Comment les catalyseurs éliminent des oxydes d’azote dangereux

Les catalyseurs dits de la classe des zéolites contribuent à éliminer des oxydes d’azote toxiques des fumées industrielles. Des scientifiques de l’Institut Paul Scherrer PSI ont découvert que leur structure complexe, semée de pores de taille nanométrique, est déterminante et permet à des atomes de fer d’exercer leur fonction catalytique: des atomes de fer isolés situés dans des pores voisins communiquent entre eux et déclenchent ainsi la réaction souhaitée. 

Davide Ferri (à gauche) et Filippo Buttignol dans leur laboratoire, où ils ont analysée le mode de fonctionnement des catalyseurs à base de zéolite au moyen de la spectroscopie infrarouge. © Institut Paul Scherrer PSI/Mahir Dzambegovic

L’industrie émet des gaz nocifs pour l’être humain et l’environnement, qui ne peuvent pas être relâchés dans l’atmosphère. Parmi eux figurent le monoxyde d’azote et le protoxyde d’azote, connu également sous le nom de gaz hilarant. Ils peuvent apparaitre ensemble, par exemple lors de la fabrication d’engrais. Pour les éliminer des fumées industrielles, les entreprises concernées utilisent des catalyseurs basés sur ce qu’on appelle des zéolites. En collaboration avec l’entreprise chimique suisse CASALE SA, des scientifiques de l’Institut Paul Scherrer PSI viennent d’identifier précisément la manière dont ces catalyseurs neutralisent la combinaison de ces deux oxydes d’azote. Le résultat de leur étude a été publié dans la revue spécialisée Nature Catalysis et fournit des indices sur la façon dont les catalyseurs pourraient être améliorés à l’avenir.

Tout un zoo d’espèces de fer 

«L’entreprise CASALE, dont le siège est à Lugano, nous a contactés parce qu’ils voulaient mieux comprendre le mode de fonctionnement de leurs catalyseurs qui éliminent les oxydes d’azote», raconte Davide Ferri, chef du groupe de recherche Catalyse appliquée et spectroscopie au PSI Center for Energy and Environmental Sciences. Les zéolites utilisées dans ces catalyseurs sont des composés, dont la structure de type squelette est faite d’atomes d’aluminium, d’oxygène et de silicium. Les zéolites existent à l’état naturel – par exemple sous forme de minéraux dans les formations rocheuses – ou sont fabriqués de manière synthétique. Nombre de catalyseurs utilisés dans l’industrie sont basés sur ces composés, mais suivant le cas d’application, d’autres éléments sont ajoutés à leur structure de base.

Pour transformer les deux oxydes d'azote, le monoxyde d'azote (NO) et le protoxyde d'azote (N2O), en molécules inoffensives, la structure de la zéolithe contient du fer. «Mais ce fer se dépose sous toutes les formes possibles et imaginables dans les pores de différentes tailles de la structure de la zéolite», explique Filippo Buttignol, chercheur dans le groupe emmené par Davide Ferri. Il est l’auteur principal de la nouvelle étude et a fait sa thèse de doctorat dans ce cadre. «Le fer peut se déposer sous forme d’atomes isolés dans les petits espaces interstitiels de la zéolite, poursuit-il. Ou plusieurs atomes de fer peuvent former des liaisons chimiques avec des atomes d’oxygène et occuper les cavités un peu plus grandes du réseau régulier sous forme de clusters diatomiques, pluri-atomiques ou polyatomiques.» Bref, le catalyseur contient tout un zoo de différents composés du fer. «Nous voulions identifier laquelle parmi ces différentes espèces de fer était réellement responsable de la transformation chimique et donc de l'élimination des oxydes d’azote», dit-il. 

Ces chercheurs, des spécialistes des analyses spectroscopiques, savaient qu’ils devaient mener trois types d’expériences pour trouver la réponse. Ils les ont chaque fois conduites pendant le déroulement de la réaction catalytique dans leurs échantillons de zéolites. Ils ont d’abord utilisé la Source de Lumière Suisse SLS au PSI pour une analyse appelée spectroscopie d’absorption des rayons X. «Cela nous a permis de mesurer l’effet catalytique total de toutes les espèces de fer», explique Filippo Buttignol. Ensuite, en collaboration avec l’ETH Zurich, ils ont utilisé la méthode de la résonance de spin électronique, qui a permis de décomposer la contribution des différentes espèces de fer. Enfin, toujours au PSI, les scientifiques ont pu déterminer l’aspect moléculaire des différentes espèces de fer présentes à l’aide de la spectroscopie infrarouge.

Catalyseur: un matériau qui permet une réaction chimique. Sans lui, cette réaction chimique serait beaucoup plus difficile à obtenir. Dans le matériau du catalyseur, les différents atomes ou composés d’atomes peuvent passer d’un état chimique à l’autre (voir «Réaction d’oxydoréduction»), mais retrouvent toujours leur état initial. Ainsi, un catalyseur n’est ni consommé ni modifié durablement par l’utilisation.

