L’idée de produire du combustible nucléaire sous forme de sphères (et non de pastilles, comme c’est l’usage aujourd’hui) remonte aux années 1960. Les avantages suivants en étaient escomptés : une simplification de la fabrication du combustible ainsi qu’une nette réduction de la quantité de déchets radioactifs lors de sa fabrication et de son utilisation en centrale nucléaire. Ce type de combustible n'a toutefois jamais été utilisé parce que les types de réacteurs pour lesquels il avait été envisagé n’ont pas pu s'imposer. Dans le passé, l’Institut Paul Scherrer (PSI) a aussi contribué à la recherche en matière de combustible à particules sphériques. A nouveau, plusieurs projets, en partie financés par l’Union européenne, sont actuellement en cours au PSI. Leur objectif : continuer à améliorer la production des billes de combustible. Cette forme de combustible pourrait être utilisée soit dans des installations spéciales de réduction des quantités de déchets radioactifs, soit dans des réacteurs rapides de quatrième génération, qui, en cycle fermé, produisent eux aussi moins de déchets à vie longue.
D’où viennent les déchets nucléaires
Le type de réacteur le plus fréquent est le réacteur à eau légère, où les noyaux atomiques contenus dans le combustible (uranium-235) se scindent sous l’effet d’un bombardement de neutrons relativement lents, dits thermiques. Cette fission nucléaire libère de l’énergie, qui est utilisée afin de produire de la vapeur d’eau. Celle-ci permet d’actionner un générateur qui, lui, produit de l’eléctricité. De plus, lors de la fission nucléaire, des neutrons libres sont émis. Ces derniers scindent à leur tour d’autres noyaux d’uranium, de sorte que la réaction se poursuit de manière autonome – on parle alors de réaction en chaîne contrôlée. Toutefois, une partie des noyaux d’uranium contenus dans le combustible n’est pas fissionée, mais transformée en plutonium par l’absorption de neutrons, et également en éléments encore plus lourds par la suite. Ces éléments, appelés transuraniens, se trouvent dans le combustible épuisé d’un réacteur à eau légère, et restent hautement radioactifs sur des centaines de milliers d’années, raison pour laquelle ces déchets doivent être finalement éliminés dans un dépôt en couche géologique profonde.
Désintégration des déchets
Les noyaux atomiques qui ne peuvent pas être scindés dans un réacteur à eau légère peuvent cependant être fissionés dans un système dit assisté par accélérateur (ADS) ou dans un réacteur rapide. Cependant, ces deux derniers systèmes n'existent pas encore et sont actuellement l'objet de recherche et développement.
Dans un système ADS on utilise un accélérateur pour produire un faisceau de protons de haute énergie (vitesse) dirigés ensuite sur une cible de métaux lourds. La collision des protons avec ces noyaux cibles provoque l’émission de neutrons rapides hors des noyaux, un processus appelé spallation. Les neutrons à haute énergie ainsi produits bombardent le combustible nucléaire usé d'une centrale nucléaire.
À la difference des neutrons relativement lents dans un réacteur à eau légère, ces nombreux neutrons hautement énergétiques ont une probabilité élevée de provoquer la fission des éléments transuraniens dans le combustible nucléaire. Ceux-ci sont donc scindés en isotopes plus légers qui restent hautement radioactifs moins longtemps. Ainsi, la durée sur laquelle les déchets radioactifs doivent être enterrés en couches géologiques profondes est ainsi réduite d’un facteur cent.
Avant d'être placé dans un système ADS, le combustible nucléaire usé doit être retraité. À cet effet, il doit être dissous et l'uranium en est extrait. Le traitement a essentiellement pour objectif de produire un combustible enrichi en transuraniens (le plutonium et en particulier les actinides mineurs).
Cet enrichissement est nécessaire pour que les transuraniens soient fissionés en isotopes ayant une demie-vie plus courte, tout en évitant qu’ils n’absorbent d’avantage de neutrons, ce qui se traduirait par une augmentation de l’inventaire d’actinides mineurs (Am, Cm, etc.) Après le traitement, ces actinides extrait sous forme de solution liquide doivent être reformés en éléments combustibles solides.
La formation de poussière : un problème
Le problème pour l’industrie est le suivant : la fabrication du combustible conventionnel (oxyde d’uranium) sous sa forme désirée, des pastilles, nécessite la réduction sous frome de poudredu matériau de départ. Celle-ci est alors pressée et usinée. Ces processus entraînent notamment la formation de poussière, ce qui dans le cas de l’oxyde d’uranium ne pose pas de problème : en tant que combustible fraîchement produit, il est en effet peu radioactif et sa manipulation est simple.
