Eveiller la curiosité naturelle

Entretien avec Beat Henrich

Beat Heinrich, comment avez-vous découvert votre intérêt pour la physique ?

Beat Henrich, directeur de l'iLab, le laboratoire pour écoliers du PSI, face à un miroir parabolique, qui permet d'illustrer la transmission du son sur de grandes distances. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)
Des élèves du gymnase de Musegg, à Lucerne, calculent la vitesse du son à partir de leurs résultats de mesure. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)
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Lorsque j'étais enfant, j'avais affreusement peur dans le noir. Ma mère m'a donc expliqué d'où venaient les bruits qui me faisaient peur, comme le craquement de l'armoire : le bois bouge suivant la température, en raison de l'humidité qu'il contient, et craque. A partir de ce moment, j'ai toujours essayé de m'expliquer les choses en les explorant. C'est cet instinct de chercheur qui m'a amené à la physique.

Vous n'avez donc pas fréquenté de laboratoire pour écoliers, et vous êtes quand même devenu physicien. Pourquoi un iLab, alors ?

Je suis frappé de voir qu'aujourd'hui, les gens disposent de presque trop d'informations. Nous savons que nous pouvons tout googler, à tout moment. Comme théoriquement, nous avons déjà les informations, nous perdons le besoin de comprendre quelque chose. Au laboratoire pour écoliers, notre objectif est d'éveiller à nouveau cette curiosité naturelle.

Comment amenez-vous en salle de classe des choses aussi abstraites que les ondes sonores, le vide ou la lumière ?

L'aspect décisif, c'est que nous ne partons pas d'une formule, mais d'un exemple tiré du quotidien. L'idée est que les enfants apprennent à comprendre la physique au travers de relations logiques. Dans notre laboratoire, pour aborder le sujet de la lumière, par exemple, nous partons d'une feuille d'arbre. Pourquoi la voyons-nous verte ? Pour le découvrir, nous mesurons les composantes de la lumière émise par la feuille. Ce sont celles de la gamme du vert, car la feuille absorbe toutes les autres couleurs contenues dans la lumière du soleil, comme le rouge ou le bleu.

Qu'est-ce qui est important, pour vous, lorsque vous travaillez avec une classe ?

Notre objectif est de ne pas donner une tournure trop scolaire à la situation. Les salles sont donc agencées différemment. Les enfants travaillent par groupes de deux, afin qu'ils puissent développer leurs propres idées et chercher des explications. Comme en science, les hypothèses qui surgissent dans ce cadre sont parfois fausses. Exemple : la feuille est verte, parce que ses pigments verts absorbent la part verte de la lumière du soleil. Mais les enfants ont la possibilité de réfuter ces hypothèses erronées par la suite, dans le cadre d'une expérience. Je trouve très important de souligner les parallèles qui existent avec l'univers de la recherche, car, dans le cadre du laboratoire pour écoliers, j'aimerais aussi désamorcer les appréhensions que suscite le contact avec la science.

A quoi mesurez-vous le succès de votre démarche ?

A la fin de la journée, les élèves remplissent un questionnaire de feedback. Au niveau des retours, nous dépassons jusqu'ici clairement les résultats de l'étude PISA. Au bout d'une journée passée chez nous, plus de 75% des enfants, filles et garçons, ont affirmé trouver la physique passionnante. Dans l'étude de l'OCDE, normalement, ce taux est de tout juste 50%.

Mais je fais aussi de manière très directe l'expérience du succès de notre démarche, lorsque je recroise d'anciens élèves de l'iLab, devenus entre-temps étudiants aux PSI. Cela m'est déjà arrivé. Maintenant, j'attends de croiser le premier chercheur (rire).

Lorsque vous avez célébré le cinquième anniversaire de l'iLab, vous avez appelé de vos vœux des copies de ce concept. Pourquoi ?

