Les agents doubles

Ils ont deux adresses électroniques, deux bureaux et des étagères pleines de dossiers à deux endroits: environ 60% des chercheurs au PSI sont en même temps professeurs ou chargés de cours dans une haute école de Suisse. Même si leurs calendriers sont parfois difficiles à gérer, finalement, le PSI comme les universités profitent de ces chercheurs avec double appartenance.

Frédéric Vogel soupire de manière un peu théâtrale: Chaque fois que je cherche à mettre la main sur un ouvrage bien précis parce que j’en ai besoin tout de suite, à tous les coups, il est dans mon autre bureau. Frédéric Vogel est chercheur au PSI. Mais il est aussi professeur à la Haute Ecole spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse (HES FHNW), à Brugg/Windisch (AG). Au PSI, il étudie comment produire du biométhane, et donc de l’énergie, à partir d’algues, de lisier et de boues d’épuration. Et entre les murs de l’autre institution, il donne des cours sur le génie des procédés et les énergies renouvelables. Son contrat de travail prévoit l’équivalent d’un poste à 50% pour chacune de ses deux tâches.

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Aux HES, les gens savent discuter avec les représentants de l’industrie et développer de vrais produits en commun. Cela enrichit aussi mon travail de recherche au PSI.
Maintenant, en termes de charges administratives, je dois aussi maîtriser les subtilités et les différences de deux institutions distinctes.
Frédéric Vogel

Connexions interhumaines

Frédéric Vogel n’est pas seul dans ce cas: environ 60% des quelque 800 chercheurs qui travaillent au PSI, sont titulaires d’une chaire de ce genre, gérée en commun avec une université ou une haute école de Suisse. Ce double statut leur permet de tisser un réseau subtil entre le PSI et les hautes écoles. Une toile dont les fils mesurent au total plus de 700 kilomètres. Ces liens sont invisibles et suivent le plus souvent le tracé des axes ferroviaires, parfois celui des axes routiers. Ils sont solides également: l’étroite collaboration, qui émerge lorsque la même personne se sent professionnellement chez elle sur deux sites, se réalise très rarement dans d’autres circonstances.

A l’instar des autres agents doubles, Frédéric Vogel connaît cet effet: Nous portons les sujets de recherche du PSI jusque dans les hautes écoles, dit-il. Nous faisons connaître les possibilités offertes par les grands appareils que nous avons au PSI.. Car les grands instruments de recherche du PSI, uniques en leur genre, sont à la disposition des scientifiques de toutes disciplines, notamment des universités suisses.

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Je travaille au PSI et à l’ETH Zurich, autrement dit dans deux institutions renommées. En combinant leurs ressources, nous pouvons faire de l’excellente recherche, mes collaborateurs et moi-même.
Mes deux cahiers des charges amènent chacun leur lot de courriels, de réunions et de travail de bureau. Comme tout est à double, je planifie très précisément mon temps de travail, et ce de bout en bout, pour que rien ne se perde.
Laura Heyderman

Evidemment, le lien fonctionne aussi dans l’autre sens: En tant que chargés de cours, nous ouvrons les portes du PSI aux étudiants, analyse Laura Heyderman, professeur ordinaire à l’ETH Zurich, mais également chercheuse au PSI. Mon enseignement me donne la possibilité de faire leur connaissance, et certains d’entre eux viennent par la suite au PSI – pour un stage, un travail de diplôme ou en tant que jeune chercheurs.

Ces bricoleurs de relève engagés, capables de penser à très petite comme à grande échelle, Laura Heyderman les accueille volontiers dans son groupe de recherche au PSI: la chercheuse et ses collaborateurs étudient le comportement de minuscules nano-aimants, qui pourraient servir un jour de matière première à une forme innovante de technologie informatique. Leurs expériences sophistiquées ont souvent lieu à la Source de Lumière Suisse (SLS), l’une des grandes installations de recherche du PSI.

Environ 60% des chercheurs au PSI assument en même temps des fonctions de professeur ou de chargé de cours dans une haute école.

Connexions ferroviaires

Au quotidien, le fait d’être professeur sur deux sites à la fois a aussi des aspects négatifs: Au niveau du travail de bureau, la charge est double: réunions, courriels, tâches administratives, résume Laura Heyderman. Mais dans le fond, le nomadisme inhérent à son travail, qui se joue dans deux institutions mais aussi entre les deux sites, lui plaît: J’ai toujours les documents dont j’ai besoin sur le moment dans mon sac à dos, raconte-t-elle. Le train est pour ainsi dire mon troisième bureau.

Le réseau ferroviaire suisse est mon allié, renchérit Christian Rüegg, directeur du Laboratoire de diffusion des neutrons et d’imagerie. Christian Rüegg est l’un des deux chercheurs du PSI qui voyagent jusqu’à Genève, où il est professeur titulaire à l’Université. Son domicile est à Aarau, soit entre ses deux lieux de travail. Malgré tout, il lui faut trois heures pour se rendre à Genève. Bien évidemment, je dois m’organiser en conséquence, dit-il. Il ne donne donc pas ses cours de manière hebdomadaire, mais en unités blocs comprimées une à deux fois par semestre.

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Les grands instruments de recherche du PSI sont aussi à la disposition des universités. L’institut abrite une infrastructure de recherche centralisée qu’aucune haute école ne pourrait fournir à elle seule.
Un aller simple en train jusqu’à Genève me prend trois heures. Je donc m’organiser en conséquence.
Christian Rüegg

Sa recherche au PSI est également organisée en blocs, si bien que les deux activités ne se gênent pas: un plan qui détaille l’ensemble de l’année est accroché dans son bureau et indique durant quelles semaines il pourra utiliser du temps de mesure à la grande source de neutrons SINQ du PSI avec ses collaborateurs. Christian Rüegg a besoin de son faisceau de neutrons pour les expériences qu’il mène sur certains matériaux magnétiques. Le PSI est connu, et c’est mérité, pour ces grandes installations de recherche, c’est un domaine dans lequel l’institution excelle et est exceptionnelle, souligne le chercheur. Non seulement on trouve ici ces installations et l’infrastructure qui va avec, mais aussi tous les experts nécessaires à leur construction et leur parfaite exploitation. Les différentes universités de Suisse ne peuvent pas se payer tout cela et, grâce au PSI, elles n’ont pas non plus à le faire.

Inversement, ces différentes hautes écoles abritent aussi des talents cachés: Les HES, par exemple, sont très fortes pour mettre en place des partenariats avec des entreprises de l’industrie, souligne Christian Rüegg. C’est une qualité dont je peux profiter également ici, au PSI. Les nombreux avantages compensent donc largement les obstacles au quotidien, estime-t-il, à l’instar des autres chercheurs à double statut du PSI. Des chercheurs qui continuent donc à tisser leur toile discrète et solide, dont peu de gens connaissent l’existence, mais qui profite à beaucoup de monde.

Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann