Au PSI, les chercheurs développent des technologies innovantes, de nouveaux principes actifs biologiques et des instruments de mesure plus précis. Ils font ainsi avancer non seulement la science, mais aussi l’économie suisse. Les meilleures idées sont protégées par des brevets et font du PSI un partenaire de choix pour l’industrie.
«C’est ici, en principe, que tout a commencé», explique Fabio Oldenburg en entrant dans le Laboratoire d’électrochimie du PSI. Ce chimiste, en pull en molleton et aux cheveux ébouriffés, vient de se reconvertir en entrepreneur. Il salue la laborantine, qui est en train de manipuler pipettes et éprouvettes, et désigne une douzaine de petits tubes en verre, disposés sur une étagère noire et coiffés de valves en plastique rouge et blanc en forme de T. «C’est avec ces tubes que j’ai fait mes premiers essais, lorsque j’étais étudiant en master et doctorant au PSI», raconte Fabio Oldenburg. Depuis ces premiers essais, quatre ans se sont écoulés avec deux dépôts de brevet et la fondation d’une spin-off du PSI. Le doctorant d’alors est aujourd’hui inventeur et entrepreneur.
Sur la table métallique brillante et située en face se dresse un mélangeur avec deux tubes en verre. D’une longueur d’environ 50 centimètres, ces derniers ont le même diamètre qu’un bras et sont remplis d’un liquide jaunâtre transparent, dans lequel flotte un voile ultramince roulé en boule. Cette ombre délicate est une membrane polymère, qui forme la base de l’invention de Fabio Oldenburg. Si on la déroulait, on obtiendrait une surface d’un demi-mètre carré. Il est prévu de l’intégrer prochainement dans une batterie redox vanadium rechargeable à flux (batterie VRF) et d’améliorer ainsi d’un cinquième l’efficacité de cet accumulateur.
Les batteries VRF ont la taille d’un container. Installées dans les parcs d’éoliennes et dans les aménagements photovoltaïques, elles stockent les mégawatts de courant vert générés lors de pics de production d’énergie liés à la météo. «Dans le domaine des énergies renouvelables, l’avenir des accumulateurs rechargeables appartient aux batteries VRF, affirme Fabio Oldenburg. Le vanadium est un élément très répandu, il est non toxique et, dans la batterie, il est dissous uniquement dans de l’eau. A la différence des autres technologies, cette batterie ne nécessite ni matières premières rares ni acides fortement concentrés. Une batterie VRF est complètement recyclable et, plus de vingt ans après sa mise en service, elle présente toujours la même capacité de charge. Jusqu’à présent, son seul inconvénient résidait dans la médiocrité de son efficacité.» Mais le chercheur vient de changer la donne.
L’idée de sa nouvelle membrane, Fabio Oldenburg l’a eue pendant son travail de master, alors qu’il était encore étudiant à l’ETH Zurich. Fasciné par les solutions énergétiques durables et par la chimie verte, il cherchait un centre de recherche avec une longue expérience dans le domaine. A l’instar du PSI, où le groupe de Lorenz Gubler travaillait, depuis plus de dix ans, dans la recherche énergétique appliquée et le développement de membranes pour accumulateurs. Son expertise était reconnue dans le monde entier. Les chercheurs du PSI travaillent avec des piles à combustible, des batteries au lithium et d’autres accumulateurs. Leur objectif: améliorer le rendement et la capacité de stockage des batteries. Le travail que le jeune chimiste s’était vu confier à l’époque allait dans le même sens: analyser et optimiser la membrane échangeuse d’ions à l’intérieur d’une batterie VRF.
