ce nom. La roue de voiture se trouve à l’intérieur du centriole et présente également une symétrie d’ordre neuf: il comprend une suspension centrale, le moyeu de la roue, d’où partent radialement neuf rayons. À leurs extrémités, les rayons se combinent chacun avec l’un des neuf triplets de microtubules.

Des études ont mis en évidence que la roue de voiture était la structure déterminante au début de la formation des centrioles et que les propriétés de symétrie étaient indispensables pour la fonction tant des centrioles que pour celle de leurs dérivés, les cils et les flagelles, qui reprennent ensuite cette symétrie. Depuis les premières descriptions il y 50 ans, les chercheurs se sont creusés la tête concernant l’origine de cette symétrie de construction d’ordre neuf chez la roue de voiture et le centriole qui en émane. Dans un passé récent, on a toutefois identifié quelques protéines qui jouent un rôle important dans la construction des centrioles, mais jusqu’à présent toute explication concluante sur la façon dont la symétrie de cette organelle se développe est restée mystérieuse.

L’auto-organisation comme principe de construction

Pour résoudre cette énigme, les scientifiques-PSI du laboratoire de recherche biomoléculaire (BMR) et de la Source de lumière synchrotron suisse (SLS) ont, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut Suisse de recherche expérimentale sur le cancer (ISREC) de la Faculté des Sciences de la Vie à l’EPFL Lausanne, apporté une contribution déterminante. Dans le cadre de leurs recherches, les scientifiques se sont concentrés sur une protéine dénommée SAS-6 et dont on savait qu’elle était essentielle pour la formation des centrioles. Les chercheurs ont dans un premier temps élucidé la structure spatiale de cet élément constitutif, et ont, dans un second temps, étudié son comportement de liaison. Ils ont alors découvert que la protéine SAS-6 avait la capacité de se combiner avec ses semblables : deux molécules SAS-6 peuvent s’assembler pour former ce que l’on nomme un dimère. Ensuite, neuf dimères s’assemblent pour former un oligomère qui se présente sous la forme d’un moyeu d’où partent radialement neuf rayons.

Cette découverte surprend :La protéine SAS-6 possède une capacité d’auto-organisation. Elle est incluse dans la structure tridimensionnelle et, par conséquent, dans le comportement de liaison de la protéine. L’auto-organisation est effectivement un principe de base des systèmes vivants – mais nous avons malgré tout été abasourdis, car la nature a trouvé une solution d’une simplicité étonnante pour une structure hautement complexe, s’extasie le Dr. Michel Steinmetz, responsable du groupe de recherche sur les interactions entre les protéines au PSI. Le spécialiste en biologie structurale explique la chose suivante : Dans notre modèle de formation des centrioles, SAS-6 est l’élément central de symétrie et de construction. Elle forme elle-même les roues de voiture, qui quant à elles servent de fondement et de squelette au centriole en formation.

Point de départ de nouveaux traitements

Même si les connaissances concernant la symétrie des centrioles n’en est encore qu’au stade de la recherche fondamentale, elles permettent d’entrevoir de nouvelles perspectives pour des applications cliniques. Des centrioles défectueux sont à la base de nombreuses maladies : en plus de la stérilité masculine, il existe des maladies ciliaires les plus diverses qui dans le cas des voies respiratoires sont accompagnées d’anomalies des cils et qui entraînent des complications. Le Dr. Steinmetz explique la portée de ces résultats comme suit : Étant donné que les centrioles interviennent dans de nombreux processus cellulaires et fonctions corporelles importants – de la préservation de la stabilité du génome lors de la division cellulaire jusqu’au déplacement des spermatozoïdes – ils constituent également des points d’attaque potentiels pour de nouveaux principes actifs. Le traitement contre le cancer pourrait tout particulièrement en tirer profit.

Les résultats des recherches ont été obtenus par l’association de méthodes issues de la biologie structurale, de la biophysique, de la biochimie et de la biologie cellulaire. Pour déterminer en détail l’architecture de la protéine SAS-6, les scientifiques ont examiné la molécule avec la Source de lumière synchrotron suisse (SLS) de l’Institut Paul Scherrer. Ils ont alors utilisé la procédure de la cristallographie par rayon X, au cours de laquelle on dirige des rayons X fortement focalisés sur des biomolécules cristallisées. À partir de la figure de diffraction de la lumière, on peut déterminer l’architecture des échantillons au moyen de procédures de calculs complexes.

Texte: Michael Keller


À propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer développe, construit et exploite de grandes installations de recherche complexes et les met à disposition de la communauté nationale et internationale. Les principales recherches de l’Institut sont centrées dans le domaine des corps solides et de la science des matériaux, de la physique des particules, de la biologie et de la médecine, de l’énergie et de l’environnement. Avec 1400 collaborateurs et un budget annuel d’environ 300 millions CHF, le PSI est le plus grand centre de recherche de Suisse.

Contact
Dr. Michel Steinmetz, Leiter der Forschungsgruppe Proteinwechselwirkungen,
Labor für Biomolekulare Forschung, Paul Scherrer Institut,
5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 47 54, Courriel: michel.steinmetz@psi.ch

Dr. Pierre Gönczy, Swiss Institute for Experimental Cancer Research ISREC
School of Life Sciences, EPFL Lausanne
1015 Lausanne, Suisse
Téléphone: +41 21 693 07 11, Courriel: pierre.gonczy@epfl.ch
Publication originale
Structural Basis of the 9-fold Symmetry of Centrioles
Daiju Kitagawa, Ioannis Vakonakis, Natacha Olieric, Manuel Hilbert, Debora Keller, Vincent Olieric, Miriam Bortfeld, Michèle C. Erat, Isabelle Flückiger, Pierre Gönczy and Michel O. Steinmetz
Cell 144, 1–12 (4 February 2011)

Ce projet de recherche etait promu par le fonds national suisse.
Images de presse



Cliquer sur l'icone de téléchargement pour télécharger la version de haute résolution.