Le ciment est le liant universel dans la construction de bâtiments modernes. Comme composant du béton et d'autres matériaux de construction, son volume de production fait de lui l'un des biens économiques les plus importants dans le monde. Toutefois, la fabrication de ciment consomme d'énormes quantités d'énergie provenant en grande partie de la combustion de carburants fossiles. Les chercheurs de l'Institut Paul Scherrer et de la société Holcim, un producteur de ciment suisse aux activités internationales, ont décidé de changer cette situation.
L'énergie solaire concentrée est utilisée pour la production écologique de combustibles adaptés pour les fours à ciment à partir de déchets carbonés. Dans le cadre d'un projet à long terme, entrepris avec la collaboration de la société Holcim et ETH Zurich, les chercheurs du PSI ont pu effectuer les premiers pas en direction de la fabrication d'un ciment solaire
. A cet effet, les scientifiques du PSI utilisaient un réacteur solaire, dans lequel les rayons solaires fut concentrés jusqu’une intensité de plusieurs milliers de fois celle du soleil à l’aide de miroirs rotatives. Ce four solaire a pu donc atteindre des températures avoisinantes les 1200 °C. Avec apport de vapeur d'eau, ces températures sont suffisantes pour la gazéification de charbon de qualité médiocre, de biomasses ou de déchets riches en carbone, comme par exemple des boues industrielles ou d’épurations, des déchets plastiques et des pneus de voitures usagés déchiquetés. Ce mélange de gaz, composé principalement d'hydrogène et de monoxyde de carbone est communément appelé gaz de synthèse
ou tout simplement syngas
. Ce syngas est un excellent combustible bien adapté aux fours à ciment. En comparant l’apport énergétique initial des déchets carbonés et celui du syngas final, le procédé de gazéification solaire confère au syngas une hausse énergétique allant jusqu'à 40 pour cent. Cette énergie supplémentaire provient du soleil et est emmagasinée par le gaz de synthèse. Résultat : grâce à l'apport solaire le bilan carbone du syngas est nettement diminué par rapport aux procédés de gazéification traditionnels.
Le développement du procédé de gazéification solaire par les chercheurs du PSI a demandé plusieurs étapes. Dans une première phase, la gazéification solaire a été testée en laboratoire à échelle réduite où la source d'énergie fut fourni par le simulateur solaire à flux élevé au PSI. L’avantage premier d’utiliser le simulateur solaire est qu’il ne souffre pas des caprices métérologiques : la lumière de 10 lampes au xénon, concentrée sur une petite surface, fournit la même intensité de rayonnement qu'environ 10 000 soleils. Cette installation est donc indispensable pour les expériences nécessitant des températures très élevées et une reproductibilité précise.
Épreuve du feu à Almeria
Dans la critique phase suivante, les chercheurs quittèrent le laboratoire pour tester le système dans des conditions plus réelles. Ils construisirent un nouveau réacteur solaire, environ 25 fois plus grand et alimenté par le flux énergétique d'une installation unique au monde : la Plataforma Solar d'Almeria en Espagne. Dans ce dernier, le soleil est concentré au sommet d'une tour solaire à l’aide de 300 miroirs rotatifs. Pour ces expériences, les scientifiques installèrent leur réacteur solaire à mi-chemin le long de la tour solaire et n’utilisèrent que 75 des 300 miroirs pour pouvoir atteindre les températures requises. Finalement, lors d'une exploitation commerciale, le réacteur sera probablement positionné au pied de la tour solaire pour y faciliter l'accès durant son fonctionnement. Un autre miroir sera placé au sommet de la tour pour rediriger les rayons concentrés du soleil vers le réacteur. Les tests à Almeria ont démontré la faisabilité du réacteur solaire pour la gazéification de plusieurs déchets carbonés. C'est ainsi que la première production solaire reproductible de gaz de synthèse au monde a eu lieu à l'échelle préindustrielle. Les chercheurs ont en outre découvert que le procédé autorisait aussi la gazéification de gros morceaux de déchets, même humides et sans prétraitement, et que le rendement variait en fonction des matériaux traités.
À l'avenir, les scientifiques souhaitent améliorer différents détails du procédé. Par exemple, le moyen d'approvisionnement en vapeur d'eau du réacteur. Actuellement, cette vapeur d'eau, qui est indispensable à la gazéification, est directement injectée dans le réacteur par 4 entrées. Les premiers essais à Almeria indiquent qu'une distribution plus homogène de la vapeur d’eau pourrait augmenter le rendement de la gazéification solaire. Ce détail parmit tant d’autres devra être amélioré pour optimiser la production de syngas solaire. L'objectif final est la construction d'un réacteur solaire de puissance suffisante pour couvrir la majeure partie des besoins énergétiques d'un four à ciment commercial. Outre l'application principale comme source de carburants pour la production de ciment, le gaz de synthèse solaire pourra également servir à faciliter et rentabiliser le stockage d'énergie. Une application prometteuse du syngas est comme matière première dans la production de carburants fossiles liquides, tel que l’essence, à l'aide de la synthèse bien connue de Fischer-Tropsch.