«Les batteries VRF fonctionnent par le biais de l’interaction chimique de différentes formes de vanadium, explique Fabio Oldenburg. Il m’a d’abord fallu comprendre quelle forme de vanadium était transportée puis dissoute dans la batterie et au terme de quelles étapes. Et, ensuite, j’ai adapté la membrane.» Dans les batteries, au niveau électrique, des membranes séparent le pôle positif du pôle négatif. Pour aller de l’un à l’autre, le courant doit donc passer par un consommateur externe: par exemple, une ampoule électrique. En même temps, des petits ions d’hydrogène porteurs d’une charge électrique – les protons – franchissent la membrane pour assurer l’équilibre des charges. Mais ce séparateur entre électrode positive et électrode négative laisse toujours passer quelques ions de vanadium plus grands, ce qui décharge la batterie et la rend inefficace. Fabio Oldenburg a modifié la composition de sa membrane, de telle sorte qu’elle laisse passer moins d’ions de vanadium et davantage de protons entre le pôle positif et le pôle négatif, rendant ainsi la barrière plus sélective. Pour ce faire, il a intégré à la membrane des ions porteurs d’une charge positive et des ions porteurs d’une charge négative, de manière que ces différents types d’ions ne se neutralisent pas mutuellement. Résultat: une membrane plus étanche et une batterie nettement plus efficace.
Fabio Oldenburg a alors fait tester sa membrane par un partenaire de l’industrie. Ce dernier a été si enthousiasmé par le progrès que l’idée d’une spin-off a très vite germé dans l’esprit du chercheur. Le soir de la Saint-Sylvestre 2017, il s’en est ouvert à un ami de Londres et il a fini par le convaincre de se joindre à lui.
Pour Fabio Oldenburg, les choses étaient claires dès le début: il voulait faire breveter la nouvelle membrane avant de fonder une start-up. Il s’est donc tourné vers Adrian Selinger du service de transfert de technologie du PSI, et ce dernier a aussitôt accueilli favorablement son idée. Car les brevets revêtent une grande importance pour le PSI. En plus de protéger la technologie et le savoir-faire, ils ouvrent aussi la voie à une exploitation industrielle et à des revenus de licence, voire à de nouveaux partenariats de recherche. Adrian Selinger est lui-même chimiste et ingénieur. Fort de plusieurs années d’expérience dans l’industrie, il a également déposé plusieurs brevets. Il n’a pas tardé à identifier le potentiel de cette nouvelle membrane. «Pour pouvoir breveter une idée, il faut que celle-ci soit novatrice, expliquet-il. La solution ne doit pas être évidente, elle doit impliquer une démarche inventive, autrement dit une réflexion créative tout à fait nouvelle. Or là, tous ces aspects étaient réunis.» Dans de telles conditions initiales – aussi bonnes –, tout le reste n’était plus qu’une simple formalité. Quelques semaines plus tard, le 21 mai 2018, le PSI déposait une demande de brevet européen sur l’invention. A partir de cette date, plus personne ne pouvait copier le procédé imaginé par Fabio Oldenburg. «Nous avons eu relativement vite un retour de l’Office européen des brevets de Munich, raconte le chercheur. Ils nous ont juste demandé de reformuler quelques descriptions dans la demande de brevet. Maintenant, nous devons attendre que tout ait été vérifié. La règle, quand on soumet une demande, c’est: déposer, oublier et continuer à travailler avec le statut de “patent pending”.»
Une fois la demande de brevet déposée, Fabio Oldenburg a repris son idée de start-up et s’est porté candidat au Founder Fellowship Programme. Avec cet instrument d’encouragement, le PSI épaule ses chercheurs sur la voie qui mène à la spin-off: celle ou celui qui a le projet de fonder une entreprise susceptible de générer une plus-value pour le canton d’Argovie et pour la Suisse, par exemple des emplois, reçoit, pendant dix-huit mois, de la connaissance, de l’infrastructure et de l’argent. Tout comme Fabio Oldenburg. En tant que Founder Fellow au PSI, il apprend les bases de l’entreprenariat en profitant de différents coachings. Il a l’autorisation d’utiliser les laboratoires du PSI et bénéficie de la sécurité d’un emploi rémunéré. Cette situation confortable lui a facilité le passage vers le statut d’entrepreneur. Dix mois après avoir déposé son premier brevet, il a fondé, avec son collègue de Londres, la spin-off du PSI nommée Gaia Membranes. Depuis lors, il s’est entretenu avec de nombreux clients et investisseurs potentiels, et a ébauché un modèle commercial. Avec ses connaissances et une petite équipe, il continue à développer la membrane pour la rendre utilisable pour de grandes batteries VRF et de nouvelles applications. Car son esprit inventif est toujours là.
