Cela fait 10 ans que l’Institut Paul Scherrer exploite ecoinvent, en partenariat avec l’EPF Zurich, l’EPF Lausanne, l’Empa et Agroscope. En matière de bilans écologiques, cette banque de données est mondialement à la pointe. C’est ce genre d’instrument qui sert de base à l’évaluation de l’impact environnemental de produits et de services. La troisième version d’ecoinvent, la plus récente, réunit à présent de nouvelles données dans des domaines comme la production d’électricité, l’agriculture, le traffic, l’industrie minière et les produits chimiques. Pour le secteur de l’électricité, qui revêt une grande importance dans les analyses de cycle de vie, la banque de données inclut désormais plus de 80% de la production globale. Et certaines technologies y ont désormais leur place, comme la géothermie profonde, qui n’avaient pas été prises en compte jusqu’ici. Résultat : des évaluations écologiques plus précises des produits et des services.
Combien d’émissions de CO2 un panneau solaire fabriqué en Chine produit-il, comparé à un panneau solaire fabriqué en Allemagne? Les centrales à gaz à cycle combiné sont-elles vraiment plus écologiques que d’autres technologies fossiles? D’un point de vue écologique, les véhicules électriques ont-ils vraiment un intérêt? Les décideurs politiques et économiques, mais aussi les consommateurs privés, sont quotidiennement confrontés à des questions de ce genre, pour autant que la protection du climat et de l’environnement leur tienne à cœur. L’analyse du cycle de vie, appelée aussi bilan écologique, est un instrument susceptible de fournir des réponses, dans la mesure où il éclaire l’influence des produits sur l’environnement, et ce sur l’ensemble de la chaîne de création de valeur – de l’approvisionnement en matières premières à l’élimination en fin d’utilisation. Des banques de données comme ecoinvent constituent une base pour ce genre de bilan : elles contiennent, pour de nombreux produits et services, des informations sur les matériaux et les matières premières, ainsi que sur les émissions afférentes.
Des données de ce genre, détaillées, actuelles, portant sur chaque étape de production, et ventilées si possible en fonction du site de production et de la technologie, sont la condition nécessaire pour un bilan écologique pertinent. La production d’un kilowattheure de courant électrique dans une centrale thermique au charbon laisse en effet des traces écologiques très différentes que la même quantité d’électricité produite dans un parc éolien. D’un autre côté, une centrale thermique au charbon d’Europe occidentale ne pollue pas l’environnement dans les mêmes proportions qu’une centrale thermique au charbon chinoise.
Des inventaires régionaux fiables, et ventilés par technologie pour un grand nombre de produits et de prestations de service : c’est exactement ce que fournit ecoinvent. En tant que banque de données non commerciale et complètement transparente, elle compte plus de 4000 utilisateurs de par le monde. Les données proviennent de la littérature spécialisées, de statistiques ou de l’industrie – par exemple d’organisations internationales comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ou l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – ou encore d’études scientifiques soigneusement analysées. Outre la transparence, le plus haut niveau de qualité est garanti.
Des différences régionales importantes dans le secteur de l’électricité
Pour la troisième version d’ecoinvent, la plus récente, des chercheurs du PSI ont remanié et élargi les données d’inventaire sur la production d’électricité, comme ils l’avaient déjà fait par le passé. Cela permet désormais d’examiner en détail certains aspects de l’évaluation écologique de ce secteur économique décisif.
Tous les pays, qui participent à hauteur d’au moins 1% à la production globale d’électricité, sont maintenant pris en compte dans la banque de données. Au lieu de se concentrer sur l’Europe, comme c’était le cas jusqu’ici, ecoinvent v3 inclut désormais 50 pays sur tous les continents. La banque de données couvre ainsi 83% de la production mondiale d’électricité. Par ailleurs, les données provenant des Etats-Unis et du Canada font à présent l’objet d’une saisie régionale, ce qui rend compte des conditions, parfois très différentes, qui règnent d’une région à l’autre dans des pays aussi vastes. Depuis peu, il est ainsi possible de procéder, par exemple, à l’évaluation écologique d’un produit originaire du Québec, à partir de données plus réalistes qu’avant. La nouvelle amélioration de la résolution géographique permet aux consommateurs et au commerce de détail de remplacer des déclarations fondées sur des données générales et imprécises par des conclusions plus exactes, à caractère régional. Le Canada fournit d’ailleurs un bon exemple de ces disparités régionales importantes, propres aux grands pays. Alors que des provinces comme le Québec s’approvisionnent presque à 100% en énergies renouvelables, le petit territoire du Nunavut couvre pratiquement intégralement sa consommation d’électricité avec du pétrole.
