Simulations informatiques : un pilier essentiel de la sécurité des centrales nucléaires

Sans simulations numériques, l’exploitation des centrales nucléaires serait pratiquement impossible. Qu’il s’agisse d’intégrer de nouveaux composants ou de mener des tests et des essais visant à assurer la sûreté, presque tout doit être calculé et analysé par ordinateur au préalable. Au Laboratoire de physique des réacteurs et des comportements des systèmes, on développe à cet effet des modèles et des méthodologies de calcul numérique. Les chercheurs du PSI officient dans ce cadre en tant que partenaires de recherche indépendants de l’IFSN (Inspection fédérale de sécurité nucléaire), et fournissent ainsi une contribution importante pour assurer la sûreté et la sécurité des centrales nucléaires Suisses.

Hakim Ferroukhi dirige le groupe Comportement des cœurs de réacteur. Photo: Frank Reiser/ Institut Paul Scherrer.
Cette séquence d'images montre les variations de puissance qui sont caractéristiques d'une instabilité régionale. La puissance augmente dans une région (rouge) et diminue en même temps dans la région opposée (bleu) du coeur du réacteur. Le motif complexe tourne autour d'un axe mobile dans le coeur du réacteur. Source: Institut Paul Scherrer.
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Si l’on veut pouvoir apprécier la sûreté, il est très important de bien comprendre le comportement d’une centrale nucléaire en dehors des conditions d’exploitation normales. Pour ce faire, des simulations numériques sont indispensables. D’un côté, les modèles de calcul sont vérifiés à partir de données issues de mesures faites dans les centrales. De l’autre côté, on se sert surtout d’expériences menées dans des installations expérimentales afin de constituer des bases de données pour la vérification et la validation des codes de calcul, à l’instar par exemple, des nombreuses expériences qui se sont penchées et qui continuent de se pencher sur les scénarios de perte de réfrigérant du circuit primaire. Il s’agit d’un accident très rare mais déterminant pour la conception d’une centrale nucléaire. Grâce aux nombreuses données expérimentales disponibles, il peut à présent faire l’objet d’une modélisation numérique plus précise.

Hakim Ferroukhi et son équipe sont spécialisés dans la simulation de ce genre de phénomènes ainsi que d’autres événements qui se produisent lors de l’exploitation normale des réacteurs nucléaires. Hakim Ferroukhi, qui dirige le groupe Comportement des cœurs de réacteur au Laboratoire de physique des réacteurs et des comportements des systèmes au PSI, travaille depuis plusieurs années avec son équipe dans le cadre du programme STARS (voir ci-dessous), à développer et à qualifier des méthodologies de simulation numérique de pointe afin d’assurer un soutien aux évaluations de sureté des centrales nucléaires Suisses et d’adapter de façon continue ces méthodologies aux nouvelles exigences et aux nouveaux standards.

Le développement continu des technologies informatiques permet aux modèles et aux méthodes de calcul de devenir plus sophistiquées, donnant ainsi la possibilité de réaliser des simulations de plus en plus raffinées avec beaucoup plus de détails. Ainsi, par exemple, la simulation en trois dimensions (3-D) des cœurs de réacteur, c'est-à-dire avec une modélisation individuelle de chaque élément de combustible, représente aujourd’hui la norme en termes de technologie. De la sorte, il est possible de déterminer les marges de sécurité de chaque barre de combustible par rapport aux valeurs limites prescrites par la réglementation nucléaire. Evidemment, l’autorité de surveillance doit aussi être en mesure de maîtriser ce genre d’instruments modernes de simulation. En Suisse, la loi sur l’énergie nucléaire l’oblige à tenir compte des progrès et de l’évolution de ces technologies afin d’être en mesure de décider de l’autorisation d’un nouveau procédé ou d’un nouveau composant (modification d’installation) et donc de garantir à long terme, la sûreté des centrales.

