En 2013, lors de la construction du laser à rayons X à électrons libres SwissFEL, quelque cinq hectares ont été défrichés dans la forêt de Würenlingen et réaménagés afin de servir de nouvel habitat pour la faune et la flore. Des biologistes et des ingénieurs forestiers viennent de tirer un bilan intermédiaire du succès de ce projet de renaturation. Et ils sont enthousiastes. Le site héberge aujourd’hui d’innombrables espèces animales et végétales menacées, notamment le sonneur à ventre jaune et la mégachile des murailles, une abeille maçonne menacée d’extinction en Suisse.
Sous la butte de terre qui s’étire sur 800 mètres dans la forêt de Würenlingen, des chercheurs mènent des expériences avec des impulsions de rayons X afin de suivre, par exemple, le déroulement de processus extrêmement rapides comme l’apparition de nouvelles molécules lors de réactions chimiques. Mais sur la butte de terre et dans ses environs, il se passe des choses tout aussi passionnantes. Hormis l’hiver, verdure et floraison y vont bon train; et d’innombrables petites bêtes s’y faufilent, y volètent, y rampent et y bondissent. Grâce à certaines mesures de renaturation bien conçues, l’ancienne excavation s’est muée en paradis pour les amphibiens, les insectes et d’autres animaux. Elle est ainsi devenue un site d’observation idéal pour les amoureux de la nature.
«Une prairie située au cœur d’une forêt revêt une grande valeur écologique», souligne Tobias Liechti, ingénieur forestier. Son bureau d’études Sieber & Liechti effectue régulièrement des suivis pour le compte du PSI. «C’est le cas par exemple pour les coléoptères qui pondent leurs œufs dans le bois, mais se nourrissent de pollen, poursuit-il. Ils ont besoin des deux: de la forêt et de la prairie.» Tobias Liechti est enthousiasmé par le projet de renaturation au PSI. «Il est rare qu’en Suisse, une parcelle de cette taille soit renaturée, qui plus est en forêt, relève-t-il. C’est unique.»
C’est la société creato, une coopérative de planification dans le domaine de l’environnement, qui élaboré en son temps le concept pour intégrer le SwissFEL dans son environnement en visant le maximum en termes de valeur écologique. Sur ce terrain de cinq hectares, une mosaïques d’habitats pour animaux et végétaux a ainsi vu le jour: prairies maigres, remblais, mares, lentilles de sable et bien d’autres aménagements. Le cinquième rapport de suivi de Sieber & Liechti atteste que le projet est une réussite sur toute la ligne et qu’il a attiré beaucoup de nouveaux habitants.
Un paradis pour les abeilles sauvages
Lors de ses fréquentes inspections du site autour du SwissFEL, une spécialiste de ces insectes a recensé 76 espèces d’abeilles sauvages. «Cela représente 10 % de toutes les espèces que l’on trouve en Suisse», souligne Tobias Liechti. Dix-sept d’entre elles sont même sur la Liste rouge.
Les fait que la mégachile des murailles figure parmi les nouveaux habitants représente un succès tout particulier. Cette abeille sauvage est menacée de disparition en Suisse: il n’en existe plus que quelques populations en Valais et dans le Nord-Est de la Suisse. Pour une seule descendante, cette abeille maçonne a besoin du pollen et du nectar de plus de 1000 fleurs d’esparcette (ou sainfoin), une plante aux fleurs rose-violet de la même famille que le trèfle qui n’est pratiquement plus cultivée en telles quantités en Suisse. C’est le tapis d’esparcettes planté dans les environs du SwissFEL qui a permis à la mégachile des murailles de constituer une population sur ce site, en lui offrant suffisamment de nourriture pour elle-même et sa descendance.
Contrairement aux abeilles mellifères, les abeilles sauvages sont des solitaires qui nidifient seules, par exemple sur le sol. D’autres construisent un nid en argile. Le PSI a fait aménager précisément à cet effet des lentilles de sable qui sont sans cesses débarrassées des mauvaises herbes.
Des graines et des œufs venus d’ailleurs
Afin que le SwissFEL se couvre rapidement d’une prairie après sa construction, on a recouru à une méthode appelée enherbement direct. Pour ce faire, des prairies de grande valeur écologique à Villigen et Döttingen ont été fauchées et le produit cette tonte a été dispersé sur le site du SwissFEL. «De cette manière, on transfère non seulement les graines des végétaux, mais aussi des insectes, des araignées et des spores de champignons», détaille Tobias Liechti.
Comme le montrent les suivis, la méthode a été couronnée de succès. Une grande partie des végétaux qui poussent sur la butte proviennent de ces prairies sources, entre autres l’hélianthème commun, le cirse tubéreux, l’aspérule à l’esquinancie et la campanule agglomérée.
