Les neutrons sont un instrument remarquable pour reproduire visuellement l’intérieur des objets sans les détruire. Ils représentent un complément à la radiographie aux rayons X, à laquelle on recourt le plus souvent.Toutefois, la radiographie neutronique reste cantonnée, la plupart du temps, aux laboratoires ou à certains sites de recherche fixes, car la production de neutrons nécessite des machines complexes, coûteuses et intransportables. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) cherchent à corriger la donne, avec une technique d’imagerie plus flexible basée sur des neutrons rapides.
Les neutrons -avec les protons- sont des composants des tous les noyaux atomiques, sauf ceux de la variante la plus légère de l’hydrogène. À l’inverse des protons, les neutrons sont neutre (pas de charge électrique), et ils sont aussi un peu plus légers. À l'extérieur d'un noyau atomique, le neutron libre est instable et sa durée de vie moyenne est un peu moins de 15 minutes. Des neutrons libres sont obtenûs à partir des réacteurs nucléaires ou des sources de spallation, dans lesquelles des protons issues de grands accélérateurs frappent une cible évaporant des neutrons.
À l’inverse des rayons X, les neutrons sont le plus absorbés par les matières organiques et les éléments chimiques légers. Ils conviennent donc notamment très bien lorsqu’il s’agit de reproduire visuellement des substances présentant une importante teneur en hydrogène. A la différence des rayons X, les neutrons renseignent sur la densité de ces échantillons, mais aussi sur la répartition exacte de leurs composants chimiques.
Toutefois, la radiographie neutronique reste cantonnée, la plupart du temps, aux laboratoires ou à certains sites de recherche fixes, car la production de neutrons nécessite des machines complexes, coûteuses et intransportables, comme les réacteurs à neutrons et les accélérateurs de particules. L’imagerie qui s’est établie est dite à neutrons froids ou thermiques – des neutrons dotés d’une énergie modérée. Des chercheurs du Laboratoire de thermohydraulique de l’Institut Paul Scherrer (PSI) cherchent à corriger la donne, avec une technique d’imagerie basée sur des neutrons rapides. Ils sont donc en train de construire un système d’imagerie neutronique, composé d’une source compacte de neutrons et de détecteurs de neutrons. Ces détecteurs, notamment, doivent pouvoir être produits à partir de matériaux bon marchés, comme le polyéthylène. L’imagerie neutronique mobile pourrait être alors possible, et utilisable sur place, dans des environnements où les questions de sécurité sont déterminantes.
Retour à la source
Premier obstacle : la production de neutrons rapides. Pour y parvenir, les scientifiques du PSI utilisent des atomes de deutérium. Le deutérium est une forme lourde (un isotope) d’hydrogène, et comme ce dernier, il ne comporte dans son noyau qu’un électron et un proton. Mais le noyau de deutérium comporte en plus un neutron, et c’est précisément ce neutron que les chercheurs cherchent à lui arracher à grande vitesse. A cet effet, ils utilisent en guise de cible une plaque contenant du deutérium, qu’ils bombardent d’atomes de deutérium également. Si l’atome de deutérium qui fait office de projectile touche un atome de deutérium de la plaque, il se produit une réaction de fusion nucléaire, qui libère des neutrons dotés d’une grande vitesse (et donc d’énergie). Grâce à cette méthode, il est possible de construire une source de 2 millimètres de diamètre seulement, qui met à disposition, pour de nombreuses applications, un faisceau neutronique suffisamment fin, et offre ainsi une résolution spatiale suffisante.
Comment faire pour attraper un neutron ?
Mais disposer d’un rayon de neutrons pour radiographier des échantillons n’est pas tout : il faut aussi un détecteur, qui mesure les neutrons que laisse passer l’échantillon. Or la construction d’un détecteur de neutrons efficace est une tâche au moins aussi complexe que celle d’une bonne source. Rappelons que les neutrons n’ont pas de charge électrique, et donc qu’ils ignorent les forces électromagnétiques. C’est précisément pour cette raison qu’ils peuvent traverser les échantillons aussi facilement. Mais c’est aussi pour cela qu’ils sont si difficiles à détecter. La détection de neutrons est donc basée sur une réaction entre les neutrons et les noyaux atomiques du matériau analysé. Lors de ces réactions, les neutrons sont soit absorbés, soit détournés de leur trajectoire d’origine.
