Relever les défis de l’avenir, pour le trafic routier suisse, va surtout demander des efforts de recherche. Aux grandes installations du PSI, des chimistes et des ingénieurs étudient comment rendre les propulsions des véhicules plus efficaces et moins polluantes.
«Le système global des transports suisses en 2040 sera efficient à tous points de vue.» Tel est l’objectif stratégique du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). L’idée serait que le trafic pèse moins sur l’environnement, qu’il soit plus efficace et qu’il ménage le climat, précise encore l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Cela devrait permettre d’atteindre un objectif ambitieux: la Suisse vise la neutralité carbone d’ici à 2050.
Le défi est de taille. D’après le dernier Microrecensement mobilité et transports de 2015, toute personne vivant en Suisse parcourt quelque 24 850 kilomètres par an, voyages à l’étranger inclus. Si l’on se limite aux trajets effectués en Suisse, cela représente en moyenne près de 37 kilomètres parcourus chaque jour – et la tendance est à la hausse.
D’après l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), les trois quarts des émissions de gaz à effet de serre, dans le secteur des transports, sont dus aux véhicules individuels, aux poids lourds et aux bus. La réalisation de cet objectif dépendra donc, pour l’essentiel, des propulsions de ces différents moyens de transport. Leurs émissions de CO2 devront être réduites de manière radicale. Et c’est précisément à quoi travaillent les chercheurs au PSI.
Christian Bauer et Brian Cox, du Laboratoire d’analyse des systèmes énergétiques au PSI, ont déterminé, dans le cadre d’une étude, les quantités de gaz d’échappement – en particulier de gaz à effet de serre – que produisent actuellement les différents types de propulsions des véhicules individuels et les quantités qu’ils produiront en 2040, si l’on se fonde sur les tendances actuelles. Pour ce faire, ils ont considéré l’ensemble du cycle de vie des véhicules, de la production à l’élimination. Ces dernières années, ce sont surtout les véhicules diesels qui se sont retrouvés sous le feu des critiques, en raison des quantités importantes d’oxydes d’azote, nocifs pour la santé, qu’ils rejettent. Davide Ferri et Maarten Nachtegaal, chercheurs au PSI, ont découvert un moyen de réduire considérablement ces émissions. Aujourd’hui, nombre de véhicules diesels roulent déjà avec l’adjuvant connu sous le nom de marque AdBlue. Une fois injecté dans les gaz d’échappement, ce dernier est dégradé sous forme d’ammoniac, lequel réagit avec les oxydes d’azote grâce à un catalyseur. On obtient alors deux substances inoffensives: de l’azote et de l’eau. Toutefois, le principe ne fonctionne de manière efficace que si les gaz d’échappement atteignent une température supérieure à 200°C. Il reste donc beaucoup d’oxyde d’azote pendant les premières minutes de démarrage et lors des froides journées d’hiver.
Les chercheurs ont examiné le matériau catalytique (un composé cuivre-zéolithe) à la lumière concentrée de type rayons X de la Source de Lumière Suisse SLS. Ils ont découvert qu’à basses températures un excès d’ammoniac diminue la performance du cuivre. L’étude des chercheurs du PSI a finalement montré que, pour optimiser cette action, il fallait injecter différentes quantités d’ammoniac en fonction de la température et du moment d’utilisation. Cette méthode permet de réduire jusqu’à 90 % les émissions d’oxyde d’azote.
Néanmoins, le moteur diesel a toujours un effet négatif sur le climat – plus encore que le moteur à essence – en raison de sa grosse consommation de carburant. Pour réduire radicalement cet impact, d’autres technologies sont nécessaires, qui n’émettront, si possible, aucun gaz nocif.
Dans cette perspective, on pense naturellement aux moteurs électriques. Au PSI, d’importants efforts de recherche sont consentis en vue d’améliorer cette technologie, notamment son autonomie, et de remplacer bientôt, de manière adéquate, les moteurs diesels et à essence. Deux questions – auxquelles tentent de répondre les chercheurs du PSI – sont liées à la batterie de ces véhicules électriques: quel est l’électrolyte qui transmet le mieux la charge dans un accumulateur? Et pour atteindre une densité énergétique maximale, sans accroître le risque d’explosion de la batterie, quelle doit être la composition des électrodes? Résoudre ces deux interrogations permettrait déjà d’améliorer nettement l’autonomie des voitures électriques équipées de batteries lithium-ion classiques.
Dans le cadre d’un projet commun avec l’entreprise chimique BASF, une équipe menée par Sigita Trabesinger, chimiste au PSI, se consacre à la proportion de métaux de transition qui se trouve dans l’électrode positive, la cathode, de la batterie. Sigita Trabesinger cherche à connaître l’effet des variations de composition sur la stabilité et la sécurité de la batterie. La composition la plus courante est la suivante: différentes parts de nickel, de manganèse et de cobalt, d’où son abréviation en NMC. «Le but est d’augmenter la part de nickel et de réduire autant que possible celle de cobalt», explique Sigita Trabesinger.
