L’univers des microbes et des virus est extrêmement ancien et diversifié. À l’aide des grandes installations du PSI, les chercheurs scrutent en profondeur ce cosmos inconnu et explorent surtout les protéines de ces êtres exotiques.
Première forme de vie à apparaître sur notre planète voici 3,5 milliards d’années, les micro-organismes ont marqué la Terre comme aucune autre. Dans ce groupe bigarré se bousculent les représentants les plus divers: bactéries, archées, algues, levures, amibes ou encore certains parasites comme l’agent infectieux du paludisme (ou malaria). Une forme d’existence biologique reste pourtant exclue de cette multiplicité: les virus. Car ces derniers sont un cas limite entre le vivant et l’inerte. Comme ils n’ont pas de métabolisme propre, ils ont toujours besoin d’un hôte pour s’éveiller à la vie et se répliquer. La plupart des micro-organismes et des virus sont inoffensifs pour l’être humain; ils peuvent même lui être très utiles, par exemple pour digérer ou fabriquer certains aliments, épurer les eaux usées ou former de l’humus. Certains, en petit nombre, sont nocifs pour l’humain et l’animal, comme les agents pathogènes qui transmettent des maladies dangereuses.
Rien d’étonnant, donc, à ce que les chercheurs du PSI se penchent eux aussi sur les micro-organismes et les virus. Comme ces derniers sont minuscules – leur taille n’atteint parfois qu’un centième, voire un millième de l’épaisseur d’un cheveu humain –, il faut un grossissement extrême pour les étudier correctement avec leurs composants. Les microscopes ordinaires sont largement insuffisants. C’est pourquoi des scientifiques comme Gebhard Schertler, directeur du domaine de recherche Biologie et Chimie, et son équipe misent sur les grandes installations de recherche du PSI. Grâce à la lumière de type rayons X et à la lumière laser, la Source de Lumière Suisse SLS et le laser à rayons X à électrons libres SwissFEL offrent la possibilité d’observer précisément jusqu’au dernier atome les protéines et les biomolécules des micro-organismes, et donc de décrypter les propriétés de leurs structures.
Gebhard Schertler est chimiste et passionné par ce microcosme. Au cours de ses trente-cinq ans de carrière dans différents laboratoires, ce chercheur s’est abondamment penché sur des créatures minuscules: Escherichia coli, archées, baculovirus et autres. «Les microbes sont les bourreaux de travail de la biotechnologie, affirme-t-il en évoquant avec enthousiasme leur grande importance pour l’être humain. Certains d’entre eux sont composés d’une seule cellule. D’autres, appelés “biofilms”, existent sous forme de couches de cellules denses composées de micro-organismes. D’autres encore existent uniquement sous forme de minuscules particules.» Dans le domaine des biotechnologies et de la médecine, ils peuvent être utilisés comme des fabriques miniatures pour fournir certains produits à étudier: acides aminés, médicaments ou enzymes.
Des êtres unicellulaires avec capteur solaire
Dans les laboratoires du PSI, les chercheurs mènent des travaux impliquant les protéines des micro-organismes et des virus les plus divers. Notamment des fragments inoffensifs de l’une des plus puissantes toxines qui existent, la toxine botulique, qui permet, sous le nom de Botox, de soulager certaines maladies neurologiques ou de lisser les rides dans le secteur de la beauté. Roger Benoit, biophysicien, et son équipe ont utilisé la lumière de type rayons X de la SLS pour déterminer la structure d’un complexe protéique qui montre précisément comment la toxine se lie à une cellule nerveuse et bloque ensuite son activité. Leurs résultats pourraient se révéler utiles pour mettre au point des versions améliorées du Botox, présentant un moindre risque de surdosage que le médicament actuel.
Les installations du PSI permettent aux chercheurs non seulement d’élucider la structure rigide de certaines molécules, mais aussi de filmer leurs mouvements. Ils étudient ainsi les pompes ioniques complexes activées par la lumière de ce qu’on appelle les «archées extrémophiles», des micro-organismes capables de vivre dans les endroits les plus inhospitaliers de la Terre. Ces pompes servent de modèle aux chercheurs pour étudier, au SwissFEL par exemple, les modifications structurales et les processus métaboliques induits par la lumière de certaines protéines.