Actuellement, quelque 200 espèces végétales poussent sur le site. Les praires maigres occupent une partie de la superficie. En Suisse, ces prairies à faible apport en nutriments sont aujourd’hui particulièrement précieuses, car les végétaux sauvages qui y poussent peinent à s’établir sur des sols fertilisés et sont donc devenus rares dans le monde agricole moderne.
Mais les prairies maigres nécessitent beaucoup d’entretien: les espèces menacées ne peuvent y survivre que si on fauche régulièrement les parcelles, ce qui permet d’en évacuer les nutriments. Le PSI y veille et tient aussi en respect certains végétaux problématiques comme les ronces, qui sinon envahiraient tout. Au cours des premières années, une attention particulière doit être portée aux néophytes, ces plantes qui ne sont pas indigènes en Suisse et prolifèrent de manière incontrôlée dans le pays. C’est le cas par exemple du séneçon du Cap, originaire d’Afrique du Sud. Cette plante a été régulièrement arrachée. «Nous avons maintenant la situation bien en main», affirme Tobias Liechti.
Ça bondit et ça rampe de partout
Lorsqu’on arpente une prairie sur le site du SwissFEL, mieux vaut faire attention où l’on met les pieds: des sauterelles et autres criquets effrayés par les pas des visiteurs bondissent de tous côtés. Quatorze espèces d’orthoptères (un ordre qui regroupe les sauterelles, les criquets et les grillons) se sont déjà établies, ce qui, d’après Tobias Liechti, est plus que ce qu’on trouve en moyenne dans les prairies suisses. Il y a notamment le phanéroptère commun vert vif et le criquet mélodieux à robe brune, qui mesure 2,5 centimètres et émet le chant typique des cigales qu’on entend de loin.
De nombreuses espèces d’orthoptères sont probablement arrivées au SwissFEL avec les larves qui se trouvaient dans les prairies sources, relève Tobias Liechti. Mais pas toutes: le criquet italien s’est installé en Suisse en 2019, par exemple, et est arrivé au SwissFEL par ses propres moyens. «Ces criquets ont parcouru de nombreux kilomètres par voie aérienne, note le spécialiste. C’est fantastique, car chez nous, en Argovie, ils sont rares.» Cela montre que les animaux sont capables d’identifier un habitat qui leur convient, même si ce dernier est éloigné.
Du côté des reptiles également, estime Tobias Liechti, «il n’y a plus guère de vœux qui n’aient déjà été exaucés». Les lézards des murailles bruns et les lézards des souches verts sont nombreux. Les amateurs de serpents se réjouiront d’apprendre que des couleuvres à collier helvétiques, non venimeuses, se sont déjà reproduites sur le site du SwissFEL.
Visites de blaireaux, de renards et de sangliers
Certaines portions de la butte du SwissFEL ont été couvertes d’humus pour permettre à l’herbe de bien pousser à ces endroits. On y a également planté des buissons. Ces zones sont là pour permettre au gibier de passer en toute sécurité. Quatre caméras d’observation du gibier réalisent des clichés de tous les animaux ce qui franchissent la butte et ils sont nombreux. «Des cerfs passent ici presque tous les jours, raconte Markus Hossli, de l’exploitation forestière de Würenlingen, qui relève les caméras. Des renards, des blaireaux et même des sangliers passent aussi régulièrement devant nos objectifs.»
A la lisière ouest de la forêt, six petits étangs ont été aménagés. Des libellules voltigent au ras de leur surface, à l’instar de l’æschne mixte, une libellule bleue verte qui mesure six centimètres environ. «Le site abrite tellement d’insectes, que d’autres libellules, comme les gomphidés, viennent jusqu’ici depuis l’Aar pour chasser», explique Tobias Liechti.
Comme prévu, des amphibiens se sont aussi installés dans les mares: des grenouilles vertes, mais aussi des grenouilles rousses, des tritons alpestres, des tritons palmés et des crapauds communs. A la grande joie des protecteurs de la nature, même le sonneur à ventre jaune y a pris ses quartiers. Cette espèce gravement menacée en Suisse présente une face dorsale d’un marron discret, qui contraste avec son ventre d’un jaune intense tacheté de noir.
«Ici, dans le forêt de Würenlingen, Le PSI a généré d’importantes valeurs naturelles, résume Tobias Liechti. La marche du projet est vraiment exemplaire.» Un nouveau bilan est prévu dans cinq ans.
Texte: Institut Paul Scherrer/Brigitte Osterath
Droit à l'utilisation
Le PSI fournit gratuitement des images et/ou du matériel vidéo pour la couverture médiatique du contenu du texte ci-dessus. L'utilisation de ce matériel à d'autres fins n'est pas autorisée. Cela inclut également le transfert des images et du matériel vidéo dans des bases de données ainsi que la vente par des tiers.