Emissions issues de l’exploitation des réseaux électriques
La banque de données permet par ailleurs de quantifier les pertes d’électricité, ainsi que les émissions liées, par-delà les centrales, à la transmission et la distribution de courant électrique jusqu’au client final. L’importance écologique des réseaux électriques apparaît ainsi clairement. Il est possible, par exemple, de comptabiliser les émissions de protoxyde d’azote (gaz hilarant) et d’ozone à proximité des lignes aériennes à haute tension. Autre exemple d’émissions prises en compte : celles d’hexafluorure de soufre, une substance utilisée notamment comme retardateur de flamme dans les installations de commutation. Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il s’agit du gaz à effet de serre, qui présente le plus important potentiel en matière de réchauffement climatique. En raison de sa faible concentration dans l’atmosphère, l’hexafluorure de soufre n’est pas un moteur important du changement climatique. Mais des mesures atmosphériques directes indiquent une forte augmentation des émissions globales de ce gaz à longue durée de vie.
La banque de données opère une distinction importante entre production d’électricité et marché de l’électricité, qui fait apparaître des éléments intéressants. Par « production d’électricité », on entend l’électricité produite dans une région géographique, alors que le « marché de l’électricité » désigne l’électricité réellement consommée dans la même région. L’influence des importations d’électricité peut déboucher sur des différences considérables entre le bouquet de production et le bouquet de consommation d’une région. Comme par exemple dans le cas de L’Ile-du-Prince-Edward, la plus petite des provinces canadiennes, où 40% de l’électricité consommée est produit à partir de charbon, alors que l’île n’abrite pas une seule centrale thermique au charbon. Les importations d’électricité produite grâce au charbon font de cette région un grand consommateur d’énergie fossile, alors que sur place, 74% de la production se fait à partir d’énergies renouvelables. Le tableau est différent au Danemark : 70% du bouquet national de production d’électricité est basé sur des énergies fossiles, alors que leur part représente seulement 53% du bouquet de consommation d’électricité. Si les Danois « reverdissent » leur bouquet électrique, c’est donc surtout grâce aux importations d’électricité en provenance des centrales hydrauliques de leur voisin norvégien.
Meilleure évaluation des technologies
La résolution géographique n’est pas la seule amélioration d’ecoinvent v3. L’utilisateur peut aussi, à présent, procéder à une évaluation plus différenciée des technologies de production d’électricité.
Pour l’éolien et le photovoltaïque, la nouvelle version d’ecoinvent contient des données plus détaillées, avec une meilleure résolution régionale, qui montrent par exemple à quel point le site d’un parc éolien et d’une centrale solaire est susceptible d’influencer le bilan écologique. Car là où le vent est rare, ou le brouillard fréquent, le nombre de kilowattheures injectables dans le réseau est plus faible. Idem pour les centrales hydrauliques ou les centrales thermiques au charbon : elles ont un impact plus ou moins important sur la nature, en fonction climat local dans le cas de l’hydraulique, ou, dans le cas des centrales thermiques au charbon, en fonction de l’équipement technologique mis en place pour améliorer l’efficacité ou assurer la protection de l’environnement.
Impact sur l’environnement : mise en évidence des « hotspots »
Les résultats d’un bilan écologique permettent aussi de déterminer avec exactitude les moments du cycle de vie, où l’impact sur l’environnement est les plus important. Dans le cas du charbon, c’est la cheminée de la centrale qui est à l’origine de la quasi-totalité des émissions de gaz à effet de serre, directement pendant la production. Alors que dans le cas des énergies renouvelables, les émissions sont dues presque exclusivement à la construction des centrales, et à la consommation de matériaux et d’énergie qu’elle occasionne. Le bilan écologique de l’électricité produite à partir de combustibles fossiles montre aussi que dans de nombreux cas, le taux de poussières fines dans l’air n’est pas dû principalement aux émissions directes de particules des cheminées, comme on le croit souvent. La formation différée de poussières fines, induite par la transformation d’oxydes d’azote et de dioxyde de soufre dans l’atmosphère, y contribue de manière significative. Ce constat vaut surtout pour les centrales équipées de filtres de qualité, comme c’est par exemple le cas en Europe.
Texte: Institut Paul Scherrer/ Leonid Leiva
Contact
Christian Bauer, Laboratoire pour l’Analyse des Systèmes Énergétiques, Institut Paul Scherrer ,Téléphone: +41 56 310 23 91, E-Mail: christian.bauer@psi.ch
Karin Treyer, Laboratoire pour l’Analyse des Systèmes Énergétiques, Institut Paul Scherrer ,
Téléphone: +41 56 310 57 45, E-Mail: karin.treyer@psi.ch
Publication originale
Life cycle inventories of electricity generation and power supply in version 3 of the ecoinvent database—part I:electricity generationKarin Treyer, Christian Bauer,
Int J Life Cycle Assess
DOI: 10.1007/s11367-013-0665-2
Life cycle inventories of electricity generation and power supply in version 3 of the ecoinvent database—part II:electricity markets
Karin Treyer, Christian Bauer,
Int J Life Cycle Assess
DOI: 10.1007/s11367-013-0694-x