Une recherche tournée vers l'avenir

Entretien avec Gabriel Aeppli

Gabriel Aeppli dirige depuis 2014 le département de recherche Rayonnement synchrotron et nanotech-nologie au PSI. Auparavant, ce Suisse d'origine a créé à Londres un centre de recherche de premier plan dans le domaine de la nanotechnologie. Dans cet entretien, Gabriel Aeppli explique les approches de recherche qui pourront être réalisées à l'avenir aux grands instruments de recherche du PSI. Il évoque aussi son regard sur la Suisse.

Le physicien Gabriel Aeppli dirige depuis avril 2014 le département de recherche Rayonnement synchro-tron et nanotechnologie (Photo : Scanderbeg Sauer Photography)

Gabriel Aeppli, les nouveaux matériaux destinés à l'électronique de l'avenir figurent au cœur de votre recherche. Quelles sont les lacunes de l'électronique actuelle ?

Le plus grand problème de l'électronique d'aujourd'hui, c'est sa consommation énergétique. Pour re-prendre une comparaison souvent citée, l'informatique produit plus de CO2 que le trafic aérien. J'ai même entendu dire que la dépense d'énergie d'une recherche un peu complexe sur Google correspondait à celle que nécessite la préparation d'un toast. Actuellement, l'augmentation de la consommation énergétique dans l'informatique est exponentielle. Trop d'énergie se retrouve transformée en chaleur. On peut transformer l'énergie en information ou en chaleur – actuellement, on en fait surtout de la chaleur.

Et comment gère-t-on un problème de ce genre ?

Dans ce domaine, le développement de nouveaux matériaux représente un pas important vers l'avenir. Je mène par exemple des recherches sur certains matériaux, qui présentent un comportement différent entre la surface et l'intérieur. Ils peuvent être métalliques à la surface et isolants à l'intérieur. A long terme, cela ouvre des possibilités d'application pour des composants nano-électriques, susceptibles d'être d'excellents conducteurs, pratiquement sans déperdition de chaleur. Pour l'étude de l'électronique existante, il est essentiel d'identifier les points faibles, de voir où se produit la déperdition d'énergie. Il faut se poser des questions comme : que se passe-t-il dans un circuit intégré, lorsqu'on fait commuter le transistor ? Dans quelle direction les électrons se déplacent-ils ? Et les atomes ?

Il faut donc aller du petit vers le tout petit ?

Il faut comprendre en détail le fonctionnement des composants électroniques. La recherche évolue de plus en plus dans le nanomonde et étudie le mode de fonctionnement d'unités entières et de systèmes, au niveau de leur articulation temporelle. On observe cette tendance dans tous les domaines de la recherche, de la biologie à la micro et à la nanoélectronique. Il n'est plus question de matière pure uniquement. Au cours des prochaines années, on étudiera de plus en plus des cellules biologiques ou des composants nano-électriques en action.

Cela suppose évidemment des installations de recherche à niveau.

La Source de Lumière Suisse (SLS) fournit aujourd'hui déjà des résultats de premier ordre. Mais évi-demment, l'actuelle construction du nouveau laser à rayons X SwissFEL représente une étape importante pour le PSI, tout comme le développement de la SLS, qui a été intégré à la Feuille de route suisse pour les infrastructures de recherche 2017-2020. En termes de technologie accélératrice, la SLS devrait ainsi se retrouver au top niveau et améliorer encore ses performances.

En quoi la future SLS se distinguera-t-elle de l'actuelle ?

La future SLS aura une brillance nettement plus élevée que la machine aujourd'hui en service. Ce sera possible principalement grâce à la miniaturisation des composants de l'anneau accélérateur, les aimants en particulier. Les composants peuvent être ainsi contrôlés de manière plus fine, ce qui permet de con-centrer davantage le faisceau d'électrons. Nous pensons que l'amélioration de la brillance atteindra deux ordres de grandeur. La miniaturisation des composants dans le développement des accélérateurs cyclo-trons est une tendance que l'on observe dans le monde entier.

Et quelles possibilités le SwissFEL offrira-t-il à la recherche à venir ?

Les multiples possibilités du SwissFEL sont dues à la résolution temporelle qu'il permet – de l'ordre de la femtoseconde –, mais aussi au fait qu'il n'inflige aucun dégât lié aux radiations. Une source lumineuse continue endommage l'échantillon, au fil du temps. Dans le cas du SwissFEL, les photons arrivent tous, très vite, en même temps sur l'échantillon. En d'autres termes, ils viennent et disparaissent, avant que le dommage ne puisse déployer ses effets.