Changement de paradigme : des modèles conservateurs aux modèles réalistes

Au fil du temps, les limites de faisabilité des simulations ont sans cesse avancé, impliquant des exigences croissantes sur l’exactitude et la fiabilité des évaluations de sûreté. Par le passé, les modèles de calcul utilisés pour ce genre d’évaluations étaient intentionnellement pessimistes (conservateurs). Autrement dit, du au manque de connaissances exactes sur les phénomènes et événements impliqués dans l’évolution d’un accident, on partait du principe de toujours maximiser les conséquences du point de vue de la sûreté en choisissant des valeurs pessimistes pour les modèles physiques incertains ainsi que pour les conditions initiales et limites. Mais cette façon de procéder pouvait entraîner parfois, par exemple dans le scénario de la perte de réfrigérant du circuit primaire, un surdimensionnement des systèmes de sécurité d’urgence de la centrale. Aujourd’hui, il est possible, grâce aux résultats de travaux de recherche internationaux de très grande ampleur, de comprendre avec plus de détails certains des phénomènes impliqués. Sur la base de ces nouvelles connaissances, on peut donc améliorer les méthodes d’analyse et permettre ainsi, une meilleure optimisation de la conception et de l’évaluation des différents composants d’une centrale nucléaire.

Depuis quelques années déjà, la tendance est aux modèles réalistes appelés « best-Estimâtes » (meilleure estimation) . Leur objectif est de décrire et de quantifier de manière aussi précise que possible, les processus qui se produisent dans le réacteur en utilisant des modèles et des hypothèses physiques qui approximent au mieux la réalité. Un des motifs important derrière cette évolution est que dans certains cas, spécialement pour des scenarios d’accident compliqués, l’approche pessimiste ne fournirait pas nécessairement des résultats pessimistes. Pour cette raison, on s’efforce donc d’avancer vers des simulations plus réalistes mais les résultats obtenus avec cette nouvelle approche doivent impérativement être complémentés par une évaluation rigoureuse des incertitudes associées à chaque calcul. Or, une deuxième difficulté est que dans les plupart des cas, ce genre de simulation détaillée ne peut être réalisé avec les programmes de calcul utilisés jusqu'à présent pour les analyses conservatrices. En effet, les interactions à plusieurs échelles spatiales et temporelles entre différents mécanismes physiques, traités séparément jusqu’ici, doivent maintenant être prises en compte et cela entraîne une complexité grandissante allant de pair avec le raffinement croissant du niveau de détail voulu.

Dans le passé, il était en effet courant de décrire les processus d’écoulement qui assurent le refroidissement du cœur du réacteur (la thermo-hydraulique) avec un code de calcul spécialisé seulement pour ce domaine de physique et utilisant des modèles simplifiés ou approximatifs pour tous les autres phénomènes physiques tels que le comportement des neutrons (neutronique). Pour étudier ce dernier en détail, on utilisait à la place et de façon autonome, un autre code de calcul spécialisé cette fois en neutronique c.à.d. avec des modèles simplifiés pour la thermo-hydraulique. De même, les interactions thermo-mécaniques entre combustible nucléaire et gaine d’élément combustible qui surviennent en raison de la dilatation du combustible nucléaire chauffé, étaient calculées séparément avec un autre programme informatique distinct. En d’autres termes, on avait à disposition des outils individuels spécialisés dans un domaine de physique particulier et contenant seulement, des descriptions plus ou moins simplifiées pour les processus physiques simulés par les autres outils.

Les modèles de calcul réalistes doivent donc simuler tous ces processus de manière combinée et c’est pour cela qu’une deuxième tendance majeure aujourd’hui est de développer ce que l’on nomme des schémas de calculs multi-physiques. Le principe est de développer des outils de calculs, soit individuels ou soit en forme de systèmes de codes interconnectés, qui tiennent compte et permettent de modéliser les interactions dynamiques entre différents processus physiques. La tâche est tout sauf simple car le déploiement d’un code intégré demande un très long processus de développement et de qualification. Il y va de même pour le développement d’un système de codes interconnectés mais dans ce cas, il faut en plus tenir compte du fait que la plupart de ces codes ont été mis au point isolément, souvent au cours de plusieurs décennies et pas dans la perspective d’un couplage ultérieur avec d’autres codes. Finalement, il ne faut pas oublier que l’utilisation de modèles réalistes avec des schémas de calculs multi-physiques implique aussi un élargissement considérable des incertitudes a prendre en compte dans le cadre des calculs.

