Paré pour une euphorie d'attérissage lunaire

Interview de Thomas Huthwelker

L'institut Paul Scherrer ne recule devant aucun effort pour mettre à la disposition des chercheurs du monde entier une infrastructure adaptée à leurs besoins et leur permettant d'avancer dans leurs recherches. Dans cet esprit, des ingénieurs, techniciens, chercheurs avec des spécialisations les plus diverses travaillent main dans la main. Le physicien Thomas Huthwelker s'est également consacré à cette tâche. Ci-dessous l'interview parue dans la dernière édition du magazine PSI Fenster zur Forschung.

Monsieur Huthwelker , en fait les installations de l'institut Paul Scherrer sont très peu utilisées par les scientifiques de PSI, elles sont à la disposition de groupes de chercheurs du monde entier.


Effectivement l'exploitation des installations dont nous disposons est extrêmement complexe et exige des moyens considérables, raison pour laquelle il en existe que très peu dans le monde. Afin que tous les chercheurs puissent y avoir accès, nous établissons des calendriers bien précis.

Le candidat qui se présente chez nous a passé les diverses étapes d'une sélection stricte. Nous ne donnons suite qu'à des demandes dont la qualité scientifique est du plus haut niveau.

Vue sur le monochromateur du Phoenix. Des cristaux sont montés sur les blocs en cuivre qui filtrent la lumière de type rayon-X dans un domaine d'énergie bien précis. (Photo: Scanderbeg Sauer Photography)

En principe le PSI est doté de microscopes gigantesques

En effet, comme dans le cas d'un microscope électronique, les installations du PSI permettent d'observer et d'analyser des micro-structures tout en obtenant des informations complémentaires quant aux liaisons chimiques dans l'échantillon étudié. Les installations et instruments utilisés varient en fonction du matériel et du problème spécifique à étudier. La source de lumière suisse SLS, sur laquelle je travaille, est constituée de 18 lignes de faisceaux. La station de mesure Phoenix, dont je suis responsable, est installée sur l'une d'entre elles.

En règle générale, les chercheurs et chercheuses qui viennent au PSI ne disposent que de quelques jours pour pouvoir obtenir des résultats.

En effet il s'agit de situations extrêmes. La plupart d'entre eux travaillent de façon ininterrompue, jour et nuit, afin de pouvoir, dans le court laps de temps qui leur est imparti, collecter toutes les données dont ils ont besoin. Il m'arrive de m'adresser à eux en leur disant là ça suffit, allez vous reposer pendant quelques heures. Lorsqu'une bonne harmonie règne au sein d'un groupe de chercheurs et que les mesures effectuées leur permettent d'avancer sérieusement dans leurs recherches, ils se laissent gagner par une sorte d'euphorie proche de celle qui avait marqué l'atterrissage sur la lune.

Pouvez-vous nous dire de façon générale comment se déroulent les choses lorsque les scientifiques viennent chez vous pour effectuer leurs mesures ?

En fait nous intervenons surtout en amont, nous préparons pour ainsi dire le terrain. Un technicien prépare les supports adaptés aux échantillons. Des semaines à l'avance il prépare les plans, conçoit et construit tout le matériel nécessaire. Il lui arrive cependant de devoir improviser en l'espace de quelques heures lorsque certains plans qui lui ont été remis ne sont pas corrects. Il travaille en collaboration avec un ingénieur qui est lui responsable de toute la partie électronique et de la maintenance du détecteur. Le détecteur est l'une des pièces vitales de notre installation de mesure. Il enregistre les données à partir desquels seront calculées les images qui sont nécessaires aux utilisateurs pour pour poursuivre leurs travaux. Sans mes deux collaborateurs je serais souvent perdu.

La station de mesure Phoenix, dont vous avez la responsabilité, est toute récente. Pourtant vous ne savez faire face à toutes les demandes d'utilisateurs intéressés. Qu'a-t'elle de si particulier ?

Elle nous permet d'observer comment les atomes sont liés dans le matériel étudié. Ainsi, à titre d'exemple, nous sommes en mesure de déterminer le nombre d'atomes se trouvant à proximité d'un atome paticulier. Nous avons également la possibilité de vérifier comment un élément chimique est lié. Nous sommes souvent amenés à analyser des échantillons provenant de la recherche environnementale, pour lesquelles ces questions se posent systématiquement. Ainsi l'arsenic ou le chrome peuvent être toxiques dans certaines combinaisons alors qu'ils sont inoffensifs dans d'autres. Nous sommes surtout spécialisés pour les éléments légers tels que le sodium ou le magnésium. En Europe seuls le PSI et des installations équivalentes à Paris permettent une analyse aussi détaillée. Nous avons pour ainsi dire occupé une niche du marché. Même des chercheurs américains viennent effectuer leurs recherches au PSI.