En revanche, cela n’est plus vrai une fois que le combustible est enrichi en transuraniens : il contient alors aussi des éléments hautement radioactifs et son retraitement doit se faire dans des enceintes spécialement protégées, appelées cellules chaudes, où il est possible de manipuler à distance les matériaux hautement radioactifs. le fait de procéder de la même manière avec ce combustible irradié qu’avec de l’oxide d’uranium frais générerait de la poussière hautement radioctive qui contaminerait la cellule chaude. Une décontamination de ces enceintes serait possible, mais trop longue et coûteuse. Cependant, que se passerait-il si l’on pouvait fabriquer et retraiter le combustible sans avoir à le réduire en poudre, à le presser et l’usiner ?
Des billes à la place des pastilles
Le combustible en particules sphériques offre précisément cette possibilité. Lors de sa fabrication, le matériau combustible est disponible sous forme de solution aqueuse, jusqu’à ce que les billes (gouttes de petite taille) soient constituées : ceci exclut d’emblée toute production de poussière. Le point de départ du processus de fabrication est un mélange liquide. Il contient le combustible proprement dit, ainsi que des substances qui servent de structure (matrice) à ce dernier. Lorsque le mélange liquide est chauffé, il s’ensuit une modification de son degré d’acidité, ce qui force la formation d’un gel. Ce dernier est ensuite fritté, et le combustible adopte alors sa consistance céramique définitive. Les billes peuvent ensuite être empilées dans la gaine cylindrique d’une barre de combustible, de la même manière que l’on remplit aujourd’hui les gaines de pastilles. Tout au long du processus, la formation de poussière est minimisée. De nombreux tests d’irradiation conduits dans différents pays ont montré que le comportement d’un combustible fabriqué de cette manière satisfait aux exigences de sécurité d’une centrale nucléaire.
Des micro-ondes à la place de l’huile silicone
Toutefois, la fabrication des billes de combustible rencontre une difficulté, du moins dans la façon dont elle a été conçue jusqu’à aujourd’hui. Dans le concept conventionnel, le chauffage du liquide de départ par lequel le gel se forme est fait dans un bain d’huile silicone. Or, en entrant en contact avec le combustible radioactif, cette huile devient contaminée et doit donc être éliminée comme déchet radioactif, ce qui entraîne de gros investissements. En d’autres termes : la formation de poussière radioactive serait remplacée par une production d’huile radioactive.
Renoncer à l’huile comme caloporteur pourrait représenter une solution à ce dilemme. C’est précisément ce que les chercheurs du PSI tentent en misant sur les micro-ondes comme source d’énergie pour élever la température du liquide de départ et provoquer sa gélification. Manuel Pouchon, physicien et chercheur au Laboratoire pour les Matériaux Nucléaires au PSI, explique le principe : « Dans une cavité micro-ondes, les gouttelettes de liquide en train de tomber sont chauffées avec une rapidité et une précision telles qu’en moins de quelques dixièmes de secondes, elles se densifient pour former des billes de gel, sans pour autant que l’échauffement risque de les détruire. » Manuel Pouchon et ses collaborateurs ont déjà testé l’idée avec succès, mais pas avec du carburant réel, qui serait fortement radioactif et ne pourrait être manipulé que dans une boîte à gants ou dans une cellule chaude. A la place, les chercheurs ont utilisé du cérium, car ses propriétés chimiques présentent de nombreuses similitudes avec les actinides.
Les étapes suivantes
Les travaux menés jusqu’ici ont apporté la preuve de la précision et de la fiabilité fonctionnelles de la cavité micro-ondes développée en interne spécialement à cet effet. La reproductibilité de la gélification de billes de la taille désirée a également déjà fonctionné. Comme l’explique Manuel Pouchon, il s’agit maintenant de tester la gélification à petite échelle avec du combustible réel, donc radioactif, à la place des oxydes de cérium, ce qui nécessitera un ajustement fin des processus chimiques. Par ailleurs, il reste encore à prouver que les micro-ondes nécessaires au procédé peuvent être efficacement introduites dans une boîte à gants ou une cellule chaude. Les scientifiques du PSI se penchent actuellement sur ces questions, tant fondamentales que techniques, dans le cadre de trois différents projets de recherche. L’un d’entre eux est financé par le Centre de compétence en énergie et mobilité (CCEM) du Domaine des Écoles polytechniques fédérales et les deux autrespar l’Union européenne. Si le concept est bien démontré dans le laboratoire, l'industrie serait responsable de la mise à l'échelle industrielle.
Auteur: Leonid Leiva
Contact
Dr. Manuel Pouchon, Laboratoire pour les matériaux nucléaires , Institut Paul Scherrer ,Téléphone: +41 56 310 22 45, E-Mail: manuel.pouchon@psi.ch