En dépit de ces défis, l’équipe de Hakim Ferroukhi a développé au cours de ces dernières années, un nouveau système de codes interconnectés applicable à tous les types de réacteur opérants en Suisse et basé sur un couplage entre deux des outils les plus à la pointe en terme de neutronique et de thermo-hydraulique respectivement.

Simulation réussie d’une instabilité difficilement détectable

C’est avec ce genre d’instrument combiné que les chercheurs ont récemment atteint une étape importante en réussissant à simuler la survenue et la propagation d’une instabilité dite régionale dans le cœur d’un réacteur à eau bouillante. Ils ont également montré que cette simulation reproduisait de façon très précise les données expérimentales émanant du test dont il était question et qui avait été conduit dans une centrale nucléaire en exploitation.

Lorsque ce type d’instabilité survient, la puissance thermique produite n’est pas répartie de façon régulière sur tous les éléments combustibles. Plus précisément, des oscillations de puissance difficiles à détecter se produisent: alors que la puissance thermique augmente dans un groupe d’éléments combustibles, elle diminue en même temps dans tous les autres éléments combustibles situés dans la région opposée du cœur. De tels problèmes de stabilité surviennent dans des conditions très particulières, bien loin de la page de fonctionnement normale d’un réacteur. Mais si pour une raison transitoire, le réacteur venait à se retrouver dans cette région particulière du domaine de fonctionnement, ce genre d’instabilité pourrait se produire. Le risque serait alors que les oscillations de puissance ne soient pas identifiées à temps et cela pourrait entraîner une surchauffe des barres de combustible. Une prédiction correcte de ce phénomène représente donc une nécessité absolue mais impose des exigences particulièrement élevées pour les codes de calcul à cause d’interactions extrêmement serrées qui se produisent dans ce cas très particulier entre la neutronique et la thermo-hydraulique.

Les méthodes développées dans le cadre du programme STARS se sont donc avérées être en mesure de reproduire avec exactitude ce genre événements. Mais un autre gros avantage et que ces simulations ont permis de mieux identifier et de mieux comprendre certains des mécanismes fondamentaux qui guident l’évolution de ce type d’instabilité. Pour cette raison, les chercheurs sont convaincus que ce type de méthodologies avancées permettra progressivement de réaliser des analyses de sûreté de plus en plus précises et pour un nombre grandissant d’applications, ce qui représente évidement, un aspect essentiel pour un maintien sûr et économique de l’exploitation des centrales nucléaires.

En plus de l'élaboration de modèles réalistes couplés, les chercheurs de STARS sont aussi de plus en plus impliqués dans la conception de tests expérimentaux dans le cadre de grands programmes internationaux de recherche. L’objectif est de permettre a l’aide de modèles de calculs très sophistiquées, une plus grande précision dans la planification des tests afin de maximiser le niveau de réussite, tant dans le déroulement des manipulations que dans le domaine des connaissances et les leçons qui pourront en être tirées dans le but de soutenir une amélioration continue des analyses de sûreté nucléaire.

Auteur: Leonid Leiva

Toile de fond

Dans le cadre du programme STARS, les chercheurs du PSI collaborent surtout avec l’IFSN (Inspection fédérale de sécurité nucléaire) et avec comme objectif principal , de développer et de valider des méthodologies avancées de calculs réalistes, multi-physiques et avec quantification des incertitudes, pour tous les réacteurs Suisses. Au niveau international, STARS est principalement impliqué dans les projets de la commission Européenne sur la sureté des réacteurs à eau légère ainsi que dans les grands programmes de recherche coordonnées pas l’AIEA et l’OCDE/AEN.

En plus de l'élaboration des modèles réalistes couplés, les chercheurs sont impliqués dans la conception des meilleures expériences dans le contexte de STARS. Précisément parce que les accidents nucléaires se produisent très rarement, les informations et les connaissances obtenues à partir des quelques expériences réalisables sont très précieux. Des expériences mieux conçus contribuent à l'utilisation plus efficace des capacités disponibles pour cette tâche indispensable.

Informations supplémentaires
Site web du programme STARS
Contact
Dr. Hakim Ferroukhi, Chef du groupe Comportement des cœurs de réacteur,
Laboratoire de physique des réacteurs et des comportements des systèmes,
Institut Paul Scherrer,
Téléphone: +41 56 310 40 62,
E-Mail: hakim.ferroukhi@psi.ch