Pour le PSI, l'iLab forge la relève. Il serait souhaitable que chaque canton ait son propre laboratoire pour écoliers. Tous les élèves de Suisse auraient alors accès à une offre de ce genre, à proximité de chez eux. La diversité thématique augmenterait, elle aussi. Nous espérons que cela inciterait les écoles à se rendre plus souvent dans ce genre de lieux d'apprentissage. Nous pourrions ainsi enthousiasmer plus d'élèves pour des branches comme les mathématiques, les sciences naturelles et la technique.

Pourquoi, à votre avis, l'idée du laboratoire pour écoliers n'est-elle pas encore aussi populaire en Suisse qu'en Allemagne ?

Dans ce type d'encouragement de la relève, notre voisin a fait œuvre de pionnier. L'Allemagne a donc de l'avance : on y dénombre déjà 300 laboratoires pour écoliers, alors que chez nous, on peut les compter sur les doigts d'une main. Cela vient aussi du fait qu'en Allemagne, des multinationales comme Bayer ou Siemens ont vite compris qu'elles allaient au-devant d'un problème de relève. Elles ont alors pris l'initiative. En Suisse, il semblerait que, pour ce genre de structure, l'argent et le temps manquent, aussi bien dans les institutions publiques de recherche, que dans l'industrie impliquée dans la recherche.

Avez-vous déjà été approché par des institutions désireuses de copier l'iLab ?

Pas directement pour le copier. Mais oui, en septembre dernier, nous avons reçu la visite du directeur du futur laboratoire pour écoliers de Roche. Le département de la formation professionnelle, chez Roche, aimerait mettre en place une structure comparable dans son niveau bâtiment de formation, qui est en train d'être construit à Kaiseraugst. Nous transmettons volontiers notre savoir-faire à d'autres : cala va des informations sur la gestion d'un laboratoire pour écoliers, aux documents et aux informations sur les appareils dévolus aux différentes thématiques.

Aujourd'hui, êtes-vous plutôt enseignant, ou plutôt physicien ?

Je suis incapable de trancher. Je suis un physicien enthousiaste. La décision d'assumer le poste de directeur de l'iLab, et de me retirer de la recherche, a donc été difficile, pour moi. Mais aujourd'hui, je suis très content de l'avoir prise. Car les yeux brillants des enfants, leur intérêt et leur flot de questions suscitent en moi le même sentiment que la reconnaissance, témoignée par des collègues scientifiques. Et enfin, si je peux montrer aux élèves à quoi ressemble l'univers de la recherche, c'est uniquement parce que j'ai travaillé comme physicien au PSI. Mon rêve, en tant que physicien et directeur de l'iLab, est donc d'exploiter dans le laboratoire pour écoliers un détecteur de processus ultrarapides, appelé détecteur à pixels. Le matériel de démonstration irait alors de la caméra ordinaire à la technologie des capteurs haute vitesse, utilisée au SwissFEL, avec laquelle, pour simplifier, nous pouvons photographier des molécules en train d'engager une liaison.

Entretien : Simone Nägeli


A propos de l'iLab

Le laboratoire pour écoliers a été ouvert en 2008 au PSI. Son objectif est de développer la curiosité des enfants et des jeunes pour certaines thématiques de sciences naturelles (les propriétés de la lumière, par exemple), et ce au travers d'expériences pratiques. La visite des installations de recherche, au PSI, permet par ailleurs de leur montrer à quoi servent ces connaissances et les métiers dans lesquels elles sont mises à profit.

Brève présentation de notre interlocuteur

Beat Henrich a grandi à Bâle et fait ses études de physique à l'Université de Bâle. Il a ensuite mené sa thèse de doctorat au PSI, et s'est spécialisé dans les méthodes de détection de particules chargées et de rayons X. C'est avec ses propres enfants qu'il a découvert sa passion pour l'enseignement. Il a suivi une formation pédagogique initiale, et enseigne au laboratoire pour écoliers du PSI, depuis son inauguration. Il dirige l'iLab depuis fin 2012.

Contact

Dr. Beat Henrich
Téléphone : +41 56 310 5357
e-mail : ilab@psi.ch
https://www.psi.ch/ilab/