Après leur départ restez-vous en contact avec les utilisateurs ?

A la fin de l'expérience nous supervisons les données acquises ensemble. L'exploitation proprement dite des données proprement dite est une tâche ardue. Des collaborations voient ainsi souvent le jour. Pour notre part, nous connaissons les conditions expérimentales dans lesquelles les expériences sont effectués, alors que les utilisateurs et utilisatrices sont des experts dans le domaine de recherche bien précis qui est le leur. Il y a donc un échange permanent de connaissances.

Comment réussissez-vous avec un calendrier aussi chargé à assurer tous les travaux de préparation nécessaires à l'arrivée de l'équipe de chercheurs suivante ?

L'adaptation des installations se fait entre le départ et l'arrivée de deux équipes. En parallèle nous effectuons des tests et assurons certains développements destinés aux équipes suivantes. Environ un tiers d'entre elles nous soumettent des programmes d'expérimentation pour lesquels nous devons développer des solutions spécifiques.

L'expérience standard existe-t-elle ?

Le standard est qu'une expérience standard n'existe pas. Certes, il arrive que nous ayons des échantillons standards pour lesquels notre station de mesure est conçue, mais cela ne se passe que qulques fois par année. Dans ces cas là, notre rythme de travail est plus détendu.

Comment percevez-vous votre rôle face à toutes ces activités de recherche ?

Nous sommes non seulement des scientifiques spécialisés dans un domaine bien précis, celui des rayonnements, mais nous sommes également des chercheurs mettant à disposition nos services. A notre niveau il faut non seulement être physicien mais également avoir temporairement vocation d'assistant. Nous jonglons en permanence entre nos activités de chercheurs et les services en tous genres que nous rendons aux utilisateurs. Bien évidemment cela est merveilleux lorsqu‘il en résulte de bonnes relations de coopération.

Bien que les demandes concernant Phoenix soient trois fois supérieures au temps à disposition, l'installation connaît des phases durant lesquelles elle n'est pas accessible aux utilisateurs.

L'activité de la source SLS est interrompue lorsque des travaux d'entretien et de maintenance sont effectués sur le synchrotron. Par ailleurs, en ce qui concerne Phoenix, nous partageons la ligne de faisceau avec un autre groupe de chercheurs, ainsi la station de mesure n'est à notre disposition que la moitié du temps.

Que faites vous au cours des mois durant lesquels il n'y a pas d'utilisateurs ?

Nous profitons de ces périodes pour effectuer des essais intensifs et pour poursuivre nos développements sur la station. Par ailleurs nous sommes contraints d'accorder une importance particulière à l'évolution des marchés car nous devons rester à la pointe de la technologie. Il ne faut pas oublier qu'il existe des synchrotrons concurrents en Europe et que nous nous devons de préserver et de défendre l'excellente réputation dont nous jouissons actuellement.

En 2007 vous avez lancé l'installation de la station de mesure Phoenix et celle-ci est opérationnelle depuis 2009. Quel est le temps restant à votre disposition pour vos propres recherches ?

Nous disposons d'environ 30% du temps pour nos propres recherches, mais lorsque des utilisateurs se présentent chez nous ils ont une priorité absolue. Pour ma part, je me consacre entre autres à l'étude de la précipitation de particules dans les liquides. Un sujet passionnant et très diversifié, comme le reste de mes tâches ici.

Brève présentation de notre interlocuteur

Le physicien Thomas Huthweiler a fait ses études à Bonn, puis a obtenu un doctorat à Mayence.
Son doctorat en poche, il a passé quelque temps auprès de l'ETH (école polytechnique de Zürich) pour ensuite poursuivre sa carrière au PSI. Il a développé puis installé la station de mesure Phoenix. Il en assure l'encadrement en tant que scientifique responsable de la ligne de faisceau. Au PSI, il poursuit des recherches dans le domaine de la chimie des surfaces et encadre les hôtes scientifiques dans leurs travaux de mesures effectués sur Phoenix.
Informations supplémentaires
Beamline Phoenix à la Source de Lumière Suisse SLS
User Office Soutien pour les utilisateurs externes des grandes installations scientifiques du PSI