Les piles à combustible à hydrogène sont considérées comme une technologie propre, et donc attrayante pour la conversion de l’énergie, notamment dans le domaine des transports. Mais certains obstacles technologiques doivent être encore surmontés avant qu’elles puissent s’imposer véritablement sur le marché. La durée de vie des piles est l’un de ces défis. Or, cette dernière dépend, entre autres, de la robustesse de la membrane polymère, qui fait office d’électrolyte à l’intérieur de la pile. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer (PSI) ont réussi à se faire une idée plus précise d’un mécanisme de vieillissement particulièrement courant de cette membrane.
Un électrolyte est une substance conductrice d’ions, c’est-à-dire d’atomes porteurs d’une charge électrique. Dans la pile à combustible à hydrogène, c’est une membrane polymère qui assure cette fonction. Elle sépare l’hydrogène et l’oxygène qui alimentent la pile, afin que ces gaz ne se mélangent pas. En tant qu’électrolyte, elle conduit les ions d’hydrogène chargés positivement (protons) de l’anode à la cathode de la pile. L’hydrogène qui alimente la pile n’est ionisé qu’une fois arrivé à l’anode (électrode négative de la pile). Les ions migrent ensuite à travers la membrane polymère vers la cathode (électrode positive), où ils réagissent avec l’oxygène. Ces réactions produisent du courant électrique et un sous-produit : de l’eau.
Le dilemme de l’eau
L’eau est donc omniprésente dans la pile à combustible. Elle représente 25% du poids total dans la membrane. Or, cette omniprésence est à double tranchant. D’un côté, l’eau augmente la conductivité du polymère, ce qui, de ce point de vue, fait d’elle un hôte bienvenu au niveau de la membrane. Mais de l’autre, l’humidité rend la membrane plus souple, qui amorce son processus de vieillissement. Des chercheurs du PSI ont maintenant montré que pour une pile à combustible à hydrogène, certains points faibles de la membrane représentaient souvent le début de la fin, et que ces mêmes points faibles étaient dus à des fluctuations de la teneur en eau, liées à l’utilisation de la pile. D’après les scientifiques, ce processus de vieillissement se présente comme suit : lors de l’utilisation typique marche-arrêt d’une pile à combustible, dans une voiture en trafic urbain, par exemple, la production de courant électrique fluctue. Il en résulte aussi une variation au niveau de la production de son sous-produit, l’eau. Les fluctuations du taux d’humidité (de la teneur en eau) font tour à tour gonfler et rétrécir la membrane, qui se déforme. Les chercheurs appellent ce processus « fluage ». Après de nombreux cycles d’utilisation, la membrane peut prendre, par endroits, la forme d’une chenille, comme le montrent les images aux rayons X. Or, à certains emplacements, cette « chenille » est soumise à d’importantes tensions, et donc susceptible de se rompre – la membrane étant prise en étau à l’intérieur de la pile. De fins « trous microscopiques » peuvent se former au niveau de ces points faibles. Ils sont d’abord trop petits pour causer des dégâts importants : typiquement, ils ne représentent en effet qu’un millionième de l’ensemble de la surface de la membrane, et à ce stade, leur impact sur la capacité de fonctionnement de la pile à combustible n’est pas encore mesurable.
Les trous d’aiguilles ne sont que le début d’un cercle vicieux
Mais ces petits trous microscopiques sont susceptibles d’induire d’autres problèmes. Ils forment des canaux par lesquels les molécules de gaz (hydrogène et oxygène) peuvent désormais franchir la membrane, à l’origine imperméable aux gaz. Des molécules d’hydrogène peuvent alors atteindre la cathode, où ils réagissent avec l’oxygène et forment des radicaux. Ces molécules extrêmement réactives attaquent la membrane. Résultat : les radicaux rompent la chaîne d’atomes de carbone qui forme la membrane polymère. Or, comme les chaînes courtes sont moins résistantes, la membrane cède plus facilement lorsqu’elle subit des tensions, et les trous s’agrandissent. Un cercle vicieux s’amorce : les trous agrandis laissent passer davantage de gaz, et les radicaux se multiplient. Pour finir, les trous dans la membrane sont tels que cette dernière laisse passer suffisamment de gaz pour déclencher une réaction de combustion d’oxygène et d’hydrogène. La chaleur qui s’en dégage peut faire fondre la membrane, et très vite, cette dernière cesse complètement de fonctionner. Les experts parlent de « mort subite ». Jusqu’ici, on n’avait pas établi de façon définitive si, dans pile à combustible, une membrane qui n’est plus imperméable au gaz pouvait subir une dégradation thermique (combustion). Le travail des chercheurs du PSI montre aujourd’hui qu’une combustion peut parfaitement se déclencher, et représente le stade final de la membrane dans le processus de vieillissement de la pile.
Microtomographie à rayons X et spectroscopie infrarouge : la SLS pour mieux comprendre
La thèse de doctorat de Stefan Kreitmeier s’articule autour des essais qui ont mis à jour ces éléments de connaissance. Doctorant au PSI, le chercheur a travaillé sur de petites découpes de membrane de piles à combustible disponibles dans le commerce. Il s’est servi de rayons ionisants pour les percer de trous microscopiques larges de 10 micromètres. Une intervention nécessaire pour des questions de délais, car en conditions normales, de tels trous n’apparaissent que très lentement dans une membrane. En termes de formes et de taille, ces trous artificiels étaient tous semblables, et la membrane n’a pas été autrement endommagée. C’est ce qu’ont confirmé des mesures par spectromicroscopie infrarouge et par microtomographie à rayons X, réalisées à la Source de la Lumière Suisse (SLS). La tomographie aux rayons X permet de générer des images 3D d’un échantillon : de nombreuses prises de vue sont réalisées à partir d’angles différents (grâce à une rotation de l'échantillon), et combinées les unes avec les autres. L’intensité des rayons X de la SLS permet de produire en quelques secondes des images en haute définition. La membrane artificiellement percée à été soumise à une série de cycles de charge standard, jusqu’à ce qu’elle cesse définitivement de fonctionner. Les chercheurs ont ensuite entrepris un travail forensique. Ils ont établi une carte en deux dimensions de la composition chimique des emplacements endommagés de la membrane. Ces cartes chimiques ont aussi été réalisées grâce à la spectroscopie infrarouge de la SLS, et ont fourni des éclaircissements décisifs sur le mécanisme de dégradation. Dans le voisinage des défectuosités, il a en effet été possible de détecter des molécules de polymère dégradées, qui absorbent la lumière infrarouge de manière particulièrement intense. La microtomographie aux rayons X de la SLS a permis une visualisation en 3D des défectuosités de la membrane « morte ». Les effets de la combustion, eux aussi, ont ainsi été mis en évidence.
Conséquence pour l’utilisation des piles à combustible
« Ces résultats pourraient avoir des conséquences pratiques pour l’utilisation des piles à combustible », explique Felix Büchi, directeur de groupe de recherche et superviseur de thèse de Stefan Kreitmeier. Les chercheurs ont découvert que la perméabilité au gaz des défectuosités diminuait si la température augmentait et si l’humidité diminuait. Autre point intéressant : suivant la taille de la défectuosité, les molécules d’eau peuvent boucher les trous, et donc rétablir l’imperméabilité de la membrane aux gaz. Le rôle à double tranchant de l’eau se confirme : elle est à la fois la cause et la solution de ce puzzle de la dégradation. A l’avenir, la question de la teneur optimale en humidité d’une pile à combustible devrait donc continuer d’occuper les chercheurs.