Car, en plus d’être toxique, le cobalt est rare et cher. Il est extrait notamment au Congo, dans des conditions sociales et écologiques discutables. Par ailleurs, sur le plan technique, l’augmentation de la part de nickel aurait l’avantage d’améliorer la capacité de la cathode et l’autonomie de la voiture électrique. Idéalement, les chercheurs aimeraient pouvoir se passer complètement de cobalt dans un avenir proche.
Cependant, la composition NMC – avec plus de nickel et moins de cobalt – a tendance à être instable lorsqu’elle est exposée à l’air et, une fois dans la batterie, à être plus réactive que souhaité. Différentes astuces pourraient permettre de stabiliser les nouveaux matériaux. Les essais actuels impliquent l’ajout d’infimes quantités d’autres éléments ou encore des revêtements de surface ciblés. Sigita Trabesinger et ses collaborateurs utilisent des sources lumineuses ultra-précises aux grandes installations de recherche du PSI afin de déterminer pourquoi les électrodes deviennent instables sans ces astuces et afin d’identifier les modifications prometteuses.
Il se pourrait aussi que l’avenir du moteur électrique réside dans ce qu’on appelle les «batteries tout solide». Une batterie tout solide contient une céramique solide à la place de l’électrolyte liquide qui transfère la charge entre les électrodes. L’avantage de cette céramique provient du fait qu’elle est moins inflammable que les électrolytes liquides. La batterie tout solide résiste aussi à des températures et à des tensions élevées, même sans refroidissement. Elle peut donc théoriquement se charger plus vite et faire économiser l’espace qui serait occupé par le dispositif de refroidissement. Enfin, elle promet, elle aussi, une densité énergétique plus élevée que les batteries lithium-ion actuelles. Cependant, la mise en charge d’une telle batterie dure plus longtemps, car on ne peut la brancher que sur un courant d’intensité relativement faible.
Des chercheurs du PSI ont analysé le phénomène en détail grâce à ce qu’on appelle la «microscopie à tomographie aux rayons X». «En principe, cette méthode fonctionne comme un scanner d’hôpital, à la différence qu’à la SLS le flux de photons est plus important de plusieurs ordres de grandeur, explique Federica Marone, chercheuse spécialiste des lignes de faisceaux. Cela nous permet d’atteindre la résolution spatiale et temporelle nécessaire.» Pendant la charge, Federica Marone a pu observer avec une précision inégalée la formation de fissures dans une céramique à base de sulfure de lithium et de phosphore: les ions de lithium se fraient un chemin à travers une structure cristalline faite de particules d’étain, intégrées dans la céramique. Ils dilatent ces particules d’étain, dont le volume augmente alors jusqu’à 300%. Ce faisant, ils génèrent des fissures dans l’électrolyte environnant, qui gênent le flux des ions entre les électrodes. Certes, lors de la décharge, les fissures se referment, car l’électrolyte solide présente une certaine élasticité. Mais la limitation, lors de la charge, demeure. Cette compréhension du phénomène va faciliter la recherche d’autres matériaux électrolytes qui réagissent moins à la dilatation des particules d’étain. Néanmoins, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à la production en série de batteries tout solide d’une qualité irréprochable.
Les choses se présentent différemment dans le cas des piles à combustible. Comparées aux batteries, ces propulsions ont avant tout l’avantage de l’autonomie mais une efficacité énergétique moindre. «La technologie est mûre, affirme Thomas J. Schmidt, responsable du domaine de recherche Energie et environnement du PSI. Il n’y a plus guère d’obstacles. Il manque juste une volonté politique.»
Actuellement, on continue d’optimiser la pile à combustible. Là aussi, les chercheurs utilisent les procédés d’imagerie uniques dont dispose le PSI avec ses grandes installations de recherche. Jusque-là, en effet, on n’avait pas encore compris en détail les processus qui se jouent à l’intérieur des piles à combustible. Mais la radiographie neutronique et la tomographie aux rayons X du rayonnement synchrotron permettent maintenant de les scruter en profondeur pendant leur utilisation.
