Les chasseurs d’aérosols du Jungfraujoch

Depuis plus de 25 ans, le PSI conduit une série de mesures continue au Jungfraujoch et étudie à 3580 mètres d’altitude l’influence des aérosols sur notre climat. Les mesures sont menées à l’Observatoire du Sphinx, l’emblème du Jungfraujoch inauguré en 1937. Il s’agit de la station de recherche la plus haute d’Europe, accessible toute l’année par le train, en l’occurrence le Chemin de Fer de la Jungfrau.

Le Jungfraujoch et son emblème caractéristique: l’Observatoire du Sphinx, inauguré en 1937. C’est là que se trouvent les instruments de mesure du PSI.
(Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)
Benjamin Brem dans son bureau au PSI. C’est ici qu’il passe au crible les données recueillies et véri-fie leur qualité, sans subir le mal des montagnes. Comme les mesures se font de manière automa-tique, les visites au Jungfraujoch se limitent à quelques travaux de calibrage et d’entretien.
(Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
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En 1995, le Laboratoire de chimie de l’atmosphère au PSI a démarré une série de mesures qui dure aujourd’hui encore, a permis d’acquérir nombre de nouvelles connaissances et nous fournit quotidiennement des données brutes toutes fraîches sur les aérosols. Cette année, une campagne de terrain particulière a lieu, dans le cadre de laquelle des chercheurs du monde entier se consacrent au bilan carbone dans l’atmosphère. Nous avons discuté avec Benjamin Brem, ingénieur en environnement dans le groupe de recherche Physique de l’atmosphère, et lui avons demandé comment fonctionne une série de mesures aussi longue et ce que les chercheurs espèrent tirer comme enseignements de l’actuelle campagne de terrain.

L’Institut Paul Scherrer conduit une série de mesures, entouré de la beauté des Alpes bernoises, avec vue sur le gigantesque courant de glace de l’Aletsch où plus d’un million de touristes affluent chaque année. Benjamin Brem, c’est un endroit de rêve pour travailler, non?

Benjamin Brem: C’est effectivement un endroit impressionnant. Surtout le soir, lorsque les touristes repartent vers la vallée avec le dernier train et que, d’un seul coup, le silence règne et l’isolement qui règne là-haut devient palpable. On est entouré de cette nature unique et lorsque le glacier disparaît pour laisser la place aux éboulis, on vit de près son équilibre fragile.

Dans la station, il règne un peu de l’esprit pionnier des années 1930. Les pièces avec leurs boiseries évoquent l’époque où les mesures ont commencé: les chercheurs faisaient alors encore leur baluchon et montaient tout là-haut pour y vivre et y effectuer des mesures.

Mais aujourd’hui, de tels séjours sont rares. Typiquement, nous nous rendons à la station seulement une fois par mois pour des travaux de calibrage et d’entretien. Les instruments de mesure sont automatisés et reliés en temps réel avec les serveurs au PSI. J’effectue donc la majeure partie de mon travail à mon ordinateur, au PSI. C’est ici que l’on passe au crible les données et que l’on contrôle leur qualité.

Le terme «aérosol» est surtout connu depuis la pandémie de coronavirus. Qu’est-ce que les aérosols ont à voir avec le climat?

Le terme aérosols couvre une réalité très large. Sur le plan scientifique, il est défini comme une solid or liquid particle suspended in a gas, autrement dit une particule liquide ou solide assez petite pour être en suspension dans l’air. Il peut s’agir, comme dans le cas de Covid, de minuscules gouttelettes porteuses du virus, mais cela peut être aussi des particules solides comme de la suie ou de la poussière du Sahara. Dans ces deux derniers cas, il s’agit d’aérosols qui ont un impact sur le climat et qui intéressent la recherche. Bien que ces particules soient très petites – de l’ordre du nanomètre et du micromètre –, lorsque leur présence est massive, elle peut influencer le climat. La suie, par exemple, est noire et absorbe donc la lumière du soleil incidente. Cette énergie est ensuite à nouveau restituée sous forme de chaleur, ce qui réchauffe l’atmosphère. Mais suivant la couleur, il peut aussi se produire l’inverse et les aérosols diffusent la lumière du soleil vers l’espace, ce qui refroidit l’atmosphère. Le rapport entre la diffusion et l’absorption est donc important pour notre climat et c’est l’objet de nos recherches.

Il s’agit donc de particules très petites, à peine visibles pour l’œil humain. Comment fait-on pour mesurer des particules aussi petites?

Les plus connues sont des mesures avec des filtres. On l’applique surtout pour les particules fines, qui sont aussi des aérosols. La méthode consiste à filtrer les particules qui se trouvent dans l’air pour ensuite étudier leur masse ou leurs propriétés chimiques. Notre méthodologie de mesures a évolué toujours plus vers le temps réel et le mesures in situ. Cela permet par exemple de déterminer le nombre de particules dans un volume donné, avec une résolution temporelle de moins d’une seconde. Nous sommes effectivement en mesure de constater dans nos données si quelqu’un a fumé à proximité de la station ou si un hélicoptère est passé. Tous ces évènements doivent donc évidemment être signalés dans le jeu de données.

De nombreuses propriétés des particules sont mesurées à l’aide de méthodes optiques. Mais lors des mesures à long terme, on applique aussi la spectrométrie de masse pour déterminer la composition chimique.

Le PSI mène depuis 27 ans une série de mesures au Jungfraujoch. Quel est le but d’observations à si long terme?