Dans le détecteur des chercheurs du PSI, c’est un film synthétique (en polyéthylène) qui fait office de premier jalon dans cette chaîne de vérification : les neutrons transmettent ici une partie de leur énergie à des protons. Ce phénomène se produit lorsque les neutrons entrent en collision avec les noyaux d’hydrogène (protons). Comme le polyéthylène est un matériau à haute teneur en hydrogène, de très nombreux protons se font alors projeter au loin, comme des boules de billard. Ils foncent ensuite dans un mélange gazeux contenant du néon, et placé sous tension électrique, dont, à leur tour, ils extraient des électrons. Ces électrons libérés sont finalement détournés par un champ électrique vers les capteurs. La trajectoire des électrons dans le champ électrique est bien définie et connue. Si bien qu’il est possible de déduire, à partir du point d’impact dans le capteur, la direction d’où venaient les électrons. Cette affectation permet aux chercheurs de reconstruire une image en deux dimensions de l’objet radiographié.
Mesurer l’énergie pour « voir » la composition chimique
Mais avec les neutrons rapides, les scientifiques n’entendent pas seulement produire des images de leurs échantillons : ils veulent aussi voir leur composition chimique. Pour ce faire, il faut mesurer l’énergie avec laquelle les neutrons atteignent le détecteur. Cette énergie est l’équivalent de l’empreinte digitale de l’échantillon, car chaque élément chimique freine ou détourne les neutrons avec une force différente. Autrement dit, les neutrons quittent l’échantillon et atteignent ensuite les détecteurs avec une énergie différente, suivant les éléments avec lesquels ils sont entrés en contact. La mesure du spectre énergétique des neutrons permet donc de déduire les éléments chimiques qui composent l’échantillon.
Pour mesurer l’énergie des neutrons, les scientifiques utilisent une construction de détecteurs, que l’on peut imaginer comme un « tamis à échelons ». Le long du détecteur, les protons extraits par les neutrons sont en effet « tamisés » à différents postes, en fonction de leur énergie cinétique. Les protons lents (pauvres en énergie) sont stoppés à la surface du détecteur tournée vers l’échantillon, alors que les protons rapides (riches en énergie) s’immobilisent plus loin, dans le corps du détecteur. Des feuilles d’aluminium, collées au verso de chaque couche de polyéthylène, sont utilisées ici pour absorber les neutrons. Ce tamis a différents échelons, car l’épaisseur des couches absorbantes augmente au fur et à mesure que l’on s’avance vers le cœur du détecteur. Cela permet de s’assurer qu’au-delà de chaque couche, il ne reste que des protons dotés d’une énergie minimum donnée, alors que tous les autres seront absorbés dans les couches, de plus en plus épaisses.
Les explosifs ne peuvent plus jouer à cache-cache
Avec cette capacité d’identifier la composition chimique d’un échantillon, les chercheurs fournissent aux autorités de sécurité un instrument utile, qui permet d’identifier désormais le danger qui se cache dans un container ou une valise, indépendamment de son aspect. Une arme à feu est trahie par ses contours, alors qu’un explosif peut se dissimuler dans un récipient d’apparence banale. Mais les explosifs ont tous une signature chimique, qui les trahit sans ambiguïté. La nouvelle technologie les empêchera donc désormais de passer inaperçus, même dans une banale bouteille en PET. Et comme les neutrons rapides pénètrent plus facilement dans de gros volumes que les neutrons froids ou thermiques, ils peuvent fournir aussi de meilleures images, par exemple de l’intérieur d’un container ou d’un camion suspect.
Hormis cette application dans le domaine de la sécurité, les chercheurs pensent aussi pouvoir améliorer la sécurité dans les centrales nucléaires grâce aux neutrons rapides, notamment dans les situations impliquant de grandes quantités d’eau. L’eau est en effet l’un des meilleurs absorbeurs de neutrons. Quand ces derniers n’ont que peu d’énergie, un réservoir d’eau d’une certaine taille suffit pour les « avaler ». Mais ce n’est pas le cas des neutrons rapides, qui ne se laissent pas si facilement stopper.
Les chercheurs se concentrent aussi sur certains processus rapides, comme la vaporisation de la couche d’eau de refroidissement autour des éléments combustibles dans un réacteur nucléaire en surchauffe. Comme le montrent des simulations, une source pulsée de neutrons rapides permettrait de visualiser ce genre de processus de manière beaucoup plus détaillée qu’aujourd’hui. Conséquence : cela permettrait d’optimiser les éléments combustibles, déjà au moment de leur conception.
Auteur: Leonid Leiva
Informations supplémentaires
Laboratoire de thermohydrauliqueRecherche basée sur des neutrons froids et thermiques au PSI