Dans une pile à combustible, il se produit une réaction que les écoliers découvrent en cours de chimie: deux gaz, l’hydrogène et l’oxygène, s’associent pour former de l’eau et libèrent alors de l’énergie. Ce processus se joue au niveau des deux couches catalytiques poreuses des électrodes, qui sont séparées l’une de l’autre par une membrane. D’une part, les deux gaz doivent diffuser à travers ces deux couches et, d’autre part, l’eau doit être évacuée. Ce dernier point, surtout, est important pour que la pile à combustible fonctionne bien. Sinon, l’eau bouche les pores des électrodes et empêche le passage des gaz. En hiver, lorsque l’eau gèle et se dilate, cela peut même occasionner des dégâts mécaniques. C’est pourquoi les chercheurs du PSI testent les moyens d’optimiser les flux d’eau et de gaz, en modifiant par exemple les composants poreux à l’intérieur de la pile à combustible.
La prochaine génération de piles à combustible devra – par une meilleure gestion de l’eau et par des catalyseurs optimisés – non seulement être plus résistante, mais aussi offrir une densité de courant plus élevée. «La densité de courant est surtout importante pour la flexibilité de la propulsion, explique Thomas J. Schmidt. Cet aspect a un impact direct sur la taille des systèmes de piles à combustible et donc sur leurs coûts.»
Ces progrès scientifiques trouvent un débouché dans la coopération avec la société Swiss Hydrogen (voir 5232, no 1/2018, p. 18), qui a équipé des voitures électriques classiques de piles à combustible. Celles-ci rechargent l’accumulateur pendant le trajet et améliorent ainsi l’autonomie du véhicule. Depuis 2017, la flotte de Coop teste un camion équipé de cette propulsion électrique à hydrogène.
En matière de propulsions alternatives, le gaz naturel est un sujet important. Certaines voitures roulent déjà au gaz naturel, carburant fossile qui fait mieux que l’essence ou le diesel en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. «Le méthane est le principal composant du gaz naturel, rappelle Oliver Kröcher, directeur du Laboratoire de bioénergie et de catalyse au PSI. Sur le plan chimique, il présente un rapport plus favorable entre hydrogène et carbone et un indice d’octane (qui définit le pouvoir antidétonant d’un carburant) plus élevé que l’essence et le diesel.» De ce fait, le gaz peut être davantage comprimé dans le moteur, et sa combustion est plus efficace. Certes, les émissions de CO2 sont moindres, mais le méthane non brûlé doit être éliminé des gaz d’échappement. Dans le laboratoire d’Oliver Kröcher, on étudie et on développe les cata-lyseurs nécessaires à cet effet.
Les moteurs à gaz fonctionnant au biométhane issu de la biomasse pourraient également présenter un intérêt. Ce biométhane est aussi appelé «gaz naturel de synthèse» (SNG). Comme son carbone a été d’abord soustrait à l’atmosphère, l’effet des émissions directes des véhicules sur le climat est pour ainsi dire neutre. Au PSI, on étudie différentes possibilités de production de biométhane.
L’une d’elles consiste à faire fermenter des déchets organiques. Dans le cadre d’un test de longue durée, une installation du PSI a déjà démontré que cette méthode se prêtait à une utilisation quotidienne. Le procédé est particulièrement efficace, car la fermentation ne produit pas seulement du méthane; elle permet aussi de convertir en méthane le dioxyde de carbone des gaz de fermentation par ajout d’hydrogène (voir 5232, no 1/2018, p. 16).
Mais, d’un point de vue écologique, l’ensemble de ce procédé n’a de sens que si l’hydrogène ajouté est issu des énergies renouvelables: par exemple, l’électrolyse. Le principe vaut également pour les piles à combustible. On mène aussi des recherches là-dessus au PSI: «Nous développons les matériaux adéquats qui fournissent une électrolyse efficace», explique Felix Büchi, responsable du Laboratoire d’électrochimie.
Dans certains de ces domaines, les chercheurs du PSI partagent leur expertise avec d’autres centres de recherche en Suisse, dont l’Empa, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche. «L’Empa est, pour nous, un partenaire compétent dans de nombreux projets», relève Thomas J. Schmidt. Le PSI et l’Empa collaborent avec d’autres instituts et d’autres hautes écoles de Suisse dans le cadre des pôles de compétence Heat and Electricity Storage et Mobility. Le second, comme son nom l’indique, se consacre à une mobilité efficace.
«Efficacité» est le maître-mot pour faire évoluer de nombreuses propulsions alternatives. Mais les experts recommandent de ne jamais perdre de vue l’ensemble du système des transports et sa rentabilité: «Au bout du compte, il s’agit de pouvoir se déplacer du point A au point B de manière aussi écologique et abordable que possible, rappelle Serge Biollaz, chef du groupe Processus thermiques au PSI. Pour ce faire, il faut enchaîner judicieusement nombre de solutions. Et, pour la mobilité du futur, nous n’avons pas besoin d’une seule technologie de propulsion mais de toute une palette. C’est seulement ainsi que nous atteindrons les objectifs suisses d’un système de transports efficace et peu émetteur de CO2.»
Texte: Jan Berndorff