Dépôts en couches géologiques profondes : les pores de la roche se referment

On sait d’ores et déjà que certaines réactions chimiques modifieront les caractéristiques du dépôt en couches géologiques profondes, de même que celles de la roche environnante (roche argileuse). Mais dans quelle mesure, et avec quelles conséquences pour la sécurité ? Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer tentent de répondre à cette question, en combinant expériences et simulations informatiques.

Georg Kosakowski et Urs Berner (Photo: Institut Paul Scherrer/Frank Reiser)

En Suisse, la loi sur l’énergie nucléaire stipule que les déchets radioactifs, issus de centrales nucléaires, d’installations de recherche, d’hôpitaux et d’autres sources, doivent être éliminés dans des dépôts en couches géologiques profondes. Qu’il s’agisse de déchets faiblement à moyennement radioactifs comme ceux issus de la recherche, ou d’éléments de combustibles usagés hautement radioactifs issus de centrales nucléaires, ces déchets doivent y être enfermés de manière sûre pendant au moins 100'000 ans, voire 1 million d’années. Objectif : empêcher les radionucléides de passer par la nappe phréatique pour se retrouver dans la biosphère, en concentrations supérieures à la limite réglementaire. Il est donc important de comprendre les processus géochimiques et physiques, qui se jouent dans un dépôt en couches géologiques profondes, de manière à pouvoir procéder à des évaluations fiables quant à leur sécurité sur des périodes aussi longues.

La nature montre l’exemple

On sait d’ores et déjà que certaines réactions chimiques modifieront les caractéristiques du dépôt en couches géologiques profondes, de même que celles de la roche environnante (roche argileuse). Mais dans quelle mesure, et avec quelles conséquences pour la sécurité ?

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer tentent de répondre à cette question, en combinant expériences et simulations informatiques. Les calculs présentent un avantage important : les périodes sur lesquelles ils portent peuvent être aussi bien extrêmement courtes qu’extrêmement longues. Ils rendent ainsi possible l’étude de processus extrêmement lents, qui restent inaccessibles dans le cadre d’expériences en laboratoire souterrain.

Hormis les simulations, les chercheurs s’appuient sur ce qu’on appelle des analogues naturels. Les experts désignent par ce terme, des environnements géologiques, qui existent à l’état naturel, et au cœur desquels se jouent des processus très similaires à ceux d’un dépôt en couches géologiques profondes. Ces analogues naturels permettent aussi souvent d’entrevoir l’avenir, c’est-à-dire l’évolution probable d’un dépôt en couches géologiques profondes – un avantage précieux.

Un analogue naturel de ce genre se trouve à Maqarin, au Nord de la Jordanie, près de la frontière syrienne. Dans cette région, des processus de combustion dont les causes exactes sont encore inconnues, se sont déclenchés dans les roches très bitumineuses du sous-sol. La chaleur libérée a transformée les roches calcaires dans une couche souterraine similaire au ciment. L’eau de pluie s’est ensuite infiltrée dans ce mélange de ciment naturel, et a réagi à son contact, avant de s’échapper par des fissures et de se retrouver en contact avec les roches argileuses environnantes. En raison de son pH élevé, le ciment ressemble à une solution alcaline, alors que le pH de la roche argileuse est quasiment neutre. Comparé au ciment, la roche argileuse est donc acide. De fait, aux points de contact entre l’« eau alcaline » et la roche argileuse, une réaction chimique neutralisante s’est déclenchée.

Les minéraux referment les pores

Une réaction acido-basique de ce genre se produit aussi dans un dépôt en couches géologiques profondes pour déchets faiblement radioactifs. En effet, la roche argileuse « acide » et l’eau basique issue du ciment dont sont revêtues les parois du puits et des cavernes du dépôt, entrent également en contact. Or, les chercheurs savent que dans ce cas, le ciment et la roche argileuse se neutralisent. Mais le plus souvent, cette réaction est extrêmement lente.

A Maqarin, on a observé que les réactions neutralisantes entraînaient la formation de minéraux comme la calcite et l’ettringite. Or, à quelques millimètres de la zone de contact, ces minéraux entraînent la fermeture presque complète des pores, qui existaient avant dans la roche argileuse. On ignore encore combien de temps il faut pour que les pores soient complètement refermés. Mais il semblerait que ce laps de temps n’excède pas quelques centaines d’années, comme le montrent les simulations informatiques de l’équipe de chercheurs du PSI, menée par Georg Kosakowski et Urs Berner. Cela voudrait donc dire qu’il suffit d’une période relativement courte, pour que la réaction acido-basique rende le dépôt en couches géologiques profondes encore plus sûr : en refermant les pores, elle empêche encore davantage les radionucléides de s’échapper.

Un jalon important pour comprendre le comportement d’un dépôt en couches géologiques profondes

Les observations au « laboratoire naturel » de Maqarin correspondent aux résultats de leurs simulations informatiques : un fait que les chercheurs du PSI qualifient de jalon important pour mieux comprendre le comportement d’un dépôt en couches géologiques profondes. Cette bonne correspondance avec les données de mesure adoube en quelque sorte leur modèle de calcul, dans lequel ils ont mathématiquement chiffré la complexité des réactions géochimiques combinées avec le transport de l’eau (surtout de la diffusion) dans la roche.

Texte : Leonid Leiva