S’attaquer à la racine d’un problème de santé global

Imad El Haddad analyse la composition chimique et l’impact sur la santé des particules fines au Center for Energy and Environmental Sciences de l’Institut Paul Scherrer PSI.

«Il y a une différence entre se tenir derrière le pot d’échappement d’un camion en respirant les gaz qu’il émet et être allongé au bord de la mer en inhalant de l’air salé.» Imad El Haddad, chercheur au Center for Energy and Environmental Sciences de l’Institut Paul Scherrer PSI, explique pourquoi la composition chimique des particules fines est déterminante pour la protection de la santé. © Institut Paul Scherrer PSI/Mahir Dzambegovic

Imad El Haddad, pour son 20e anniversaire, la revue spécialisée Atmospheric Chemistry and Physics a demandé à 20 éminents scientifiques spécialisés dans la recherche atmosphérique de présenter dans un article les tâches qu’ils considèrent actuellement comme prioritaires dans leur spécialité. Quelle a été votre réponse?

Imad El Haddad: Notre groupe a relevé que les prescriptions et les lois adoptées jusqu’ici pour réduire les teneurs en particules fines ne suffisent probablement plus. Par particules fines, nous entendons les minuscules particules qui flottent dans l’air.

Ces règles n’ont donc pas entraîné d’amélioration de la qualité de l’air?

Si, elles ont eu cet effet. Les règlementations en Europe et aux Etats-Unis ont permis de réduire fortement la pollution en particules fines liées aux émissions de l’industrie et du trafic. Toutefois, ce n’est pas uniquement la quantité de particules dans l’air qui pose un problème, mais aussi sa composition chimique. Même avec une concentration de particules fines similaire, il y a une différence entre se tenir derrière le pot d’échappement d’un camion en respirant les gaz qu’il émet et être allongé au bord de la mer en inhalant de l’air salé. Nous devrions donc distinguer les particules aérosols le plus nocives pour la santé. Cette différenciation revêt une importance croissante, car le réchauffement climatique entraîne une augmentation de la pollution en particules fines naturelles.

Réduire les particules nocives avec des mesures ciblées: Imad El Haddad, chercheur au PSI, décrit l’utilisation des données atmosphériques globales dans la lutte contre les particules fines. © Institut Paul Scherrer PSI/Mahir Dzambegovic et Imad El Haddad

Quelles sont les particules fines issues de sources naturelles?

Il s’agit par exemple de la poussière venue du désert ou de particules de suie émises par les incendies de forêt. Les émissions des végétaux, qui relâchent dans l’air des hydrocarbures comme les terpènes, augmentent elles aussi avec le stress climatique. Il est essentiel de quantifier ces particules et d’évaluer leur impact sur la santé, en particulier dans les pays industrialisés où leur part devient prépondérante par rapport aux émissions de particules fines d’origine humaine. Dans les régions en développement, comme en en Europe de l’Est, en Asie et en Afrique, ce sont en revanche les émissions d’origine anthropique qui constituent toujours le principal problème. Dans le monde, la pollution par particules fines continue de causer quelque sept millions de décès chaque année à. 90 % d’entre eux se produisent en Chine et en Inde.

La taille des particules ne joue-t-elle pas un rôle, elle aussi? Les plus petites d’entre elles peuvent en effet pénétrer profondément dans les poumons.

C’est exact, la taille de la particule est un facteur crucial: les petites particules, notamment celles d’une taille inférieure à 2,5 micromètres, peuvent pénétrer profondément dans les poumons et donc présenter des risques pour la santé. Mais la taille est étroitement liée à la composition. Si nous connaissons la composition chimique des particules, nous pouvons tirer également des conclusions sur leur taille. Par ailleurs, la composition nous fournit des informations sur les sources: les sulfates proviennent par exemple des centrales, et les composés azotés du trafic. C’est pourquoi il est si important de réglementer la composition des particules dans les prescriptions: cela permet de s’attaquer aux causes de la pollution environnementale . De cette manière, nous attaquons le problème à la racine, ce qui nous amènera probablement à investir moins d’argent dans le médical pour gérer les conséquences. D’autant plus que la médecine coûteuse n’est pas accessible à tous de la même manière. En revanche, les règles relatives aux particules fines aident tout le monde. 

Cet aspect social vous motive-t-il aussi pour mener ces recherches?

Absolument, la dimension sociale est ce qui me motive le plus dans mon travail. Si nous comprenons mieux la composition des particules fines, nous pouvons améliorer la santé publique et le bien-être, notamment en prévenant précocement les maladies grâce à un environnement plus propre pour tous. C’est la raison pour laquelle nous nous concentrons sur les causes profondes, comme la pollution de l’air. Nous menons également de vastes travaux de recherche dans des pays comme l’Inde, notamment à Delhi, une ville où vivent plus de 20 millions de personnes. La qualité de l’air peut y être très mauvaise: la teneur en particules fines y dépasse parfois d’un facteur 15 les valeurs considérées comme acceptables par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nos recherches montrent qu’une bonne partie de cette pollution provient de composés organiques émis lors de processus de combustion incomplets. En comprenant ces sources, nous pouvons travailler sur des solutions pour protéger les populations vulnérables des effets nocifs de la pollution de l’air sur la santé. 

Avez-vous pu identifier ces sources?

Hormis le trafic et la combustion de résidus agricoles, une grande partie des émissions organiques en Inde provient des ménages. En raison de la pauvreté, beaucoup de gens en Inde brûlent ce qu’ils trouvent – comme des bouses de vache séchées– pour cuisiner et se chauffer en hiver. Or la combustion de ces substances est inefficace, ce qui entraîne d’importantes émissions de composés organiques. 

Comment pourrait-on résoudre le problème?

Comme si souvent, la solution passe par des investissements financiers. Les cuisinières à gaz ou les voitures électriques, par exemple, restent trop chères pour la plupart des gens en Inde. Dans ce contexte, il est important que les stratégies de réduction de la pollution atmosphérique profitent également au climat. Actuellement, l’empreinte carbone d’un Indien moyen est cinq fois moindre que celle d’un Européen moyen. Compte tenu de la taille de la population en Inde, il est essentiel que le secteur de l’énergie se développe de manière durable afin d’améliorer à la fois la qualité de l’air et les conditions climatiques. Pour ce faire, nous devons considérer l’énergie, la qualité de l’air, le climat et la santé comme un tout interdépendant. Une collaboration étroite entre scientifiques à l’échelle mondiale et locale ainsi qu’un soutien financier important seront essentiels. Ce d’autant plus que les avantages d’une solution toucheront le monde entier. 

Dr Imad El-Haddad
PSI Center for Energy and Environmental Sciences
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 29 95
imad.el-haddad@psi.ch


Imad El Haddad, Danielle Vienneau, Kaspar R. Daellenbach, Robin Modini, Jay G. Slowik, Abhishek Upadhyay, Petros N. Vasilakos, David Bell, Kees de Hoogh, and Andre S. H. Prevot
Opinion: How will advances in aerosol science inform our understanding of the health impacts of outdoor particulate pollution?

Atmospheric Chemistry and Physics, 24, 11981–12011, 28.10.2024

Original publication