Bloc-notes, crayon et algorithmes

Pourquoi la matière se transforme-t-elle quand elle interagit avec la lumière? Qu’arrive-t-il alors aux différentes molécules? Pour le physicien Dominik Sidler du Centre Calcul scientifique, théorie et données à l’Institut Paul Scherrer PSI, la théorie n’a rien de terne. Il s’est mis en quête d’une nouvelle théorie fondamentale pour décrire comment les propriétés chimiques d’une matière peuvent être modifiées par une puissante interaction entre lumière et matière.

«La théorie et la simulation me conviennent mieux que la recherche expérimentale. Elles sont plus propres.» Dominik Sidler, physicien théoricien au PSI, effectue des simulations pour trouver la simplicité dans la complexité. © Institut Paul Scherrer PSI/Mahir Dzambegovic

Né à Ebikon, Dominik Sidler a été post-doctorant à l’Institut Max-Planck de structure et dynamique de la matière à Hambourg. L’an dernier, il est rentré en Suisse avec son épouse et ses deux enfants, nés en Allemagne. Même si tout lui semble encore relativement nouveau, le chercheur est heureux d’être revenu vivre plus près de ses parents. «Et honnêtement, en tant qu’amoureux de la montagne, j’ai souffert de symptômes de sevrage dans les plaines du nord de l’Allemagne.»

Les limites des expériences

Dominik Sidler travaille au laboratoire de simulations des matériaux du PSI, l’endroit rêvé pour un physicien qui s’est spécialisé dans le développement de théories basées sur des modèles informatiques afin de prévoir les propriétés chimiques des matières. «Les simulations me permettent d’en savoir plus sur le niveau des atomes, un domaine qui reste caché dans de nombreuses expériences.» Dans ces conditions, l’interprétation des mesures et des observations est nettement plus précise.

Pourquoi ne fait-il pas de recherche expérimentale? Dominik Sidler explique qu’il y a dans celle-ci trop de paramètres difficiles à contrôler à son goût. «La théorie et la simulation me conviennent mieux que la recherche expérimentale. Elles sont plus propres.» Le chercheur apprécie tout particulièrement le fait que les mécanismes physiques qu’il découvre avec ses théories et ses simulations soient souvent étonnamment simples. La difficulté est de les identifier. «La recherche de cette belle simplicité au cœur de la complexité me fascine.»

Des effets mystérieux

Dans le cadre de son projet actuel, Dominik Sidler a aussi l’intention de lier simplicité et complexité. Intitulé «Unravelling the Mysteries of Vibrational Strong Coupling» (UnMySt), que l’on pourrait traduire par «Percer les secrets du couplage fort des vibrations», ce projet est soutenu à hauteur de dix millions d’euros par le Conseil européen de la recherche. Prévu pour une durée de six ans, il débute au printemps 2025. Mais quels sont ces «secrets» à percer? Ce sont ceux de la chimie polaritonique, un domaine de recherche relativement récent qui, malgré son nom, est fortement marqué par la physique théorique.

Le mystère réside dans le fait que les propriétés chimiques des matières ne peuvent être modifiées que lorsqu’on les place dans un résonateur optique. Cette espèce de caisson d’expérimentation est équipé de minuscules miroirs disposés face à face. L’interaction entre matière et lumière y est renforcée et produit ce que l’on appelle un couplage fort lumière-matière. Des expériences ont permis d’observer que ce couplage modifiait les propriétés de réaction, et que les réactions chimiques étaient alors plus lentes ou plus rapides. 

L’interaction forte typique entre lumière et matière est certes connue depuis des décennies dans la physique du laser, mais personne ne sait comment elle modifie les propriétés chimiques d’une matière. Comprendre ce phénomène est tout sauf simple puisque le résonateur ne transforme pas complètement la matière, mais seulement des molécules isolées, un changement local, qui peut tout de même produire de toutes nouvelles propriétés chimiques. 

Développer une nouvelle théorie

Selon les théories standard existantes, un effet localisé de ce genre ne devrait pas même être possible: visiblement, ces théories ne sont donc pas suffisamment abouties. Cette situation est le rêve de tout théoricien: elle est l’occasion de construire une nouvelle base d’explication qui décrit de manière exhaustive les mécanismes physiques qui sous-tendent le phénomène.

