Lueurs d'espoir pour les patients

Les tumeurs oculaires sont rares. Mais pour les personnes concernées, c'est une tragédie qui entraîne non seulement la perte de la vision, mais souvent aussi celle de l'œil tout entier. Depuis plus de 30 ans, toute une équipe de l'Institut Paul Scherrer PSI se consacre à un seul but: aider les patients atteints d'un certain type de tumeur oculaire en recourant à l'irradiation avec des protons. Ces minuscules particules atteignent en effet leur cible avec une précision de l'ordre du millimètre, sans mettre en danger d'autres structures de l'œil. Aucune installation de protonthérapie au monde n'a traité autant de patients atteints de tumeurs oculaires que l'appareil d'irradiation OPTIS du Centre de protonthérapie à l'Institut Paul Scherrer PSI. OPTIS a été développée en interne au PSI. C'est une véritable success story, car chez plus de 90% des patients traités jusqu'ici, l'œil atteint a pu être sauvé.

A la station de traitement OPTIS 2, deux techniciennes en radiologie médicale montrent comment fonctionne l'irradiation: Eline ter Heijden présente le positionnement du patient et Heidemarie Wagner explique l'utilisation du masque et du dispositif dentaire à l'aide d'un modèle. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Position du patient directement à la sortie du faisceau de protons, à l'appareil OPTIS 2. Pour que la tête reste immobile et pour que le faisceau atteigne la tumeur avec 100% de précision, le patient doit d'abord être immobilisé à l'aide d'un masque et d'un dispositif dentaire. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Lorsqu'on est assis dans le fauteuil de soin, on se trouve directement face à l'orifice de sortie du faisceau de protons. Ce dernier est resserré par un diaphragme de cuivre dont la forme correspond exactement à celle de la tumeur. A la latte oblique noire, une petite lumière signale au patient la direction dans laquelle il doit regarder pendant le traitement. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Les diaphragmes de cuivre, appelés aussi collimateurs, sont réalisés individuellement pour chaque patient et correspondent à la forme de la tumeur. Ils resserrent le faisceau de protons, de manière à ce que ce dernier touche uniquement le tissu cancéreux. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Les patients atteints de tumeurs oculaires reçoivent leur traitement dans la salle spacieuse et claire qui abrite OPTIS 2. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Voilà à quoi ressemble le fond de l'œil d'un patient atteint d'un mélanome oculaire. La tache noire qu'on aperçoit au milieu est la tumeur maligne. Quant au petit cercle clair à gauche, il s'agit de ce qu'on appelle la tache aveugle. C'est là que le nerf optique et des vaisseaux sanguins s'insèrent dans l'œil. (Photo: Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne)
Avant chaque traitement à la station OPTIS, on réalise deux clichés radiologiques sur lesquels on aperçoit des points noirs en forme de boutons. Il s'agit de minuscules plaques métalliques suturées sur l'œil depuis le fond de l'œil. Leur fonction: permettre un positionnement précis de l'œil du patient, et donc de la tumeur, qui reste le même à chaque irradiation. Le grand cercle gris qu'on aperçoit sur l'image gauche est le diaphragme. Il confère sa forme au faisceau de protons, qui n'atteint alors que la zone gris clair. (Photo: Institut Paul Scherrer)
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Les yeux sont notre fenêtre sur l'extérieur et l'un de nos principaux organes sensoriels. Ils enregistrent les informations visuelles de notre environnement et les transmettent au cerveau qui les traite. C'est grâce à ce processus que nous voyons ce qui nous entoure et que nous éprouvons le monde en trois dimensions. En même temps, nous communiquons avec nos semblables par contact visuel et nous exprimons nos sentiments avec nos yeux. Quand l'un de leurs yeux est touché par un cancer, les personnes concernées ne remarquent souvent absolument rien, car leur cerveau continue de recevoir des informations de l'œil sain et compense la perte. Parfois, cela se limite à une zone trouble ou une petite tache. De fait, les tumeurs oculaires sont souvent découvertes par hasard, lors d'un contrôle de routine chez l'ophtalmologue. Le mélanome oculaire est une tumeur de l'œil particulièrement maligne que l'on traite avec succès depuis des années à l'Institut Paul Scherrer PSI, à l'aide de faisceaux de protons. Ce cancer est apparenté au cancer de la peau et, comme lui, il se développe à partir de cellules pigmentées. Ces dernières sont situées dans l'œil, surtout dans la choroïde, une couche très vascularisée qui se trouve entre la rétine (à l'intérieur de l'œil) et la sclérotique blanche visible à l'extérieur.