Les inventions et les brevets jouissent d’une longue tradition au PSI. Ils concernent pratiquement tous les domaines dans lesquels les chercheurs travaillent. La médecine, par exemple, avec des techniques d’exploration pour le traitement du cancer par protonthérapie ou encore la détection de prions à l’origine de la maladie de la vache folle. D’autres inventions relèvent du domaine des sciences photoniques avec des procédés particuliers de lithographie pour la structuration de surface; d’autres encore ont trait à l’environnement avec le recyclage des terres rares, certains catalyseurs et la gazéification de la biomasse. Sans oublier les sciences des matériaux et d’autres disciplines. Depuis qu’il a été fondé en 1988, le PSI a déposé 250 familles de brevets. Une «famille» réunit tous les brevets liés à une même invention. La date de priorité, c’est-à-dire le jour où le brevet a été déposé, constitue le moment-clé de la démarche. C’est elle qui fait foi pour toutes les demandes ultérieures dans d’autres pays et d’autres langues. A partir de cette date, une invention peut être protégée pendant vingt ans. Elle le peut, mais ne le doit pas forcément.
«Le PSI possède une centaine de familles de brevets actifs, détaille Adrian Selinger. “Actif” signifie ici que l’invention est encore protégée. Environ 150 familles de brevets sont plus anciennes ou n’ont pas été prolongées.» Ne plus prolonger permet de faire des économies. Car, à partir de la troisième année, les taxes augmentent et atteignent facilement plusieurs dizaines de milliers de francs suisses. Le PSI investit volontiers de tels montants, s’il s’agit de protéger une invention-clé faite entre ses murs ou si une entreprise manifeste un intérêt pour la commercialisation de l’invention brevetée. A l’instar de l’entreprise lausannoise Debiopharm, rendue attentive au principe actif 177Lu-PSIG-2 par un texte publié sur le site Internet du PSI. Un brevet pour le traitement d’une forme de cancer de la thyroïde avait été déposé sur ce médicament radiopharmaceutique développé au Centre des sciences radiopharmaceutiques du PSI, ce qui le rendait attrayant pour l’industrie pharmaceutique. En 2017, Debiopharm a passé un contrat de licence avec le PSI pour ce médicament radiopharmaceutique, qu’elle va continuer à développer jusqu’à l’homologation et la commercialisation sous l’appellation DEBIO 1124. Par ailleurs, des scientifiques du PSI et de Debiopharm ont, pour l’avenir, des projets de recherche communs dans ce domaine (voir 5232, numéro 3/2019, p. 18).
Il faut une vaste expérience pour déposer des brevets sur les bonnes inventions et contrôler régulièrement les demandes de brevets et les brevets du PSI. Les spécialistes du transfert de technologie du PSI examinent les retours de l’Office des brevets sur la brevetabilité de l’invention et la qualité du brevet. Et ils observent le «marché». Puis ils décident s’il faut garder le brevet, le vendre ou l’abandonner. Néanmoins, «pour aucun brevet, nous ne pouvons être absolument certains de son futur succès, rappelle Adrian Selinger. Inversement, le PSI ne veut évidemment rater aucune opportunité sur un brevet important. Dans le doute, nous préférons faire breveter une invention de plus.»
Nous sommes désormais en mesure de mieux faire adhérer des principes actifs aux anticorps pour les acheminer de manière ciblée jusqu’au bon endroit dans l’organisme.
Les inventions protégées par des brevets viennent aussi en appui des spin-off du PSI. Un contrat de licence permet à la start-up de continuer à développer une technologie du PSI et de la commercialiser. Comme c’est le cas pour Gaia Membranes, la start-up de Fabio Oldenburg. Ou pour Araris Biotech, une autre spin-off du PSI, fondée en 2019 par Philipp Spycher, un ancien chercheur de l’institut. Philipp Spycher est actif dans le domaine des biotechnologies et s’intéresse aux nouvelles méthodes qui permettent de coupler des principes actifs biologiques plus efficacement à des anticorps. Ces composés anticorps-principe actif sont de plus en plus souvent utilisés comme médicaments oncologiques, car, avec eux, le principe actif peut atteindre de manière ciblée les cellules tumorales dans l’organisme, s’arrimer au bon endroit et y déployer son effet. Au Centre des sciences radiopharmaceutiques, Philipp Spycher avait identifié une enzyme qui faisait adhérer le principe actif à l’anticorps, comme une sorte de colle. L’enzyme est polyvalente et couple les principes actifs aux anticorps de manière plus rapide et précise que les méthodes conventionnelles. Le PSI a déposé un brevet sur l’invention de Philipp Spycher, car de premières sociétés pharmaceutiques ont déjà signalé leur intérêt pour cette nouvelle méthode (voir 5232, numéro 3/2018, p. 14).