Séance de cinéma au SwissFEL
Tout récemment, Jörg Standfuss et son équipe ont élucidé, au SwissFEL, le fonctionnement d’une protéine chez un micro-organisme qui vit dans les océans. La protéine abrite une molécule appelée «rétinal», une forme de vitamine A, qui sert de photorécepteur. Lorsque la molécule reçoit de la lumière, elle en absorbe une petite partie et change de forme. Ce processus amorce une pompe qui évacue du sodium hors de la cellule. Les chercheurs ont réussi à filmer cette pompe à sodium de bactérie marine en pleine action. Ils espèrent exploiter de diverses manières les connaissances sur le fonctionnement précis de ces pompes actionnées par la lumière. «Puisque l’activité des cellules nerveuses des organismes multicellulaires est régulée par des pompes à sodium situées dans leur membrane, ces mêmes pompes à sodium, activées par la lumière, peuvent servir en retour à contrôler l’activité des cellules nerveuses, possibilité exploitable dans ce qu’on appelle l’“optogénétique”, relève Jörg Standfuss. Lorsqu’on les insère dans les cellules nerveuses à l’aide de méthodes de génétique moléculaire, il est possible de contrôler spécifiquement ces cellules avec des signaux lumineux et d’étudier ainsi le fonctionnement de certaines régions du cerveau.» L’objectif est d’utiliser les connaissances obtenues pour réaliser des progrès en neurobiologie.
Coronavirus dans le viseur
Les usages possibles du SwissFEL et de la SLS pour mener de la recherche sur des protéines microbiennes et virales sont extrêmement variés. Pour d’autres chercheurs et pour l’industrie, le PSI représente donc un partenaire très recherché en raison de son excellente infrastructure. L’institut soutient des coopérations de recherche avec le monde entier. Le PSI participe aussi activement à la lutte contre le virus SARS-CoV-2 au moyen de nombreuses initiatives. En mars 2020, l’institut a ainsi appelé les scientifiques externes à exploiter les possibilités et les technologies ultramodernes qu’offre la SLS pour élucider la structure et le fonctionnement du SARS-CoV-2 et pour développer des principes actifs et des diagnostics. Quelques semaines plus tard, les premiers résultats, obtenus dans le cadre d’une collaboration avec l’Université Goethe de Francfort-sur-le-Main, étaient disponibles. Les chercheurs ont étudié la protéine virale PLpro (papain-like protease) à l’une des trois lignes de faisceaux pour cristallographie macromoléculaire de la SLS. Le SARS-CoV- 2 a en effet besoin de cette protéine pour assembler de nouvelles particules virales dans les cellules humaines. Les expériences ont montré qu’un inhibiteur potentiel agissant contre PLpro bloquait la propagation du virus et renforçait l’immunité antivirale dans les cellules épithéliales humaines, qui sont le principal point d’entrée de l’agent infectieux. Ces connaissances ouvrent la voie à de futurs principes actifs.
L’équipe internationale a profité de toute l’expérience accumulée par le groupe SLS de cristallographie macromoléculaire, emmené par Meitian Wang, dans le domaine de la caractérisation des structures virales. Justyna Wojdyla, chercheuse au PSI, a ainsi élucidé des structures protéiques de différents virus dangereux pour l’être humain avec un groupe de recherche chinois. Pour ses analyses, elle a braqué la puissante lumière de type rayons X sur des cristaux de protéines de coronavirus comme le MERS-CoV et le HKU1 ainsi que le virus Alongshan. Alors que les deux coronavirus colonisent surtout les voies respiratoires et les poumons, le virus Alongshan, transmis par les tiques, provoque des céphalées persistantes, de la fatigue et des nausées. Point commun entre les virus étudiés et le SARS-CoV-2: à ce jour, on ne dispose ni d’un vaccin ni d’un traitement antiviral efficace. «Nos expériences à la ligne de faisceau de la SLS ont contribué à une meilleure compréhension de la structure et du fonctionnement de ces virus», se réjouit Justyna Wojdyla. Pour les analyses menées sur le coronavirus HKU1, cette spécialiste de la cristallographie aux rayons X a utilisé une technique particulière à la ligne de faisceau MX de la SLS: la single-wavelength anomalous dispersion. Cette méthode consiste à exposer brièvement le cristal de protéine à la puissante lumière de type rayons X, ce qui réduit les dégâts d’irradiation infligés à la molécule et, donc, le risque d’erreur pendant la collecte des données.
Microbes en mouvement
Outre les cristaux de protéines virales et bactériennes, les chercheurs du PSI décryptent d’autres structures de minuscules êtres unicellulaires: par exemple, les deux flagelles de l’algue verte Chlamydomonas. Ce microbe qui vit en eau douce pourrait contribuer à une meilleure compréhension du mécanisme d’entrée du nouveau coronavirus dans l’organisme. Ses flagelles sont des prolongements cellulaires filiformes composés de protéines, que l’on trouve sous une forme analogue dans les voies respiratoires de l’être humain. Lorsque ces cils vibratiles entrent en mouvement, ils ondulent comme un champ d’algues dans la mer. On retrouve aussi des cils vibratiles dans les ventricules cérébraux remplis de liquide, sur les embryons et dans les trompes de Fallope, où ils assurent par exemple le transport de l’ovule et du spermatozoïde. En cas d’anomalies génétiques, ils peuvent entraîner une infertilité. «Les cils vibratiles assurent de très nombreuses fonctions de transport dans l’organisme, explique Takashi Ishikawa, qui travaille depuis dix ans au PSI et qui étudie les algues vertes comme système modèle. Lorsqu’ils ne fonctionnent plus, d’importants mécanismes protecteurs cessent d’opérer.» Dans les voies respiratoires, les cils vibratiles expulsent le mucus et les bactéries, et sont la cible des coronavirus. Lors de la phase précoce de l’infection, le SARS-CoV-1 – l’agent infectieux responsable de la première épidémie de SARS – et le SARS-CoV-2 pénètrent dans les voies respiratoires en passant par les cellules des cils vibratiles.