C’est justement à cela que travaille Dominik Sidler dans le cadre de son projet, puisqu’il développe des théories fiables ainsi que des méthodes de simulation et des prévisions pour la chimie polaritonique. Pour l’instant, les expériences n’ont donné que des résultats aléatoires. De nombreuses configurations expérimentales ont été testées et parfois, un effet chimique s’est produit. La plupart du temps, en revanche, ce n’était pas le cas. Dès que la théorie appropriée aura été découverte, il en ira tout autrement. Elle définira en effet les principes directeurs des futures expériences, lors desquelles l’effet chimique souhaité pourra être produit de manière ciblée.

Cela pourrait, à son tour, ouvrir la voie à des applications concrètes, par exemple dans le domaine médical. Dans celui-ci en effet, la chimie polaritonique pourrait éventuellement contribuer à séparer plus facilement les molécules droitières des gauchères lors de la synthèse de médicaments. Ces molécules sont certes identiques, mais leur disposition est différente: une molécule est l’image miroir de l’autre. Le problème? Alors que l’une a un effet curatif, son reflet peut être hautement nocif. Une séparation efficace est donc indispensable pour éviter des effets secondaires indésirables.

Les avantages de l’interdisciplinarité

L’industrie a déjà annoncé son intérêt; le travail de Dominik Sidler est donc pertinent pour la pratique, malgré toute la théorie «grise» qui l’entoure. Il est surtout résolument interdisciplinaire, comme le révèle le projet soutenu par le Conseil européen de la recherche. Des connaissances, des approches et des manières de penser spécifiques à des domaines très différents les uns des autres s’y retrouvent: celles de la chimie théorique en Pennsylvanie, celles de la chimie expérimentale à Strasbourg, celles de la physique expérimentale à Tel-Aviv et celles de la physique théorique à Hambourg et au PSI.

Le projet de Dominik Sidler débute autour d’une question centrale, celle de savoir pourquoi seulement certaines expériences modifient les propriétés chimiques des matières et que, souvent, rien ne se produit. Un collègue de Hambourg tentera ensuite de vérifier mathématiquement les équations qu’il a établies à cet effet, qui seront alors résolues par de grands ordinateurs. Ce sont ensuite ses collègues de la science expérimentale qui passeront à l’action: leur mission consistera à confirmer l’hypothèse dans leurs expériences. Leurs résultats formeront la base de nouveaux modèles théoriques. «Nous n’arriverons au but qu’en travaillant ensemble. Les dix dernières années de recherche dans le domaine de la chimie polaritonique ont montré que les considérations isolées ne permettaient pas de progresser. La théorie et les expériences doivent se compléter», affirme Dominik Sidler.

Se retirer pour mieux cogiter

Dominik Sidler se sent bien équipé pour relever cette tâche ambitieuse, lui qui a été longtemps officier à l’armée suisse, où il a pu entraîner son endurance et sa persévérance. «Ces deux qualités sont aussi indispensables dans le domaine de la recherche, où les premiers essais débouchent souvent sur des échecs. La ténacité est le nerf de la guerre, tout comme le fait de savoir reconnaître à temps qu’une approche ne mènera nulle part.» Durant sa carrière militaire, Dominik Sidler a aussi appris à prendre la responsabilité pour les autres. Il a constaté que dans les relations humaines, la logique ne suffit pas toujours: il faut de l’empathie, de la force de persuasion, savoir motiver et être un modèle. Un constat aussi valable pour la recherche. Dominik Sidler sait qu’il doit s’occuper des étudiants et des post-doctorants, dont l’encadrement fait aussi partie de ses tâches au PSI.

Il a désormais pris ses marques à l’institut, où il ne manque de rien. Pour son projet, il peut aussi réaliser des expériences dans les grandes installations. Mais ce théoricien a surtout besoin d’un lieu où se retirer, de pouvoir fermer la porte et programmer ou réfléchir à une idée au calme. Son rêve serait toutefois de disposer d’espaces communs avec un grand tableau au mur et une machine à café, non loin de son bureau. Ces lieux de rencontre permettent en effet «des discussions et des échanges spontanés» qui, souvent, contribuent à trouver des solutions aux problèmes qui donnent du fil à retordre aux chercheuses et aux chercheurs. Ces échanges voient parfois aussi surgir de nouvelles idées de projets de recherche, auxquelles le chercheur peut ensuite réfléchir dans le calme de son bureau.

Dr. Dominik Sidler
Center for Scientific Computing, Theory and Data
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 38 30
dominik.sidler@psi.ch