Les parcours de Fabio Oldenburg et de Philipp Spycher présentent de nombreux parallèles. Tous deux ont effectué des recherches au PSI, Oldenburg en tant que doctorant et Spycher en tant que postdoctorant, et ils ont remporté un Founder Fellowship.
Ils sont aujourd’hui inventeurs et entrepreneurs. Si leur brevet et leur start-up réussissent, cela stimulera d’autres chercheurs et drainera de nouveaux intéressés, venus de l’industrie et de la recherche, vers le PSI.
Dans certains secteurs économiques, les brevets du PSI sont désormais des incontournables. C’est notamment le cas de technologies qui ne peuvent être développées et testées qu’à de grandes installations de recherche, comme celles qu’abrite le PSI. Par exemple, les détecteurs pour caméras à rayons X à haute puissance, avec lesquels les matériaux peuvent être représentés au niveau atomique. Les premiers de ces détecteurs ont été développés il y a plus de quinze ans pour la Source de Lumière Suisse SLS par Christian Brönnimann, physicien au PSI, et ses collègues. Aujourd’hui, Christian Brönnimann est CEO de l’entreprise DECTRIS, la plus grande spin-off du PSI, qu’il a fondée en 2006 (voir 5232, numéro 3/2018, p. 10). DECTRIS compte aujourd’hui plus de 120 employés. L’entreprise rencontre un tel succès avec ses produits que, dans le monde, plus de 60 % de toutes les nouvelles structures de protéines sont déterminées avec ses détecteurs. Actuellement, les structures des protéines du coronavirus et de potentiels candidats au principe actif sont aussi étudiés à l’aide de détecteurs DECTRIS.
Les technologies brevetées de la spin-off de Marco Stampanoni ont, elles aussi, le vent en poupe. Responsable du groupe de recherche Tomographie par rayons X de la SLS, ce physicien, professeur à l’ETH Zurich, a contribué de manière importante à l’adaptation d’une technologie-clé du PSI, protégée par plusieurs brevets, pour qu’elle puisse être utilisée sur des patients. Cette méthode de contraste de phase fondée sur une technique d’interférométrie à réseaux a été développée au départ pour le rayonnement synchrotron. Elle devrait devenir l’étalon-or dans les examens de dépistage du cancer du sein (voir 5232, numéro 3/2018, p. 18). Son atout: les chercheurs exploitent les interactions physiques entre les rayons X et les tissus du corps humain, c’est-à-dire la réfraction et la dispersion. Cela leur permet d’identifier de manière beaucoup plus détaillée certaines structures dans le sein (des nodosités et des microcalcifications, par exemple), au lieu de devoir se contenter d’une silhouette, comme aujourd’hui. La nouvelle technologie a déjà été utilisée dans un prototype sur lequel le PSI a collaboré avec l’entreprise Philips. Aujourd’hui, GratXray, la spin-off du PSI que Marco Stampanoni a fondée avec d’autres, continue de développer la méthode brevetée au Park Innovaare. Le site de ce nouveau parc de l’innovation, situé à proximité immédiate du PSI, offre aux entreprises high-tech un environnement idéal pour le travail de recherche et développement. Les spin-off et les entreprises innovantes apprécient les liens étroits avec le PSI et l’accès aux grandes installations de recherche. Là, ces acteurs posent la première pierre d’autres coopérations, de technologies et de brevets couronnés de succès – à l’instar de leurs prédécesseurs au PSI depuis trente ans.
Texte: Sabine Goldhahn