C’est pourquoi Takashi Ishikawa cherche à comprendre précisément comment le mouvement des flagelles apparaît et ce qui l’inhibe. A l’aide de la cryotomographie aux rayons X à la SLS et de la cryomicroscopie électronique, il étudie ces prolongements cellulaires d’une longueur de quelques micromètres, au coeur desquels se détend un délicat échafaudage de tubules de protéines, appelés «microtubules». Ces derniers sont pourvus de dizaines de milliers de minuscules moteurs moléculaires qui font activement bouger les cils vibratiles. Sur ce plan, Chlamydomonas, l’objet-test de Takashi Ishikawa, est particulièrement raffinée: soit ses deux flagelles battent au même rythme, comme si l’algue nageait la brasse, soit ils exécutent des courbes en ondulation sur le côté. La quantité d’ions calcium est décisive pour le choix du programme de nage que l’algue adopte pour se déplacer. Le Japonais entend à présent employer la tomographie aux rayons X à la ligne de faisceau cSAXS de la SLS pour découvrir l’effet de ce mécanisme sur l’interaction complexe des moteurs moléculaires dans les prolongements cellulaires.
Objectif: de nouveaux principes actifs
Des chercheurs utilisent aussi la SLS pour déjouer les manoeuvres de micro-organismes très différents et beaucoup moins inoffensifs que l’algue verte: Plasmodium falciparum, responsable du paludisme (ou malaria). La physiologie de ces minuscules parasites est malheureusement très similaire à celle de l’être humain, du moins au niveau cellulaire. C’est la raison pour laquelle il est très difficile de développer des principes actifs contre Plasmodium qui ne provoquent pas d’effets indésirables trop violents. Des chercheurs du PSI recourent à la lumière synchrotron de la SLS pour chercher les petites différences de structure dans le cytosquelette qui existent entre les parasites, d’une part, et l’être humain, d’autre part. Ces petites différences pourraient contribuer au développement de principes actifs qui perturbent la croissance des cellules des parasites, mais pas celle des cellules humaines.
En étroite collaboration avec Sergey Kapishnikov, de l’Institut Weizmann des sciences en Israël, Daniel Grolimund, chercheur au PSI, a montré une autre possibilité d’inactiver, à l’avenir, l’agent infectieux du paludisme. L’idée consiste à s’infiltrer dans sa stratégie de survie. Quand Plasmodium se réplique dans les globules rouges de son hôte après une piqûre de moustique anophèle, il digère aussitôt l’hémoglobine, responsable de la couleur rouge du sang, ce qui libère l’hème, un complexe ferreux toxique. Pour Plasmodium, l’hème est nocif. C’est pourquoi le parasite le convertit en solide cristallin insoluble. L’objectif des chercheurs est de comprendre précisément comment ce processus est mis en oeuvre. «A la SLS, nous avons mesuré par microscopie à fluorescence à rayons X où et en quelle quantité l’hème est réparti dans les parasites, explique Daniel Grolimund. Nous avons ensuite calculé la vitesse à laquelle le parasite le convertissait.» Les résultats montrent l’effort important que Plasmodium doit déployer pour conditionner l’hème sous forme de solide cristallin. Il utilise, entre autres, PV5 comme outil, une protéine avec propriété adjuvante. Si l’on pouvait paralyser cet outil avec un principe actif approprié, l’agent infectieux de la malaria perdrait sa protection contre l’hème et mourrait – tel est l’espoir des chercheurs. Mais pour en arriver là, il faudra mener encore beaucoup d’autres expériences.
«L’étude de processus biologiques fondamentaux au sein des micro-organismes aussi bien que l’analyse de biomolécules d’agents pathogènes sont une success-story pour le PSI», conclut Gebhard Schertler. D’un côté, elles montrent l’importance de la recherche fondamentale pour la renommée du PSI et, de l’autre, elles permettent à l’institut de réagir rapidement lorsque surgissent de nouveaux défis, comme la pandémie de Covid-19.
Texte: Sabine Goldhahn
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