Certains mélanomes ont beau mesurer seulement un à deux millimètres, il arrive malgré tout qu'ils passent par la circulation sanguine et forment des métastase, surtout dans le foie, explique Heidemarie Wagner, technicienne en radiologie médicale (TRM) au Centre de protonthérapie (CPT) du PSI. Voilà pourquoi c'est si important de les traiter tôt. Cette TRM expérimentée sait exactement de quoi elle parle, car cela fait douze ans déjà qu'elle travaille à la station d'irradiation OPTIS où l'on traite exclusivement les tumeurs oculaires. Heidemarie Wagner est fière de sa station de travail: A l'échelle mondiale, un tiers des patients atteints d'une tumeur oculaire ayant reçu une irradiation avec des protons sont passés par ici, à OPTIS, explique-t-elle. Cela fait 6700 patients. Et le plus beau, c'est que chez 90% d'entre eux, la destruction de la tumeur a permis de sauver l'œil. Durant toutes ces années, Heidemarie Wagner a préparé des milliers de patients à l'irradiation, elle leur a tout expliqué, elle les a consolés et s'est efforcée d'atténuer leur angoisse. Lorsque les patients se retrouvent chez nous, ils ont déjà derrière eux de nombreux examens et une opération à l'Hôpital ophtalmique universitaire, rappelle-t-elle. C'est usant.

Clips métalliques pour planifier l'irradiation

Le centre de coordination des patients atteints de tumeurs oculaires se trouve à Lausanne. Des malades de nombreux pays d'Europe y sont envoyés pour les préparatifs à l'irradiation avec des protons au CPT. En effet, pour que les spécialistes du CPT puissent localiser la tumeur et l'atteindre avec le faisceau de protons, il faut d'abord que les ophtalmologues lausannois la marquent. Pour ce faire, ces derniers suturent sous anesthésie du fond de l'œil quatre à six minuscules plaquettes métalliques de tantale autour de la tumeur. Jan Hrbacek, physicien médical du CPT, explique pourquoi: Sur les radiographies, ces clips métalliques apparaissent comme des points noirs en forme de bouton. De fait, nous pouvons les utiliser comme des marqueurs, ils nous permettent de retrouver et de délimiter la tumeur pour l'irradiation. Car à la radiographie, la tumeur proprement dite, nous ne la voyons pas.

Une série de préparatifs est nécessaire pour que Jan Hrbacek sache néanmoins où irradier précisément. Pendant le traitement, la chose la plus importante, c'est que le patient garde la tête absolument immobile, car il est assis juste en face du faisceau de protons ultrarapides. Un léger tressaillement suffirait pour que ce faisceau atteigne le mauvais endroit. Pour éviter que cela ne se produise, le patient doit porter un masque réalisé au préalable sur mesure spécialement pour lui. Pendant la durée du traitement, il doit aussi serrer entre ses dents un dispositif dentaire avec l'empreinte de sa mâchoire. Ces deux composants sont fixés au cadre du masque et empêchent tout mouvement de la tête. Seuls ses yeux peuvent encore bouger. Pendant la durée du traitement, il faut toujours que le patient collabore activement, souligne Heidemarie Wagner, car le faisceau de protons vient toujours de la même direction, directement de face. Le patient doit donc faire pivoter son œil de manière à ce que la tumeur se trouve toujours exactement dans le trajet optique du faisceau de protons. Mais comment le patient sait-il dans quelle direction il doit regarder?

Contact visuel avec OPTIS

A l'aide d'un logiciel spécial, les physiciens médicaux au CPT élaborent un modèle virtuel en 3D de l'œil et de la tumeur. Ils commencent par alimenter ce modèle avec des données spécifiques au patient, comme la longueur axiale du globe oculaire, l'épaisseur du cristallin, ainsi que les distances précises entre chaque clip métallique, mais aussi entre les clips et la tumeur. Quand le patient se rend pour la première fois au PSI, la TRM prend deux clichés radiologiques de sa tête, de différentes directions. Ces clichés permettent uniquement de visualiser les structures osseuses de l'orbite et les clips métalliques disposés suivant un schéma précis. Si le patient bouge l'œil et donc la tumeur, la position du clip métallique sur la radiographie bouge aussi. A l'aide du modèle, Jan Hrbacek et ses collègues calculent alors quelle est la direction du regard la plus appropriée pour que le faisceau de protons atteignent la totalité de la tumeur, tout en évitant des structures sensibles comme le nerf optique, le cristallin et la cornée. C'est dans cette direction que le patient doit regarder et une petite lampe LED fixée à l'appareil le lui signale. Dès que nous connaissons la position optimale de l'œil, nous connaissons aussi la position optimale des clips, résume Jan Hrbacek. Chaque fois, on réalise donc des clichés radiologiques de contrôle sur lesquels les clips métalliques sont bien visibles. L'écart toléré est de 0,2 millimètres, ajoute Jan Hrbacek. Au-delà, on corrige.