Nos mesures sont parties intégrante d’un réseau de recherche mondial et européen. A l’origine, ce réseau avait été fondé pour constater d’éventuels changements à long terme dans l’atmosphère. Comprendre de tels changements est très intéressant pour les autorités. Cela permet de déterminer si certaines décisions politiques, par exemple, ont influencé la pureté de l’air de manière positive.

Hormis les modèles climatiques, qui dépendent du calibrage de longues séries de données, les données en temps réel peuvent aussi être utilisées toujours plus souvent pour prédire la qualité de l’air et la météo. Nous avons par exemple reçu une demande du service météorologique allemand pour leur fournir des données sur les propriétés radiatives et les distributions de taille des particules de la poussière du Sahara. A présent, ils peuvent utiliser ces données pour leurs modèles, afin de prévoir l’influence de la poussière du Sahara sur la production d’énergie des installations photovoltaïques.

Notre recherche se prête bien également pour les études de cas dans lesquelles nous examinons par exemple comment les propriétés des aérosols qui sont liées au climat sont modifiées par le transport dans l'atmosphère ou encore comment les aérosols influencent la formation et les propriétés des nuages. La compréhension de ces processus est importante pour améliorer les modèles climatiques.

Quels avantages offre le site sur le Jungfraujoch pour vos mesures?

Par sa situation en haute altitude, le Jungfraujoch offre un environnement tout à fait particulier: il se trouve souvent dans ce qu’on appelle la troposphère libre. Intuitivement, on aurait tendance à penser que l’air chaud monte toujours plus haut. Cependant, en raison de la structure de la température de l’atmosphère, une limite naturelle s’installe à partir d’une certaine altitude. Vous connaissez peut-être ces nappes de brouillard élevé qui sont situées toujours au même endroit: c’est là que se termine la couche limite planétaire, c'est-à-dire la couche la plus basse de l’atmosphère directement à la surface de la planète Terre, et au-dessus commence la troposphère libre. Cette barrière thermique empêche l’échange entre la troposphère libre et l’air pollué de la vallée.

Toutefois, en cas de rayonnement solaire important pendant le semestre d’été, le sol peut se chauffer au point que des couches de l’atmosphère se détachent de la couche limite planétaire polluée et s’élèvent comme des bulles dans la troposphère libre.

C’est ce qui rend le Jungfraujoch si intéressant: d’un côté, nous pouvons mesurer en hiver comme de nuit la concentration européenne de fond en aérosols et, de l’autre, nous pouvons mesurer de jour et par hautes températures l’échange d’aérosols entre la couche limite planétaire et la troposphère libre.

Actuellement, vous et votre groupe de recherche êtes très occupés par une nouvelle campagne de terrain. De la mi-août à la mi-septembre, des chercheurs de différents pays se retrouvent au Jungfraujoch pour utiliser cette infrastructure unique en son genre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet?

Il s’agit d’un projet européen de recherche appelé ACTRIS (Aerosol, Clouds and Trace gases Research Infrastructure) qui est dédié à l’observation d’aérosols, de nuages et de gaz traces. Avec l’institut suisse de recherche Empa, l’Université de Lille en France et l’Université de York en Angleterre, nous essayons de dresser un bilan carbone aussi complet que possible pour les gaz traces et les particules dans notre atmosphère. L’entreprise slovène «Aerosol d.o.o.» et la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse sont elles aussi impliquées dans le projet pour tester leurs instruments de mesure.

Comme la campagne se déroule à la fin de l’été et que les températures sont relativement élevées, l’air de la couche limite planétaire monte pratiquement chaque jour jusqu’au Jungfraujoch. Cela permet de se faire une idée des processus de transport ainsi que de la composition chimique d’aérosols de carbone «jeunes» de la vallée. Nous disons qu’ils sont «jeunes» parce que ces particules sont proches de leur source. Si, en revanche, nous observons des particules qui ont été transportées au-dessus de la troposphère libre, comme par exemple la suie issue d’un feu de forêt au Portugal, celles-ci ont déjà vécu un cycle de vieillissement en raison de leur long séjour dans l’atmosphère et leur structure chimique s’est modifiée. Une comparaison entre aérosols «jeunes» et aérosols «vieux» montre comment les propriétés chimiques des aérosols de carbone changent dans l’atmosphère, ce qui permet de tirer des conclusions sur la durée de vie de ces particules. Enfin, nous pouvons intégrer ces connaissances dans nos modèles et donc mieux prédire les propriétés radiatives des aérosols.

Interview: Institut Paul Scherrer/Benjamin A. Senn


Portrait

La carrière de Benjamin Brem n’a pas immédiatement démarré dans l’univers académique: il a débuté par un apprentissage de mécanicien de précision. Lors d’une seconde formation, il a obtenu son diplôme d’ingénieur en biotechnologie, avant de faire son master en agronomie et biotechnologie à l’Université de l’Illinois aux Etats-Unis. Il a ensuite obtenu un doctorat en génie civil et environnemental, au cours duquel il s’est intéressé de près aux propriétés optiques des aérosols de carbone. En tant que postdoc et chef de projet au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa), qui fait partie du domaine des EPF comme le PSI, il a élaboré, en collaboration avec d’autres institutions, la première norme mondiale d’émission de particules fines pour l’aviation civile. En 2019, il a rejoint le PSI. Avec Nora Nowak, Pascal Schneider, Levi Folghera et Martin Gysel, il y gère

Informations supplémentaires

Contact

Dr Benjamin Tobias Brem
Laboratoire de chimie de l’atmosphère

Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 24  65, e-mail: benjamin.brem@psi.ch

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