Autrement dit, l'échantillon n'est même pas affecté...

Exactement. L'échantillon est détruit, ou au moins très endommagé, mais seulement après avoir été tra-versé par la lumière. Pour étudier le déroulement temporel d'un processus, il faut disposer de plusieurs copies identiques d'un échantillon, que l'on observe pendant les différents stades du processus. De ce fait, le SwissFEL est particulièrement bien adapté aux questionnements biologiques ou chimiques, car dans ces domaines, il est possible de produire des copies exactes de systèmes relativement complexes. En sciences de l'ingénieur, c'est un peu plus difficile. Il n'existe pas deux transistors parfaitement identiques.

Autrement dit, les grands instruments de recherche du PSI n'arrêtent jamais d'évoluer.

Oui, et c'est nécessaire. Prenez l'exemple des neurosciences. La résolution spatiale, dont on aurait besoin pour comprendre en détail l'architecture et le fonctionnement du cerveau, n'est pas encore assez bonne. Avec notre recherche au PSI, nous pouvons contribuer à améliorer les modèles informatiques actuels du cerveau. L'objectif, au final, serait de pouvoir observer les processus dans le cerveau en action. Mais on ignore encore comment le réaliser. Pourtant, à tout point de vue, les neurosciences sont un sujet très important, tant clinique que sociétal.

Cela permettrait d'améliorer les possibilités diagnostiques et thérapeutiques des maladies neuro-logiques ?

Oui. D'un côté, il y a la grande énigme : comment pensons-nous, qu'est-ce que notre conscience ? De l'autre, au niveau de la clinique, force est de constater qu'aujourd'hui, on comprend nettement moins bien les maladies neurologiques que le cancer ou les affections cardio-vasculaires. Pourtant, si on considère l'évolution démographique, les implications pour la société sont importantes, car les maladies neu-rodégénératives sont l'un des grands soucis d'une société vieillissante.

Un grand instrument de recherche est unique, mais d'un autre côté il existe de plus en plus d'installations du même type. Quelles relations ces sites entretiennent-ils entre eux ? La concur-rence est-elle forte ?

Bien sûr que nous sommes en compétition, mais c'est une concurrence saine. De plus, ces installations ne sont pas si nombreuses que cela. Personne ne peut se permettre de tout développer seul. Le déve-loppement d'installations est éminemment coopératif. Chacune de ces installations est partie intégrante d'une évolution mondiale. Nous sommes constamment en contact les uns avec les autres – c'est le bon côté – et nous apprenons les uns des autres. Les personnes impliquées ont beaucoup de plaisir à voir que partout, la technologie continue de se développer.

Vous êtes d'origine suisse, mais vous avez passé toute votre vie aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

C'est exact. Mais j'ai été toute ma vie en relation avec la Suisse. Avec mes parents, nous ne parlions que le suisse allemand à la maison. Enfant, j'ai passé plusieurs étés en Suisse, chez mes grands-parents. Professionnellement, également, j'ai souvent séjourné en Europe, et surtout en Suisse. Mais évidemment, la Suisse est un peu différente…

Différente, dans quelle mesure ?

D'une certaine manière, la Suisse est plus internationale que les grands pays d'Europe. L'Angleterre, la France et l'Allemagne sont tournées sur elles-mêmes. La Suisse ne peut pas se le permettre. En termes du nombre d'habitants, elle a la taille de Londres, autrement dit d'une grande ville européenne. En Chine, ce serait même une ville moyenne. Sans son orientation internationale, la Suisse ne serait pas compétitive, en raison de sa petite taille.

Entretien : Martina Gröschl


Portrait
Gabriel Aeppli (58 ans) dirige depuis avril 2014 le département de recherche Rayonnement synchrotron et nanotechnologie au PSI. Auparavant, ce spécialiste reconnu de la physique des solides a mis sur pied, au cœur de Londres, le London Centre for Nanotechnology, qui s'est rapidement hissé au rang de centre scientifique et technologique de premier ordre. Sa palette d'intérêts de recherche est large. Il est particulièrement connu pour ses travaux sur le magnétisme des systèmes désordonnés et sur les supra-conducteurs à haute température.