Spectroscopie: lors des analyses spectroscopiques, on utilise la lumière visible ou une autre partie du spectre électromagnétique. Celui-ci inclut les composantes de la lumière invisibles pour l’être humain, à savoir les rayons UV et les rayons infrarouges, mais aussi les rayons X, les micro-ondes et d’autres domaines spectraux. Il existe de nombreuses méthodes d’analyse différentes, qui se distinguent les unes des autres dans les détails. Elles ont en commun le fait que la lumière interagit avec l’échantillon et que la réponse fournit des informations sur certains aspects ou certaines propriétés de l’échantillon.

Spectroscopie d’absorption des rayons X (XAS): pour cette analyse spectroscopique concrète, on utilise de la lumière de type rayons X. L’échantillon absorbe les différentes parties du spectre des rayons X, ce qui permet aux scientifiques de tirer des conclusions sur leur échantillon.

Résonance de spin électronique: l’échantillon est soumis à un champs magnétique tout en étant irradié en même temps par un rayonnement micro-onde.

Spectroscopie infrarouge: le domaine infrarouge du spectre lumineux permet d’exciter les vibrations ou les rotations des molécules. La spectroscopie infrarouge peut ainsi être utilisée pour déterminer quantitativement des substances connues ou pour élucider la structure de substances inconnues.

Tétraèdre: un tétraèdre est une pyramide dont la base et les trois autres faces sont des triangles.

Réaction d’oxydoréduction: le terme réaction d’oxydoréduction désigne la réaction de réduction-oxydation. Lors d’une réaction d’oxydoréduction, deux substances chimiques – un agent réducteur et un agent oxydant – échangent des électrons: le premier les cède, le second les absorbe.

Un modèle du catalyseur à base de zéolite: les billes noires représentent des atomes de silicium ou d’aluminium (un atome d’aluminium pour environ neuf atomes de silicium), les connecteurs transparents contiennent chacun un atome d’oxygène qui fait office de pont. Ensemble, ces trois types d’atomes forment une structure complexe mais régulière avec des pores de tailles diverses. © Institut Paul Scherrer PSI/Mahir Dzambegovic

La catalyse se produit au niveau des atomes isolés, qui communiquent entre eux

Chacune de ces trois méthodes a fourni une pièce du puzzle et permis d’obtenir l’image finale: la catalyse a lieu au niveau des atomes de fer isolés, qui se trouvent dans deux types très spécifiques de pores de la zéolite. Deux atomes de fer situés dans des pores voisins de la structure périodique agissent conjointement. L’un d’eux est situé au centre d’un arrangement carré, composé d’atomes d’oxygène de la zéolite, et c’est à son niveau que se produit la catalyse du protoxyde d’azote. Cet atome communique avec un autre atome de fer, entouré d’un arrangement tétraédrique d’oxygène, au niveau duquel réagit le NO.

« Ce n'est que dans cette constellation précise que nous voyons des contributions du fer à l'élimination chimique des deux gaz», conclut Filippo Buttignol. Ces atomes de fer cédaient chacun un électron avant de le reprendre. Autrement dit, c’est précisément à leur niveau que la réaction d’oxydoréduction, typique de la catalyse, se déroulait encore et encore. Ce mode de fonctionnement est caractéristique des catalyseurs, qui ne s’usent pas et ne sont pas modifiés durablement, mais reviennent encore et encore à leur état chimique de départ et, ce faisant, ont donc – du moins théoriquement – une durée de vie illimitée.

Eliminer efficacement les oxydes d’azote dangereux 

Davide Ferri résume l’importance de la nouvelle étude: «Le fait de savoir précisément où la réaction chimique se produit permet de contrôler en conséquence la fabrication des catalyseurs», souligne-t-il. 

La catalyse, et avec elle l’élimination du monoxyde d’azote et du protoxyde d’azote des fumées industrielles, est importante car ces gaz sont toxiques pour l’être humain. Ils sont par ailleurs nocifs pour l’environnement: le monoxyde d’azote est à l’origine des pluies acides, alors que le protoxyde d’azote a un tel effet sur le climat qu’une seule de ses molécules contribue près de 300 fois plus à l’effet de serre qu’une molécule de dioxyde de carbone.

Dr Davide Ferri
PSI Center for Energy and Environmental Sciences
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 27 81
davide.ferri@psi.ch  
[français, allemand, anglais, italien]

Dr Filippo Buttignol
PSI Center for Energy and Environmental Sciences
Institut Paul Scherrer PSI

+41 56 310 37 58
filippo.buttignol@psi.ch 
[anglais, italien]


F. Buttignol, J. W. A. Fischer, A. H. Clark, M. Elsener, A. Garbujo, P. Biasi, I. Czekaj, M. Nachtegaal, G. Jeschke, O. Kröcher and D. Ferri
Iron-catalyzed cooperative red-ox mechanism for the simultaneous conversion of nitrous oxide and nitric oxide
Nature Catalysis, 10.10.2024 (online)
DOI: 10.1038/s41929-024-01231-3


À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur des technologies d'avenir, énergie et climat, innovation santé ainsi que fondements de la nature. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2300 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 460 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). (Mise à jour: juin 2024)