Des informations concernant le climat des siècles passés sont conservées dans la glace des glaciers de l’Antarctique, du Groenland et des hautes montagnes. Un glacier se forme dans une région froide et riche en précipitions suite à l’accumulation au fil des ans de nouvelles couches de neige. Cette accumulation en surface entraîne une compression des couches sous-jacentes et contribue à la transformation de la neige en glace. C’est ainsi que des informations concernant les éruptions volcaniques, les tempêtes sahariennes, les feux de forêt, la pollution et même les températures du passé sont enregistrées dans la glace des glaciers.
Pour accéder à ces informations, les chercheurs du laboratoire de radiochimie et de chimie de l’environnement de l’institut Paul Scherrer se rendent régulièrement dans les massifs glaciaires qui se trouvent dans les Alpes suisses, l’Altaï en Asie centrale, l’Amérique du sud ou au Spitzberg, pour y prélever des carottes de glace. Une carotte de glace est un cylindre de glace obtenu par forage dans le glacier. Idéalement, elle est prélevée dans l’épaisseur totale du glacier (c’est à dire de la surface jusqu’au rocher sur lequel repose le glacier) par segments d’environ 70 cm de long. La carotte de glace doit ensuite être transportée congelée jusqu’au laboratoire à Villigen où elle pourra divulguer ses secrets à bon nombre de chercheurs.
Comprendre les secrets de la glace est toutefois difficile. Tout d’abord, la carotte de glace est débitée en plusieurs échantillons qui permettront aux chercheurs de déchiffrer différents aspects de l’histoire de l’atmosphère. Chaque chercheur ayant reçu un échantillon de la carotte de glace va commencer par le sectionner, dans une chambre froide à −20°C, en plusieurs milliers de fines tranches. Ces tranches seront ensuite fondues pour permettre l’analyse de leur composition chimique. Cette analyse révèlera l’évolution au cours du temps des quantités de substances, issues d’éruptions volcaniques ou de la production industrielle, présentent dans l’atmosphère.
La carotte de glace est caractérisée par différentes strates représentant chacune une période de temps. Avant l’analyse finale, une entreprise difficile attend les chercheurs. Ils doivent déterminer à quelle année appartient chaque strate : c’est la datation. Très souvent, il est possible, après l’analyse chimique de la carotte de glace, de compter les strates comme on le ferait pour les anneaux du tronc d’un arbre. En effet, les concentrations en éléments chimiques sont souvent plus élevées en été qu’en hiver. Les événements historiques documentés, tels que de violentes tempêtes ayant transporté le sable du Sahara jusque sur les glaciers, peuvent aussi être utiles. Dater la fin de la carotte de glace (c’est-à-dire la partie la plus vielle, celle proche du rocher) est souvent difficile. C’est pourquoi les chercheurs ont aussi recours à la technique de datation au carbone 14.
Les températures du passé
Une carotte de glace ne livre pas uniquement des informations sur la composition chimique passée de l’atmosphère. L’évolution des températures peut également laisser des traces dans la glace. L’oxygène dans les molécules d’eau de la glace (le O
dans H2O) est présent sous deux formes isotopiques : l’oxygène 16 (16O) et l’oxygène 18 (18O). Ce dernier est plus lourd c’est pourquoi les molécules d’eau contenant du 16O s’évaporent plus facilement et par conséquent la teneur en 16O est plus importante dans la vapeur que dans l’eau. En revanche, les molécules lourdes (contenant 18O condensent en premier. Le rapport entre la quantité de molécules légères et de molécules lourdes mesurée dans la glace peut donc dépendre de la température locale. Pour s’en assurer, il faut vérifier au cas par cas, car d’autres facteurs peuvent influencer le rapport entre les deux isotopes.
L’analyse de la carotte de glace prélevée en 2001 dans les montagnes sibériennes de l’Altaï par les chercheurs du PSI a fourni d’intéressants résultats concernant les changements climatiques ayant eu lieu dans les régions continentales de notre planète. L’évolution au cours du temps du rapport 18O/16O mesurée dans la glace, concordent avec l’évolution des températures mesurées dans cette région durant les 150 dernières années. De cette observation fut déduit qu’il était dans ce cas possible d’utiliser le rapport 18O/16O pour connaître l’évolution des températures plus loin dans le passé. Ainsi la carotte de glace de l’Altaï à permis de reconstruire l’évolution des températures jusque l’an 1250. Ces résultats ont permis aux chercheurs de tirer la conclusion suivante: dans l’Altaï, jusqu’en 1850, la température suivait les variations de l’activité solaire avec un retard d’environ 20 ans. Pour expliquer l’augmentation de la température observée après 1850, aux variations de l’activité solaire, il faut ajouter l’augmentation de la quantité de gaz à effet de serre que l’Homme rejette dans l’atmosphère.