Focalisé sur la tumeur

Les protons détruisent l'ADN, si bien que les cellules ne peuvent plus se diviser et donc ne peuvent plus croître. Pour tuer toutes les cellules cancéreuses dans l'œil, il faut que le faisceau atteigne la tumeur dans toute son extension. Pour ce faire, on resserre le faisceau de protons au travers d'une espèce de diaphragme, de manière à lui faire adopter la forme spécifique de la tumeur. En même temps, il faut que les tissus sains restent épargnés autant que possible. C'est ici qu'intervient une propriété particulière du faisceau de protons, par laquelle il se distingue de toutes les autres formes de radiation: le faisceau déploie son effet maximal à une profondeur précisément définie. Cette dernière peut être réglée sur l'appareil OPTIS. Les cellules situées en amont de cette zone ne sont pas endommagées par les protons.

En règle générale, au terme de quatre irradiations réalisées lors de journées consécutives, le traitement est terminé. Du point de vue de leur état général, nos patients sont en bonne santé et même après l'irradiation, ils vont bien, parce qu'ils n'ont pas d'effets secondaires, explique Heidemarie Wagner. Ils peuvent continuer à vivre tout à fait normalement.

Plans d'avenir pour OPTIS

L'irradiation de tumeurs oculaires avec des protons au PSI est une véritable success story. En fait, les spécialistes du CPT pourraient se reposer sur leurs lauriers. Un point dérange cependant des chercheurs engagés comme Jan Hrbacek: Jusqu'ici, tous les patients doivent subir une opération sous anesthésie pour l'implantation des clips métalliques. C'est quelque chose que nous aimerions bien éviter. Son objectif est de développer un modèle de l'œil permettant de se passer complètement des clips pour le positionnement. Dans le cadre d'un projet soutenu par le Fonds national suisse et autorisé par la Commission d'éthique, il teste avec l'imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) comment réaliser au mieux des clichés de tumeurs oculaires en haute résolution et intégrer ces informations visuelles dans un nouveau modèle virtuel de l'œil et de la tumeur. Le modèle est complété par un système optique de traçage qui enregistre la position de l'œil dans l'appareil OPTIS et permet donc la localisation. C'est seulement lorsque le procédé sera précis et absolument fiable que l'on pourra épargner l'opération aux patients. Tel est l'objectif auquel les travaillent chercheurs au PSI.

Texte: Sabine Goldhahn

Informations supplémentaires
  • L'article Une grande aide pour les petits enfants décrit comment – au Centre de protonthérapie du PSI – des enfants atteints du cancer sont traités par protonthérapie.
  • L'article Plus-value pour le malades du cancer donne un aperçu du travail au Centre de protonthérapie (CPT) et du développement de la protonthérapie au PSI.
  • La technique Spot Scan est une forme particulière de protonthérapie. Elle a été développée il y a 20 ans au PSI. Aujourd'hui, cette méthode est utilisée dans le monde entier et a déjà permis de secourir plusieurs milliers de patients. Les détails figurent dans l'article La lutte de haute précision contre le cancer a 20 ans.
  • Toute une équipe de spécialistes veille à la sécurité et à la qualité top niveau de la protonthérapie au PSI, comme l'explique l'article Maîtriser la sécurité.
Contact
Dr Ulrike Kliebsch
Responsable de la science et de l‘information au Centre de protonthérapie
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen, Suisse
Téléphone: +41 56 310 55 82, e-mail: ulrike.kliebsch@psi.ch


Dr Jan Hrbacek
Physicien médical
Centre de protonthérapie
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen, Suisse
Téléphone: +41 56 310 37 36, e-mail: jan.hrbacek@psi.ch


Heidemarie Wagner
Technicienne en radiologie médicale (TRM)
Centre de protonthérapie
Institut Paul Scherrer, 5232 Villigen, Suisse
Téléphone: +41 56 310 54 13, e-mail: heidi.wagner@psi.ch